Déserts médicaux : cinq questions sur la proposition de loi transpartisane discutée à l'Assemblée nationale
Les députés se penchent mercredi sur un texte visant à "flécher l'installation des médecins" dans les déserts médicaux, afin de mieux répartir leur présence sur le territoire.
Faut-il réguler l'installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux ? Si le calendrier législatif le permet, les députés vont se pencher sur cette question, mercredi 2 avril, à l'occasion d'une proposition de loi transpartisane. "Six millions de Français n'ont pas de médecin traitant, ce n'est pas une question droite gauche, c'est une histoire de pacte républicain", défend le député socialiste de Mayenne, Guillaume Garot, qui travaille sur ce texte depuis juillet 2022. La proposition de loi réunit au-delà de la gauche, puisqu'elle a été signée par 252 députés de tous bords.
Mais malgré cette relative unité, la proposition de loi divise, notamment à cause de l'article 1 qui a pour ambition de s'attaquer à la liberté d'installation des médecins. Il est d'ailleurs le seul article à avoir été supprimé lors de l'examen du texte en commission des affaires sociales, mercredi 26 mars, à l'issue d'un vote très serré (32 députés ont voté en faveur de sa suppression et 28 contre tandis qu'un élu s'est abstenu). Même s'il a été rejeté, les initiateurs du texte comptent tout de même le réintroduire lors de l'examen du texte.
1 Que contient le texte ?
La mesure phare, contenue dans l'article 1, consiste à "flécher l'installation des médecins – généralistes et spécialistes – vers les zones où l'offre de soins est insuffisante". Les députés veulent ainsi "créer une autorisation d'installation des médecins", qui sera délivrée par les agences régionales de santé (ARS). Le texte distingue deux cas de figure : soit le professionnel se situe en "zone sous‑dotée" en médecins et "l'autorisation est délivrée de droit pour toute nouvelle installation", soit il se trouve dans une zone où "l'offre de soins est au moins suffisante". Dans ce cas, "l'autorisation est délivrée uniquement si l'installation fait suite à la cessation d'activité d'un praticien pratiquant la même spécialité sur ce territoire", après consultation par l'ARS de l'Ordre départemental des médecins.
Plus consensuels, les autres articles ont été approuvés en commission des affaires sociales. Ainsi, l'article 2 propose de ne plus faire payer plus cher les consultations chez un généraliste pour les patients qui n'ont pas de médecin traitant. A l'heure actuelle, une consultation effectuée par un médecin généraliste déclaré médecin traitant auprès de la Sécurité sociale est remboursée 19 euros en secteur 1 (contre seulement 8,40 euros dans le cas contraire). L'article 3 entend assurer "une formation a minima de première année en études de médecine dans chaque département" et l'article 4 rétablir "l'obligation de permanence des soins" les soirs, week-ends et jours fériés. Enfin, le dernier article "permet de gager financièrement cette loi".
2 Pourquoi est-il critiqué ?
C'est l'article 1 de cette proposition de loi qui concentre le plus de critiques. Si les députés de tous bords partagent le même constat de difficultés d'accès aux soins de la part de leurs administrés, tous ne sont pas favorables à la régulation d'installation des praticiens sur le territoire.
Au sein de la macronie, une partie du groupe Ensemble pour la République considère que l'amélioration de l'offre de soins passe par l'augmentation du nombre de médecins formés et par "la multiplication des installations en médecine de ville libérale, pour améliorer l'accès aux soins", avançait la députée Stéphanie Rist, lors de l'examen du texte en commission des affaires sociales.
A droite, on craint que cette loi soit contreproductive. Pour Thibault Bazin, élu des Républicains en Meurthe-et-Moselle, cette régulation pourrait pousser les futurs médecins "à migrer vers l'exercice salarié" au détriment de l'activité libérale. Même son de cloche du côté du parti Horizons :
"Les médecins libéraux risquent de migrer vers le salariat et donc de suivre moins de patients. L’adoption de l’article 1er enverrait un message terrible à la profession."
Nathalie Colin-Oesterlé, députée de Moselleen commission des affaires sociales
Le député d'extrême droite Christophe Bentz considère de son côté que cette régulation est "une forme de coercition" et "une fausse bonne idée". "L'autorisation d'installation des médecins ne doit surtout pas être délivrée par les ARS, qui constituent le pire échelon : celui de la déconnexion par excellence", argue l'élu du Rassemblement national en Haute-Marne.
