: Témoignages "J'ai été happé par la solitude" : la double peine de l'isolement après une séparation, un licenciement ou une maladie
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Une enquête de la Fondation de France sur la solitude met l'accent sur les ruptures dans les parcours de vie, alors qu'une personne sur dix est considérée en situation d'isolement relationnel.
Elle passe ses journées au téléphone avec des gens mécontents. Pourtant, Marie, employée d'une plateforme de réclamations, ne renoncerait à son métier pour rien au monde. "Je me sens utile. Même malade, j'y vais", assure cette femme de 57 ans, qui reconnaît une tendance à "trop s'investir" depuis que ses enfants ont quitté le nid et qu'elle s'est séparée de son mari. "Je travaille plus tard pour oublier que, chez moi, je suis seule."
Voilà près de trois ans que la quinquagénaire a découvert ce sentiment "souvent pesant, parfois plaisant" de solitude, qu'elle tait à son entourage. Le week-end, dans sa maison de La Réunion, elle jardine, lit, s'aventure sur internet, en attendant que le réveil du lundi lui offre une nouvelle semaine au contact des autres. "Mes collègues ne savent pas qu'ils sont les seules personnes avec qui j'ai une conversation", avoue cette mère de deux enfants. Ses fils de 22 ans et 28 ans non plus ne sont pas dans la confidence. "Pas envie de leur faire de la peine avec mon mal-être."
L'histoire de Marie est celle de millions de Français. Un quart de la population se sent régulièrement seule, rapporte la Fondation de France, à l'occasion de la journée mondiale des solitudes, jeudi 23 janvier. Dans plus de 80% des cas, cette situation est génératrice de souffrances, avec un impact, reconnu à l'échelle internationale, sur la santé mentale et physique. Ce ressenti se conjugue fréquemment avec une situation objective d'"isolement relationnel", qui touche 12% des Français et est définie par l'absence d'échanges physiques, plusieurs fois par mois, avec le moindre réseau de sociabilité (amis, voisins, famille en dehors du domicile, collègues en dehors du temps de travail ou associations).
Derrière ces chiffres, autant d'histoires enfouies que franceinfo a voulu faire émerger. Dans le cadre d'un appel à témoignages, plus de 150 hommes et femmes de tous âges, milieux sociaux et territoires nous ont raconté leur solitude et leur isolement. Avec une envie commune d'exister et d'en finir avec la "honte" d'être devenus, souvent contre leur gré, des "invisibles".
Il y a un an, Louis* n'aurait pas imaginé sombrer dans cet isolement. Ce Parisien de 53 ans, occupé par son emploi de cadre bancaire, ses activités sportives et son bénévolat à la Croix-Rouge, s'est retrouvé "complètement seul" en un claquement de doigts. Licencié à l'hiver à la suite d'une réorganisation d'entreprise, il a atterri en Haute-Savoie pour fuir les loyers onéreux de la capitale et se rapprocher d'une partie de sa famille. Là, dans une petite ville peuplée d'inconnus, il a été "happé par la solitude sans savoir ce que c'était".
"J'ai droit à 'bonjour', 'au revoir'..."
Au pied des Alpes, il découvre la peur du vide et enchaîne les désillusions : "une centaine de candidatures professionnelles" en vain, un club de badminton qui affiche complet, un "désert médical" sans offre psychologique suffisante, une famille sourde à sa détresse muette... Au téléphone, une seule amie l'appelle de temps en temps. Un jour, il s'en remet à la ligne d'écoute SOS Amitié. Il se sent comme "un pestiféré".
Louis se raccroche à des routines. Il va au café ou chez le primeur, un moyen de s'obliger à se lever, s'habiller et s'aérer. "J'ai droit à 'bonjour', 'au revoir', 'tiens, vous n'êtes pas venu hier'. De la bienveillance de commerçant, mais qui me maintient à flot." Il espère une main tendue, qui finit par arriver. Dans une file d'attente à La Poste, quelqu'un l'invite. Sur place, il se retrouve au beau milieu d'une réunion de la section locale du Rassemblement national. Après avoir fait demi-tour, il jalouse presque ses camarades d'un instant. "Ces gens, ils sont ensemble. Ce sont les seuls qui m'ont accueilli parmi eux."
