"Le 7-Octobre aurait dû susciter un élan de sympathie et de solidarité. Il a, au contraire, libéré et décomplexé une violence qui ne demandait qu’à s’exprimer", déclare Raphaël Enthoven, essayiste et professeur de philosophie.

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L’essayiste et professeur de philosophie Raphaël Enthoven était l’invité de l’émission "Tout est politique", diffusée sur franceinfo lundi 7 octobre. Il a répondu aux questions de Sonia Chironi et Nathalie Saint-Cricq, notamment sur la commémoration des attaques du 7 octobre, la montée de l’antisémitisme en France et la perception d’Israël depuis un an.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.


Sonia Chironi : Vous avez pris un certain nombre de positions, certaines parfois controversées. Tout d’abord, en ce jour de commémoration, quel message souhaitez-vous faire passer ce 7 octobre ?

Raphaël Enthoven : Je n’ai pas de message particulier à transmettre. Je peux simplement témoigner d’une tristesse infinie, qui ne me quitte pas depuis le 7-Octobre. C’est un mélange d’apnée et de chagrin : d’apnée, parce qu’il reste encore, à l’heure où nous parlons, des otages retenus dans des tunnels ; et de tristesse, parce que cette série d’attentats, ce crime contre l’humanité du 7-Octobre, a marqué un tournant. Elle a bouleversé la vie de beaucoup de personnes, et la mienne aussi.

Sonia Chironi : Cela a donc changé votre vie ?

Raphaël Enthoven : Oui, absolument. Cet événement a profondément transformé ma vie. Pour la première fois, je me suis senti véritablement juif. C’est assez surprenant, d’ailleurs, car jusqu’alors je me sentais juif uniquement à travers le regard haineux que certains portaient sur moi. Et alors même que cette haine n’a jamais été aussi virulente, j’ai découvert une manière plus positive, plus intime, de vivre cette identité. Cela s’est fait progressivement, presque à mon insu.

Sonia Chironi : Il y a eu, bien sûr, la barbarie du 7-Octobre, mais aussi ce qui a suivi : la guerre à Gaza, et surtout l’explosion des actes antisémites. En 2024, on en a recensé 1 570, un chiffre qui a littéralement bondi après le 7-Octobre. Les courbes sont frappantes : tout commence à ce moment-là. Avez-vous trouvé une explication à ce phénomène ?

Raphaël Enthoven : C’est, à mes yeux, l’un des faits les plus stupéfiants. A priori, on aurait pu penser qu’un crime d’une telle ampleur susciterait un élan de compassion et de solidarité. Il a, au contraire, libéré une violence latente qui ne demandait qu’à s’exprimer. Cet attentat, qui aurait dû provoquer une sympathie mondiale, a au contraire déclenché un déferlement de haine comme on n’en avait plus vu depuis les années 1930 et je crois même que c’est pire aujourd’hui.

Ce nouvel antisémitisme a ceci de particulier qu’il ne se reconnaît plus comme tel. Il se perçoit comme une forme d’humanisme, comme un amour du genre humain. Et pourtant, il est tout aussi virulent que celui qui, jadis, assumait ouvertement la haine des Juifs. À l’abri du mot "sioniste", ou d’autres subterfuges, il prospère souvent à l’insu même de ceux qui le diffusent.

Nathalie Saint-Cricq : Comment expliquez-vous cela ? Est-ce un phénomène idéologique ancien, qui trouve ses racines dans l’histoire ? Est-ce la conséquence de l’ignorance, ou de la bêtise ? Et puis, pourquoi cette assimilation systématique entre judaïsme et sionisme ? Pourquoi cette bascule qui fait passer le Juif, autrefois perçu comme victime, au rang de bourreau ?

Raphaël Enthoven : C’est en effet une invraisemblable inversion accusatoire. Le 7-Octobre, Israël a été la cible d’une attaque. Et pourtant, la victime de cette agression a été présentée comme le bourreau de ceux auxquels elle répondait. C’est un schéma récurrent.

Je me souviens, par exemple, de cet épisode au Daghestan : un avion en provenance d’Israël y faisait escale, et une foule s’était rassemblée pour en lyncher les passagers. À ce moment-là, la députée insoumise Alma Dufour avait déclaré qu’il fallait que les Juifs cessent de "payer pour la politique de Benyamin Nétanyahou". Autrement dit, même face à une tentative de pogrom, la responsabilité leur revenait encore.

L’antisémitisme contemporain se manifeste ainsi : par une inversion accusatoire qui fait du Juif le coupable de tout, y compris des violences qu’il subit.


Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.

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