La primatologue Shelly Masi raconte sa vie parmi les gorilles, une "société démocratique"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 15 mai 2025 : Shelly Masi, primatologue et maître de conférences. Elle publie "Queen Kong, la loi de la jungle au féminin", aux éditions Albin Michel.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
La primatologue Shelly Masi, à Paris, en 2015. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
La primatologue Shelly Masi, à Paris, en 2015. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Shelly Masi est primatologue et maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle. Elle est la seule spécialiste française des gorilles et a de fascinant ce qu'avait Diane Fossey. Elle marche, sans conteste, sur les traces de son père, professeur en géochimie, d'abord à Rome, puis en Éthiopie, avec cette envie de découvrir la vie animale et humaine. Le 14 mai 2025, elle a publié Queen Kong, la loi de la jungle au féminin chez Albin Michel. Un ouvrage dépaysant qui nous plonge, presque dans l'humidité et l'hostilité difficile de la jungle, avec comme protagonistes les gorilles. Voilà 25 ans qu'elle les observe en République centrafricaine, aux côtés de ses pisteurs bayaka.

franceinfo : Vous êtes davantage fasciné par la détermination et la place occupée par les femelles, une place jusqu'alors insoupçonnée, voire totalement inconnue, car écrasée par l'image des colosses mâles.

Shelly Masi : Oui, et en fait, quand je suis arrivée dans la jungle, j'ai adoré les dos argentés, mais au fur et à mesure des années, j'ai vu que les femelles étaient "un peu plus intelligentes". Elles devaient se débrouiller pour gagner leur place, pour manger, pour s'éloigner si elles ne sont pas des femelles dominantes, donc elles ont des comportements un peu plus intéressant.

Vous êtes spécialiste des gorilles des plaines, donc de l'Ouest. C'est totalement différent de ceux que nous a mis en avant Diane Fossey. Quelle est la différence entre les deux espèces ?

Les gorilles des montagnes sont connus depuis les années 1970, mais ils vivent dans les montagnes où il n'y a pas beaucoup d'arbres et il n'y a pas beaucoup de fruits. Ils mangent des plantes herbacées et ça fait qu'il n'y a pas une forte compétition alimentaire entre les individus du même groupe.

"Par contre, les gorilles des plaines de l'Ouest sont beaucoup moins étudiés parce qu'ils sont un peu plus difficiles à approcher. Ça prend huit ans pour les habituer et donc on les connaît beaucoup moins."

Shelly Masi

à franceinfo

Dans les forêts des plaines, il y a beaucoup plus d'arbres, donc ils mangent beaucoup plus de fruits et le fait qu'ils mangent des fruits permet d'avoir une espèce de hiérarchie dans le groupe plus forte que celle qu'on observe chez les gorilles de montagne. Imaginez, le groupe arrive à l'arbre, il y a quatre gros fruits mûrs, les dos argentés prennent trois fruits, la femelle dominante prend le dernier fruit qui reste et les autres femelles n'ont rien en manger. Donc elles doivent aller chercher dans d'autres endroits, d'autres choses et la compétition fait qu'il y a des comportements différents entre les individus et c'est ça qui est intéressant.

Vous nous prenez par la main dans cet ouvrage, on a l'impression d'être avec vous au cœur de la jungle et on a mal pour vous. Vous racontez par moments les centaines de tiques sur votre corps. Vous avez attrapé des maladies dramatiques.

Même à Paris, ils n'ont même pas trouvé ce que c'était. J'étais malade pendant un an parce qu'ils n'arrivaient pas à me soigner, parce que c'étaient des maladies peut-être des gorilles, qui n'étaient pas connus c'est ça le problème.

Il y a environ 360 000 gorilles des plaines, parce qu'on ne peut pas tout répertorier. Vous tirez la sonnette d'alarme aussi sur la déforestation, sur les gestes citoyens qu'il faut faire, comme de ne plus consommer d'huile de palme pour éviter ça.

On sait que les grands singes sont en disparition et on pense que ce sont les actions locales qui mettent en danger la forêt, mais ce n'est pas vrai. C'est notre style de vie aussi qui a un impact énorme sur les forêts tropicales, comme l'huile de palme, mais aussi le coltan qui est le matériel qui est utilisé dans les microprocesseurs de tous les portables et ordinateurs. Si on change tous les ans de téléphone, on a un impact énorme parce que ce minéral est extrait dans les forêts tropicales, surtout au Congo où il y a les gorilles et donc les projections sont un peu sombres. 

"On pense que si la disparition de la forêt continue comme aujourd'hui, les gorilles pourront disparaître d'ici 50 ans, donc ma fille ne pourra pas voir les gorilles comme moi dans la forêt."

Shelly Masi

à franceinfo

Un mot sur ce terme les Queen Kong, elles nous enseignent qu'il y a une loi de la jungle au féminin et qu'il faut en tenir compte.

Oui, parce qu'on en voit toujours les dos argentés. On a toujours pensé à partir des études sur les gorilles des montagnes, que c’étaient eux les chefs, qui décidaient de tout. Finalement, on voit que la société des gorilles est beaucoup plus démocratique et la chose intéressante, c'est que le mâle, bien qu'il soit dominant sur la nourriture, entend les autres. Un bon leader, c'est aussi celui qui prend en compte les avis des autres.

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