"Le reboisement massif de la planète est un moyen efficace de renforcer les puits de carbone forestier", estime François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.

Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Plantation de la première forêt urbaine de Paris, Place de Catalogne, le 6 décembre 2023. (Bruno Levesque / IP3 PRESS / MAXPPP)
Plantation de la première forêt urbaine de Paris, Place de Catalogne, le 6 décembre 2023. (Bruno Levesque / IP3 PRESS / MAXPPP)

François Gemenne revient sur une question qu'il a déjà évoquée : les puits de carbone qui absorbent de moins en moins de dioxyde de carbone. "Nous avons absolument besoin des puits de carbone si on veut atteindre la neutralité carbone", insiste-t-il. La neutralité carbone, c’est le point d’équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre que nous envoyons dans l’atmosphère sur une période donnée, et les quantités de gaz à effet de serre que la Terre est capable d’absorber au cours de cette période.

La Terre absorbe les gaz à effet de serre via les puits de carbone, au premier rang desquels on trouve les forêts et les océans. "Tant que nous n’aurons pas atteint la neutralité carbone, les températures continueront à augmenter, parce que ces températures dépendent de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère", poursuit-il.

franceinfo : La neutralité carbone n'est-elle pas prévue pour 2050 ?

François Gemenne : C’est le plan. On s’est mis d’accord sur ce calendrier à la COP28 de Dubai, en 2023. C’est-à-dire avant que Donald Trump ne soit élu. Donc cela veut dire que la situation, sur le front climatique, ne va pas vraiment s’améliorer avant 25 ans. Alors que par ailleurs, le changement climatique s’accélère, on est littéralement pris dans une course contre la montre. Pour atteindre la neutralité carbone le plus rapidement possible, il faut jouer sur deux tableaux : décarboner autant que possible et aussi rapidement que possible nos économies, mais également augmenter la capacité d’absorption des puits de carbone.

Sur le premier tableau, nous faisons des progrès, mais ces progrès restent insuffisants. En 2023, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 4,5% dans les pays de l’OCDE. Cette baisse est encourageante, mais elle reste compensée par la hausse des émissions dans les économies émergentes et en développement. À l’heure où nous parlons, le pic mondial des émissions de gaz à effet de serre n’a pas encore été atteint.

"Sur le second tableau, malheureusement, les nouvelles ne sont pas bonnes, et on en a déjà parlé dans cette chronique : la capacité d’absorption des puits de carbone forestiers se réduit d’année en année."

François Gemenne

sur franceinfo

Or, l’ensemble des puits de carbone absorbent environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre que nous émettons chaque année, c’est pour cela qu’il faut diviser par deux les émissions mondiales si nous voulons atteindre la neutralité carbone.

Mais il faut bien reconnaître que dans la lutte contre le changement climatique, jusqu’ici, on n’a pas encore beaucoup parlé du rôle des puits de carbone, alors qu’il est essentiel. Certains proposent de déployer massivement des technologies industrielles de capture et de stockage du carbone, mais ce sont des technologies qui restent très, très controversées.

Planter davantage d’arbres

Il serait peut-être plus simple de planter davantage d'arbres. C’est précisément le parti pris d’un petit livre qui vient de sortir aux éditions de l’Archipel, et que j’ai eu le plaisir de préfacer : Le chaos climatique n’est pas une fatalité, par Jean-François Rial et Matthieu Belloir. Leur idée, au choix, comme totalement iconoclaste ou parfaitement limpide : planter 18 milliards d’arbres par an, pendant 10 ans, pour doper les puits de carbone, et donc ralentir le changement climatique. Alors, attention, les auteurs ne présentent pas du tout le reboisement comme la solution ultime au changement climatique, mais comme une stratégie qui nous permette de gagner du temps, avec ses opportunités et ses limites.

Évidemment, ce n’est pas simple, et les auteurs le reconnaissent. Et certaines initiatives précédentes ont fait long feu. On se souvient de la promesse d’Emmanuel Macron de planter un milliard d’arbres après les incendies de 2022. On s’est rendu compte que ça aboutissait parfois à des logiques de déboisement pour planter de nouveaux arbres, ce qui est insensé. Et il y a aussi la question des espèces, évidemment, alors que les forêts souffrent beaucoup du changement climatique. Donc, évidemment, ce n’est pas simple. Mais le grand mérite du livre est de mettre un coup de projecteur sur ces puits de carbone, le deuxième terme de l’équation de la neutralité carbone.

Je pense qu’on aurait tort d’opposer ici l’accélération de la décarbonation de nos économies au ralentissement du changement climatique. L’urgence climatique, aujourd’hui, est telle qu’il faut mettre tous les fers au feu et déployer toutes les solutions possibles.

"Aucune solution ne doit se substituer à une autre, et toutes doivent se compléter. Il faut pouvoir le dire clairement : sans renforcement des puits de carbone, il sera impossible d’atteindre la neutralité carbone."

François Gemenne

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Le reboisement massif de la planète, c’est un moyen efficace de renforcer les puits de carbone forestier. Et il ne s’oppose à aucune politique de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, à commencer par la lutte contre la déforestation.

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