Philippe Sands et Lola Lafon : regards croisés sur la commémoration du génocide

Dans Tout Public du lundi 27 janvier 2025, Philippe Sands, avocat spécialiste du droit international, et l'écrivaine Lola Lafon ("Il n'a jamais été trop tard"), dialoguent sur la commémoration des 80 ans de la libération d'Auschwitz.

Article rédigé par Frédéric Carbonne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Lola Lafon et Philippe Sands le 27 janvier 2025 (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Lola Lafon et Philippe Sands le 27 janvier 2025 (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

À l’occasion de la commémoration des 80 ans de la libération d’Auschwitz, Philippe Sands, écrivain et avocat spécialiste en droit international, rappelle que les termes "génocides" et "crimes contre l’humanité" sont des termes juridiques nés après la Seconde Guerre mondiale "pour faire face à ce qu’il s’est passé entre 1939 et 1945 et en vue de la préparation du grand procès à Nuremberg". Le juriste rappelle que ces termes sont "récents", malgré le fait que "le grand public [ait] un peu l’impression que ces termes (…) existent depuis toujours". Invité au Forum des Images à Paris pour le festival Un état du monde, il dresse, malgré ces avancées sur le plan juridique à la sortie de la guerre, le constat d’un monde où règne l’impunité. "Malheureusement, on a vu que, même avec ces nouvelles règles, les horreurs continuent. Et cinquante ans après le procès de Nuremberg, il n'y a pas eu de grands développements."

"Il est difficile de penser que le droit évolue et que, dans la foulée, l’être humain puisse modifier immédiatement son comportement."

Philippe Sands

à franceinfo

Malgré tout, le juriste garde espoir concernant le rôle de la justice internationale, qui ne laisse pas les criminels complètement impunis. "Pour moi, ce qui a changé en 1945, c'est que pour la première fois, les États se sont accordés sur le principe que l'État n'a pas le droit de faire n'importe quoi avec ses citoyens", ce qui amène ainsi à des sanctions vis-à-vis de certains dirigeants. "Il y a quand même des tribunaux internationaux et des inculpations. Il y a quand même une conséquence qui est que M. Poutine est empêché de voyager n'importe où, M. Netanyahou ne peut pas aller où il veut. Et ça, c'est quand même un changement, observe Philippe Sands. Beaucoup diront que ce n'est pas assez, mais c'est plus que rien."

Festival Un état du monde, 15e édition. Cinéma en débat(s). Du 24 au 31 janvier 2025 au Forum des Images. Philippe Sands est pour sa part présent au festival du 26 au 28 janvier.

Le regard littéraire de Lola Lafon sur l'actualité

L’écrivaine Lola Lafon se dit pour sa part "émue" d’être l’invitée de Tout Public en ce jour "très particulier", pour elle dont "90% de [sa] famille est morte pendant la Shoah". Son livre Il n’a jamais été trop tard est à part dans la production littéraire de l'autrice, et regroupe les articles qu’elle a écrits pour le journal Libération depuis 2023, où elle partage ses observations sur l’actualité. Un recueil qui articule grande et petite histoire, explique-t-elle. "Il y a l'histoire qui restera dans l'Histoire si j'ose dire, et faite de tous les événements d'actualité. Et puis il y a notre actualité, celle qui ne rentre pas dans l'Histoire, les choses qu'on vit intimement, et notre réaction par rapport à l'actualité. C'est ça que j'ai voulu consigner, le mélange de ces deux choses."

"Aujourd’hui, on commémore. Et le problème, c'est qu'on a beau commémorer, on ne se remémore pas."

Lola Lafon

à franceinfo

Au sujet des guerres actuelles, notamment entre la Palestine et Israël, Lola Lafon soutient que la commémoration passe avant tout par le dialogue. "Si on n'arrive pas à supporter une conversation, à entrer dans un échange, et qu’on n’accepte pas d'entendre le fait que les gens sont des individus, que ce soit en Israël ou en Palestine (…), pour moi il y a une inquiétude." Une affirmation que l’avocat Philippe Sands partage, pour qui la conversation est également le meilleur moyen de faire face aux horreurs que l’humanité a commises et continue de commettre. "Parler au sein des familles, entre amis, dans les communautés" joue en effet, selon le juriste, un rôle plus décisif que la justice internationale elle-même, car, comme l'explique Lola Lafon, le dialogue permet de "s'entendre" et de dépasser la "confrontation". "Ce qui ne veut pas dire pardonner", nuance l’écrivaine.

Il n'a jamais été trop tard (Stock), disponible dès maintenant en librairie.

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