Mstylav Chernov montre la réalité de la guerre en Ukraine dans un documentaire : "C'est très difficile de parler de la souffrance de la mort d'un autre"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 22 septembre 2025, le reporter de guerre et réalisateur ukrainien Mstyslav Chernov. Son nouveau documentaire, "À 2 000 mètres d'Andriïvka" sort mercredi.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Mstyslav Chernov, le 6 septembre 2025. (LOIC VENANCE / AFP)
Mstyslav Chernov, le 6 septembre 2025. (LOIC VENANCE / AFP)

Mstyslav Chernov est photographe, photojournaliste, correspondant de guerre et cinéaste ukrainien. Il a reçu le prix Knight International Journalism Award, le prix Pulitzer de la photographie en 2023 et l'Oscar du meilleur film documentaire pour 20 jours à Marioupol, qui a affecté le monde entier, en 2024. Le 24 septembre, il sort À 2 000 mètres d'Andriïvka, un autre documentaire, il suit caméra au poing et presque à même le sol, les soldats ukrainiens du troisième régiment d'assaut, lancés dans une contre-offensive pour récupérer le village d'Andriïvka, pris par les Russes.

franceinfo : 2 000 mètres, ça semble tellement facile quand on court. C'est dix minutes pour y arriver, c'est deux minutes en voiture, sauf que là, ça va durer des mois. Ce documentaire est né pour montrer que les Ukrainiens ne lâcheront jamais ?

Mstyslav Chernov : Ça, c'est probablement l'arrivée. L'origine, c'est en 2023, quand nous projetions le film 20 jours à Marioupol, je me souviens avoir été invité à des tapis rouges, des cocktails pour présenter le film et pendant ce temps-là, les lignes de front en Ukraine étaient en feu, on arrivait à un stade où on n'avait jamais vu ça depuis la Seconde Guerre mondiale. La fracture entre ces deux mondes m'a donné envie de faire un film sur le rapport à la distance justement. Le film s'appelle À 2 000 mètres d'Andriïvka. C'est justement la distance que doivent parcourir ces soldats pour libérer le village, mais en même temps, c'est la distance entre la société ukrainienne et les lignes de front, entre l'Occident et ce qui se passe en Ukraine.

Ça fait froid dans le dos, ça fait peur. On vous voit par moments vaciller, les mortiers tombent juste à côté de vous. Est-ce que vous avez eu peur pour votre vie ?

Oui, j'ai eu peur de mourir, mais en même temps, le danger qu'on encoure, nous journalistes, n'a rien à voir avec celui que les soldats endurent au quotidien. Nous, on va et on vient, eux, ils sont sur place. C'est très difficile de parler éthiquement justement, de la souffrance de la mort d'un autre. Je pense qu'il faut avant tout l'avoir vu, l'avoir vécu d'une certaine manière, l'avoir ressenti et ne pas être simplement quelqu'un qui observe de l'extérieur, si on veut parler en leur nom.

Vous racontez qu'enfant, en Ukraine, vous appreniez à monter et démonter une kalachnikov. Vous avez reçu une formation militaire très jeune et pendant très longtemps, vous ne compreniez pas, ça n'avait aucun sens, vous disiez tous entre vous, "On n'a pas d'ennemi".

Je pense que, en tant qu'enfant, je ne comprenais pas pourquoi on nous apprenait à monter des armes parce qu'on ne ressentait pas de danger spécifique. On avait au contraire un lien culturel très fort qui se déployait entre les deux pays et c'est un danger que je n'ai jamais ressenti, mais qui était sous-jacent. En fait, je pense à la région du Donbass, toutes ces régions-là avaient un souvenir beaucoup plus fort puisque l'Union soviétique avait longtemps été un ennemi de ces régions.

"Après l'effondrement de l'U.R.S.S., beaucoup de citoyens ukrainiens savaient que ce n'était qu'une question de temps avant que la Russie essaye à nouveau de se réapproprier certaines régions."

Mstyslav Chernov

à franceinfo

Malheureusement, beaucoup de gens, n'avaient pas anticipé ce qui allait se passer et ils le regrettent aujourd'hui. Mais en même temps, le plus effrayant, c'est que beaucoup de gens en Europe ne mesurent pas justement l'imminence de ce même danger. J'espère que les citoyens européens reconnaîtront ça, parce que les Ukrainiens ont justement fait l'erreur de ne pas voir que la guerre était si imminente.

Est-ce que le peuple ukrainien se sent soutenu ou abandonné par cette Europe ?

Il y a toujours eu un fort soutien, particulièrement de la part de l'Europe bien sûr. Mais j'ai l'impression qu'après la grande réunion entre Trump et Zelensky, en février 2025, beaucoup d'Ukrainiens se sont rendu compte qu'en réalité, le soutien est temporaire. Il est limité dans le temps et il est lié à des contingences politiques qui sont liées aux gens qui sont directement au pouvoir. Un pays allié peut changer d'avis, évidemment, et en fin de compte, la seule personne à laquelle on peut se fier, c'est notre voisin direct.

Ce qui est incroyable, c'est ce que dit ce soldat, "de toute façon, pour moi, tout va repousser, on va y arriver, on va gagner". Il est rempli d'espoir, est-ce que c'est le message du film ?

Oui, absolument et c'est ce que j'ai découvert en faisant le film. C'est ce que je cherchais en tant que réponse, en tant que message d'espoir.

"J'ai couvert un certain nombre de guerres, n'importe quelle forme de guerre génère en moi, un grand pessimisme, mais en même temps, j'ai envie de croire."

Mstyslav Chernov

à franceinfo

J'ai envie qu'il ait raison dans son raisonnement parce que c'est chez moi ici.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.