La solitude peut s'avérer temporaire. En décembre, Louis a fini par retrouver un emploi. Il a déménagé et enclenché une nouvelle dynamique sociale. Un simple accident de parcours ? Les 40-59 ans, comme Louis, sont statistiquement les plus touchés par l'isolement relationnel, du fait des nombreuses "transitions" (mobilité géographique ou professionnelle, départ des enfants...) et des "ruptures majeures" (divorce, perte d'emploi, maladie...) qui jalonnent le mitan de l'existence, souligne la Fondation de France. "Cette période de la vie expose plus que d'autres à la fragilisation des relations sociales."
Comment bascule-t-on ? Les ruptures conjugales sont citées comme l'un des principaux facteurs d'isolement, du fait notamment de la baisse du niveau de vie qu'elles peuvent entraîner. "La faiblesse des revenus minimise les possibilités de sortir de chez soi, de pratiquer une activité sportive, ludique et récréative ou de recevoir des proches à son domicile", notent les auteurs de l'étude. Ainsi, 17% des personnes à bas revenus sont considérées comme isolées, contre seulement 7% parmi les hauts revenus.
Les séparations génèrent aussi un risque d'éclatement du réseau relationnel. Quand elle a fui son conjoint violent en 2022, Ibrahima a aussitôt coupé les ponts avec tous ses amis, de peur que son époux finisse par retrouver sa trace en leur soutirant des informations. A 60 ans, devenue "craintive" et "complexée" par un handicap infligé par son mari, cette artiste plasticienne peine à renouer des liens dans sa nouvelle ville. "J'ai essayé de faire un peu de bénévolat, mais les contacts restent superficiels", regrette-t-elle.
"J'ai l'impression qu'un mur invisible éloigne les gens de moi."
Ibrahima, séparée d'un mari violentà franceinfo
Autrefois "très gaie et souriante", Ibrahima se sent "fautive d'être si seule". A chaque sortie dans la rue, le bonheur apparent des couples ou des groupes d'amis qu'elle croise finit par l'affecter. "Je vois le monde du pas de la porte, sans être conviée au bal. C'est très dur." Alors, elle tend à se renfermer. Ses semaines s'écoulent parfois sans mettre le nez dehors. "Quand je suis chez moi, je n'ai plus de point de comparaison avec les autres."
"La maladie dérange et fait peur"
Les problèmes de santé figurent parmi "les grands événements de la vie qui isolent", selon la Fondation de France. Depuis que la maladie s'est invitée dans leur couple, Thomas et Nicole ne voient "plus grand monde", confirme le mari, dont la femme de 80 ans est atteinte d'Alzheimer à un stade avancé. Devenu aidant à temps plein, cet enseignant de 62 ans a vu nombre de proches s'éloigner, à mesure que les visites des aides-soignantes s'intensifiaient dans leur grande maison de l'Eure. "La maladie dérange et fait peur", constate-t-il, sans juger. "Tout est devenu plus compliqué", admet-il, même s'il n'est "pas malheureux" de côtoyer cette solitude qu'il a toujours appréciée.
"J'ai la chance d'être un optimiste forcené qui parvient à égayer notre vie si différente."
Thomas, mari d'une femme atteinte d'Alzheimerà franceinfo
Parfois, les ruptures s'entremêlent. "Au fil des aléas de la vie, j'en suis arrivée à être totalement seule", décrit ainsi Anna*. A la sortie de la crise du Covid-19, cette Parisienne de 49 ans a mis fin à deux décennies de vie commune avec son conjoint, qui l'avait progressivement "coupée du peu de gens" qu'elle voyait. Atteinte d'endométriose et récemment diagnostiquée d'une encéphalomyélite myalgique, cette assistante administrative a aussi dû réduire son activité pour ne plus travailler qu'une journée à un rythme hebdomadaire.
"Cette semaine, je ne vais parler qu'à vous", confie cette mère de deux enfants, dont elle n'a la garde qu'une semaine sur deux. Vivre seule lui permet de mieux gérer sa fatigue chronique, mais pas de "trouver des solutions" et de goûter à "la vie normale des gens" de son âge. En attendant, elle s'accroche aux rares déjeuners avec ses collègues, "une bouffée d'air" aussi "épuisante" que régénérante. "Récemment, mon médecin m'a conseillé d'arrêter de travailler. Je lui ai dit qu'il n'en était pas question." Une question de survie sociale.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.
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