Vincent Delerm dessine la fresque du quotidien dans un nouvel album : "En écrivant sur les autres, on écrit aussi sur sa solitude à soi"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 6 juin 2025 : l'auteur, compositeur et interprète Vincent Delerm. Son huitième album, "La fresque" sort aujourd'hui.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Vincent Delerm, à Paris, le 3 juin 2025. (STÉPHANE GEUFROI / MAXPPP)
Vincent Delerm, à Paris, le 3 juin 2025. (STÉPHANE GEUFROI / MAXPPP)

À la naissance Vincent Delerm n'a pas poussé son premier cri, mais sa première déclamation à la naissance, tant le verbe et les mots l'ont bercé déjà dans le ventre de sa mère. C'est François Morel qui a été le premier à y croire, puis Thomas Fersen, au point d'ailleurs qu'il a reçu une Victoire de la musique dès la sortie de son premier album. Le 5 juin 2025, il sort son huitième album, La fresque, un portrait sans fioritures ni paillettes, autant de l'homme, que de l'artiste qu'il est.

franceinfo : Ce qu'on entend, c'est votre sérénité. Est-elle vraiment présente ?

Vincent Delerm : Je ne saurais pas trop dire, mais c'est drôle cette idée que cet album, ce soit moi, parce que vraiment le point de départ, c'est l'idée de parler essentiellement des autres. C'est sûr que c'est forcément aussi sous l'angle de savoir comment les autres vous fabriquent, comment vous voulez un peu les imiter. Même quand on a l'impression d'avoir une personnalité propre, on est quand même très fabriqué par tous ces gens autour de nous, donc, c'est un peu le moment d'évoquer un peu les autres en général.

Dans le titre, Se plaire, vous chantez, "J'ai espéré cette histoire, vous plaire pourvu et c'était comme une manière de dire aux autres dans cette lumière, vous m'avez plu". Vous adoptez une écriture poétique et romantique. Les mots sont-ils responsables de cette libération émotionnelle, entre guillemets, qui est arrivée au fil du temps ?

Quand on fait de la scène et quand on fait des métiers comme ça, c'est sûr qu'il y a un petit truc à psychanalyser dans l'envie d'embarquer les gens. Ce n'est pas très naturel de s'avancer sur une scène devant 200 ou 800 personnes et de réclamer le fait d'être écouté. Finalement, si quelqu'un vous dit : "Au fait dans cette soirée, il y a trois semaines, il y a un mec qui ne te connaissait pas, qui a discuté avec toi, il a vachement aimé comment t'étais". Ça nous fait toujours un effet très fort. Ce sont les choses qui nous font le plus vibrer quand même, beaucoup plus que de manger dans un Relais et Châteaux.

Vous chantez l'importance des silences et de l'importance des personnes qui savent entendre nos silences et les comprendre. Quelle place occupent ces silences dans votre vie ?

C'est l'idée d'intensité, ce sont les moments où on vit un truc fort, c'est-à-dire être paumé dans une forêt à huit ans et demi, la nuit qui tombe, ce n'est pas tellement un souvenir agréable, mais c'est un souvenir qui va être très intense pour toute votre vie. À chaque fois qu'il y aura un truc du même genre, ça va vous revenir. Être traversé par ces choses-là, c'est sûr que c'est important. En effet, il y a une catégorie de gens qui a l'habitude de parler très fort, de tout commenter et d'avoir un avis sur tout. Mécaniquement, cette catégorie-là, on l'entend beaucoup. Il y a aussi beaucoup de gens qui vivent des choses très intenses, mais sans chercher forcément à les reformuler tout de suite, qui gardent le silence et qui restent à leur place aussi.

"Savoir rester à sa place, c'est une preuve de bonne conscience des choses."

Vincent Delerm

à franceinfo

Être capable de s'oublier un peu, soit le temps d'une lecture, le temps de voir un film ou le temps d'aller voir un concert, c'est très anachronique par rapport à tout ce qui se passe dans notre époque où chaque personne est incitée à donner tout de suite son avis. Ces gens un peu silencieux, c'est sûr que c'est touchant.

L'amour reste au cœur de cet album, notamment avec la chanson Lonesome. Est-ce que vous êtes un "lonesome cowboy" comme Lucky Luke ?

Il n'est pas souvent amoureux Lucky Luke, mais c'est sûr que le sentiment amoureux m'a beaucoup guidé dans beaucoup de textes, de chansons et notamment les amours de ville comme cette chanson. J'aimais bien cette idée d'un truc très épique de quitter une soirée avec plein de monde et de traverser la ville en solitaire, puis de rejoindre une personne.

"J'ai mis une musique qu'on a voulu faire très cowboy et très Morricone, parce que souvent, les gens ont un peu l'habitude de penser que leur vie n'est pas passionnante."

Vincent Delerm

à franceinfo

Ils bradent un peu ça alors qu'en fait au fond d'eux, il trouve ça vraiment très important et pour eux, c'est très intense. Donc ces émotions-là, elles sont quand même, selon moi, plus spectaculaire que le fait de se suspendre à un fil d'acier au-dessus du Stade de France.

Longtemps, vous vous interrogiez sur vous-même comme un personnage avec un système de monologue intérieur. Ce qui ressort dans cet album, c'est que ce monologue intérieur est devenu un dialogue avec l'auditeur. Est-ce que ce n'est pas ça qu'il faut retenir de cet album ?

J'aime bien cette idée de plein de solitudes, côte à côte, qui peuvent se ressembler aussi. En arrivant à Paris, c'est une idée qui s'est beaucoup imposée parce que j'avais 25 ans, avant, je vivais dans un village chez mes parents. Après j'ai fait mes études à Rouen, qui est une ville où il y a beaucoup plus d'espace, où on est beaucoup moins au contact les uns des autres. À Paris, je me disais, c'est fou tous ces gens, on se frôle du bras dans le métro, dans des salles de concert et on ne sait pas du tout ce que pensent les gens, à côté de vous et ça m'a toujours un peu troublé cette idée. C'est sûr qu'en écrivant sur les autres, on écrit aussi sur sa solitude à soi. Il faut un contre chemin, je pense, pour garder un peu quand même des vitamines, au moins pour résister à tout ce qui ne va pas trop bien.

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