Face à ces critiques, les défenseurs du texte font valoir que la régulation proposée dans l'article 1 reste "très modeste", pour reprendre les mots de Philippe Vigier. "Elle ne changerait rien aux règles d'installation à Limoges, à Caen ou à Orléans, et dans 91% du territoire français", a assuré l'élu MoDem. "La liberté sera maintenue. Dans les territoires bien dotés, où l'installation d'un médecin sera subordonnée à un départ à la retraite, la densité médicale ne diminuera pas", a-t-il ajouté.
Enfin, les partisans de la régulation y voient une solution de la dernière chance. "A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles", expliquent les députés en préambule de la proposition de loi. "De nombreuses politiques d'incitation à l'installation des médecins dans les zones sous‑denses ont déjà été mises en œuvre depuis les années 2000", notent-ils. Et d'ajouter que ces dernières "ne sont pas suffisantes pour lutter contre la désertification médicale". "Ce n'est certainement pas la solution unique et magique, mais c'est la seule qu'on n'ait jamais mise en œuvre. On ne doit exclure aucune solution", pointe Guillaume Garot.
3 Qu'en pensent les médecins ?
Les médecins sont très opposés à cette proposition de loi, car ils demeurent très attachés à leur liberté d'installation. "La coercition à l'installation est une ânerie : on ne régule pas une pénurie. C'est de la démagogie pure et dure", tance ainsi Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, principal syndicat des médecins généralistes. Pour Jean-Marcel Mourgues, chargé de la démographie médicale à l'Ordre des médecins, cette proposition de loi est "datée et populiste".
Après la suppression de l'article 1 en commission, le collectif Médecins pour demain s'est quant à lui félicité dans un communiqué de cette décision, "qui portait atteinte au principe fondamental de liberté d'installation des médecins". Le président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, estime quant à lui que ce texte ne résoudra pas la pénurie de médecins. Sur X, le syndicaliste accuse ainsi les socialistes de "mentir aux Français en leur laissant à croire que l'obligation des rares médecins bouchera les trous" après avoir "plus que participé à la casse du système de soins" lorsqu'ils étaient au pouvoir.
4 Qu'en disent les patients ?
Côté patients, la régulation de l'installation des médecins est fortement plébiscitée. Malgré un nombre de médecins en hausse ces deux dernières années, selon les chiffres de l'Ordre des médecins, ils sont inégalement répartis sur le territoire, avec des départements du centre de l'Hexagone en difficulté, contrairement aux grandes villes et aux littoraux, beaucoup plus attractifs. Or ces pénuries de médecins se traduisent "par des pertes de chances pour des patients qui paient leur CSG [dont une partie des recettes finance les régimes d'assurance-maladie], comme tout le monde, et qui n'ont plus accès aux soins", pointait le sociologue Frédéric Pierru en 2023.
Au total, 86% des personnes interrogées par Ipsos dans le cadre d'un sondage pour la Fondation hospitalière de France (FHF) estiment "qu'il faut assurer une répartition plus équitable des médecins sur le territoire quitte à leur imposer leur lieu d'exercice les premières années". Citant les résultats de ce sondage, l'organisation France Assos santé appelle à ce que l'article 1 de la proposition de loi soit réintroduit lors de la séance publique. "Même si la proposition de loi ne répond pas à l'ensemble des besoins, elle propose des solutions pertinentes et efficaces", souligne cette association de patients dans un communiqué.
5 Quelles sont ses chances d'adoption ?
Au vu des débats, difficile de dire si cette proposition de loi a une chance d'être adoptée en intégralité. Le texte a été signé par 252 députés issus de quasiment tous les groupes politiques de l'Assemblée, à l'exception du Rassemblement national et de ses alliés ciottistes. La quasi-totalité des députés des quatre groupes du Nouveau Front populaire y sont favorables, ainsi que 16 élus issus du groupe de la Droite républicaine, 12 du groupe Liot et 31 députés du camp présidentiel (13 MoDem, 12 macronistes et 6 Horizons) ont ajouté leur signature à celle de Guillaume Garot. "La prise de conscience est plus forte aujourd'hui", veut croire le député socialiste. "Même en commission des affaires sociales, nous sommes arrivés à un résultat qui ouvre sur de bonnes perspectives, car même si l'article 1 n'est pas passé, le reste a été voté."
"Jamais autant de députés n'avaient signé une telle proposition."
Guillaume Garot, député PS de la Mayenneà franceinfo
Les défenseurs du texte pourront peut-être compter sur quelques élus supplémentaires du MoDem, grâce à un ralliement de dernière minute. Mardi, le Premier ministre François Bayrou s'est prononcé en faveur d'une "régulation" de l'installation des médecins, disant être "attentif aux initiatives des parlementaires" en faisant allusion, sans la citer, à cette proposition de loi. Pour l'heure, treize députés du groupe MoDem ont cosigné le texte sur les 36 élus qui le composent.
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