"On est extrêmement déçus" : quatre questions sur le refus de l'accès précoce au Leqembi, un médicament contre Alzheimer, par la Haute Autorité de santé

Article rédigé par Florence Morel, franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7min
La maladie d'Alzheimer affecte principalement la mémoire et les fonctions cognitives, liées par exemple au langage, au raisonnement ou encore à l'apprentissage. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)
La maladie d'Alzheimer affecte principalement la mémoire et les fonctions cognitives, liées par exemple au langage, au raisonnement ou encore à l'apprentissage. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

Cette décision était très attendue par les spécialistes de cette maladie neurodégénérative pour laquelle il n'existe, à ce jour, aucun traitement.

Les patients et leurs médecins devront encore patienter. Le Leqembi, un traitement novateur qui permet de ralentir les effets de la maladie d'Alzheimer, ne sera pas remboursé dans l'immédiat en France, conformément à l'avis de la Haute Autorité de santé (HAS), rendu public mardi 9 septembre.

Cette décision était très attendue par les spécialistes de cette maladie neurodégénérative qui touche 900 000 personnes en France, selon l'Institut Pasteur, et pour laquelle il n'existe, à ce jour, aucun traitement. Franceinfo revient sur cet avis qui soulève plusieurs questions.

1 Qu'est-ce que le Leqembi ?

Le Leqembi est le nom commercial d'un médicament qui s'attaque directement à l'un des marqueurs de la maladie d'Alzheimer, les plaques amyloïdes. Il est élaboré à partir du lecanemab, un anticorps qui permet de nettoyer ces amas de protéines accumulés dans le cerveau des malades. Développé par les laboratoires Biogen et Eisai, il est destiné aux patients diagnostiqués à un stade très précoce de la pathologie.

Une étude clinique menée par Biogen a montré qu'après dix-huit mois de traitement, le lecanemab permet une réduction du déclin cognitif de 27% en moyenne, avec des effets qui concernent à la fois la mémoire, l'orientation, les activités sociales et l'autonomie. Il a été approuvé au mois d'avril par la Commission européenne et en 2023 aux Etats-Unis et au Japon, selon la Fondation Vaincre Alzheimer. "En 2024, il a été approuvé en Chine, Corée du Sud, Hong Kong, Israël et au Royaume-Uni", rappelait cette même source. 

Or ce traitement a un coût. Aux Etats-Unis, l'année de son autorisation, le laboratoire Eisai a fixé son prix à 26 500 dollars par an (22 500 euros environ), peut-on lire dans la revue scientifique Yale Medecine Review. En outre, le Leqembi est réservé à un petit nombre de patients aux prédispositions génétiques particulières, en raison d'effets secondaires graves, comme des œdèmes cérébraux ou un risque d'hémorragie. Il s'agit de ceux qui portent deux copies du gène APoE4, ce qui représente, en moyenne, "15% de la population générale et entre 30 et 40% des patients souffrant de cette maladie, ce qui n'est pas négligeable", souligne Luc Buée, directeur du centre de recherche neuroscience et cognition de Lille. 

2 Que dit la Haute Autorité de santé dans son avis ?

Dans son avis rendu public mardi (PDF), la Haute Autorité de santé (HAS) juge que "la mise en œuvre du traitement peut être différée compte tenu d'une quantité d'efficacité modeste, considérée comme non cliniquement pertinente pour la maladie associée à un profil de tolérance préoccupant". En d'autres termes, l'agence estime qu'au vu des études fournies par les laboratoires, rien ne justifie d'accorder l'accès précoce à ce traitement. 

En outre, l'agence considère que les effets indésirables du Leqembi "impos[e]nt des mesures de précautions strictes conduisant à une modification radicale du parcours de soins et de l'organisation des soins". En effet, les hémorragies cérébrales observées sur certains patients "arrivent dès les premières injections du traitement", détaille Luc Buée, ce qui implique un suivi médical régulier et des IRM de contrôle pour les patients. Ce que la HAS trouve "fortement contraignant" et "problématique dans l'organisation sanitaire actuelle". 

3 Pourquoi les patients et les médecins réclament-ils ce médicament ?

Nombre de spécialistes voient en ce médicament une avancée majeure, alors que la recherche de traitements anti-Alzheimer patine depuis des décennies. "C'est le premier médicament qui agit sur des lésions de la maladie, souligne Philippe Amouyel, médecin en santé publique et directeur général de la Fondation Alzheimer. Jusqu'à présent, les traitements autorisés n'agissent que sur ses symptômes."

"On prive des patients de ce traitement d'une manière très paternaliste", tance le neurologue Thibaud Lebouvier, neurologue au CHU de Lille, qui plaide pour laisser aux malades le choix de prendre ce médicament de manière éclairée, en connaissance des risques. "J'ai déjà parlé de ce traitement aux patients éligibles, et les deux tiers d'entre eux étaient très enthousiastes à l'idée de pouvoir l'expérimenter", assure-t-il. 

Si le retardement de la maladie a été évalué entre trois et six mois, il représente un "immense espoir" pour les malades, explique sur franceinfo Marion Lévy, directrice scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer. "Ce n'est pas négligeable (...). Actuellement, il n'y a rien, zéro médicament qui permette ce genre d'effet, rappelle-t-elle. C'est une très mauvaise nouvelle, on est extrêmement déçus." Cette décision de la HAS risque d'entraîner "une rupture d'égalité d'accès aux soins", craint pour sa part Kevin Rabiant, responsable du service études et recherche à France Alzheimer. "Certains patients partent en Israël ou en Angleterre pour avoir accès à ce traitement, d'autres devront aller en Allemagne en Autriche ou en Espagne", où le médicament est autorisé, pointe-t-il. 

4 Cette décision compromet-elle une mise sur le marché ?

Sollicitée par le laboratoire Eisai, la HAS s'est exprimée sur le bien-fondé d'un accès précoce au Leqembi, afin que le médicament soit, dès maintenant, remboursé à un prix fixé par son fabricant, sans attendre la fin de la procédure normale. Pour les patients, l'intérêt est de disposer d'un traitement innovant. Pour le laboratoire, cela lui permet de vite commercialiser son médicament.

Ce ne sera donc pas le cas pour le Leqembi. Mais cela ne veut pas dire qu'à terme, le Leqembi ne sera pas remboursé. La HAS, qui se prononcera d'ici à quelques mois sur l'opportunité d'une procédure normale, assure auprès de l'AFP que rien n'est exclu. "Ce médicament n'est efficace qu'au début de la maladie. Or si la décision est rendue dans deux ans, les patients qui sont aujourd'hui éligibles à ce traitement ne le seront plus", redoute David Wallon, neurologue et président de la Fédération des centres mémoire.

"Ce refus n'est qu'une étape dans le chemin des médicaments, relativise Philippe Amouyel, de la Fondation Alzheimer. La mission d'une agence est de protéger les patients et le système de soins. Je comprends qu'elle déçoive certains neurologues et les malades, mais cette décision a été prise pour le bien du patient."

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