Première greffe de la vessie : pour quelles raisons éthiques ou techniques certains organes résistent-ils encore à la transplantation ?

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
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Temps de lecture : 6min
Des chirurgiens effectuant une greffe d'organe à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 9 décembre 2022. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)
Des chirurgiens effectuant une greffe d'organe à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 9 décembre 2022. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Des chirurgiens américains ont réalisé avec succès une greffe de vessie humaine. Cette première mondiale pourrait marquer un tournant pour les malades souffrant de graves troubles liés à cet organe.

Une opération inédite, synonyme d'espoir pour des milliers de patients. Après plus de quatre années de préparation, des médecins américains ont réussi à réaliser, début mai, la première greffe de vessie humaine, au terme d'une opération d'environ huit heures, réalisée à l'hôpital Ronald Reagan de Los Angeles. "Les chirurgiens ont d'abord transplanté le rein, puis la vessie, et ils ont ensuite relié le rein à la nouvelle vessie en utilisant la technique qu'ils ont mise au point", a précisé l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), l'une des deux universités californiennes impliquées, dans un communiqué publié dimanche 18 mai.

"Cette chirurgie représente un moment historique en médecine et pourrait transformer le traitement des patients" ayant des vessies "ne fonctionnant plus", a insisté le chirurgien et professeur d'urologie Inderbir Gill, qui a participé à l'opération. Jusqu'ici, les greffes de vessie étaient considérées comme trop complexes en raison notamment de difficultés d'accès à la zone et de sa vascularisation, c'est-à-dire la présence en grand nombre de vaisseaux sanguins, rendant l'opération très technique et les risques d'hémorragie importants.

"On ne greffe pas des ovaires et des testicules"

Les patients se voyaient donc uniquement proposer une reconstruction de vessie artificielle à l'aide d'un tube digestif ou la pose d'une poche de stomie, une prothèse extérieure pouvant recueillir leurs urines. Des interventions "efficaces" mais comportant "de nombreux risques à court et à long terme", souligne Inderbir Gill.

Ces dernières années, les progrès de la médecine ont permis de transplanter de plus en plus d'organes, dont certains sont vitaux, comme le rein – le plus couramment greffé –, le foie, le cœur ou le poumon. En novembre 2023, une troisième greffe d'utérus avait été réalisée, quatre ans après la toute première opération du genre. L'opération avait duré pas moins de 18 heures, avec, au total, vingt soignants dans le bloc opératoire. En France, plus de 6 000 organes ont été greffés en 2024, dont 3 757 reins, "un niveau remarquable qui n'avait plus été atteint depuis 2017", se félicite l'Agence de biomédecine, qui gère les dons d'organes.

Toutefois, certains organes résistent encore aux progrès scientifiques et il est difficile de savoir s'il sera possible (et souhaitable) de les greffer un jour. A commencer par le cerveau et certains organes reproducteurs, qui posent des questions à la fois éthiques et philosophiques. "On peut greffer des utérus, mais on ne greffe pas des ovaires et des testicules, il n'y a pas eu de tentatives de greffe de ces organes", explique à franceinfo Pierre Marquet, médecin pharmacologue à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

"C'est très rare que le cerveau ne soit pas abîmé"

En outre, les médecins font encore face à de nombreux obstacles techniques pour mener à bien des greffes d'organes. "Quand il y a un arrêt cardiaque, c'est très rare que le cerveau ne soit pas abîmé tout de suite, expliquait il y a deux ans Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, auprès de 20 Minutes. On n'a pas trouvé les moyens de rendre cet organe transplantable." 

C'est d'ailleurs l'un des enjeux actuels de la recherche scientifique, note l'Inserm, car "tout organe prélevé dans le but d'être transplanté (...) se dégrade avant la transplantation". Des recherches sont actuellement menées pour améliorer le liquide de conservation des greffons par exemple, voire améliorer un organe avant sa réimplantation, en le "reconditionnant" comme on le ferait avec un appareil électronique de seconde main, détaille l'institut de recherche.

Tout comme une greffe du cerveau, celle d'un œil dans son intégralité "ne sera sans doute jamais possible", avançait aussi en 2022 Michel Tsimaratos, directeur général adjoint de l'Agence de biomédecine et néphrologue, dans le magazine Ça m'intéresse. La raison ? "On ne peut pas suturer le nerf optique du receveur avec l'œil du donneur. La prothèse oculaire prend le relais : elle ressemble à un vrai œil, mais la vision n'est pas restaurée", détaille-t-il. C'est également pour cela que certaines greffes sont extrêmement difficiles. Notamment celles du visage, relève Michel Tsimaratos, car les chirurgiens doivent reconnecter au patient plusieurs sortes de tissus (comme de la peau, des muscles, des os et de la langue) et autant de tout-petits vaisseaux.

"Des greffes beaucoup trop rares pour être testées"

Une fois greffés, les organes ne sont en outre pas toujours acceptés par le corps du patient. Les médecins doivent ainsi prendre en compte la capacité du patient à supporter les traitements immunosuppresseurs, qui agissent sur le système immunitaire du patient pour permettre à son corps d'accepter le ou les greffons. "On sait bien gérer ces questions pour les reins, le foie, les poumons, le cœur et le pancréas, énumère Pierre Marquet. Mais dans le cas des greffes de visage notamment, il y a beaucoup de rejets, car les traitements n'ont pas été soumis à des tests cliniques. Ce sont des greffes beaucoup trop rares pour être testées."

Là encore, la recherche scientifique s'attèle à mieux comprendre les mécanismes de rejet. A Limoges par exemple, des chercheurs de l'Inserm ont élaboré un algorithme d'intelligence artificielle capable d'interpréter les résultats des biopsies rénales, qui s'est révélé "plus efficace que l'interprétation humaine pour prévoir le risque de rejet", souligne l'Inserm. De quoi susciter de nouveaux espoirs pour les plus de 22 000 patients en attente d'une greffe en France.

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