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Témoignages
"Ce n’est pas normal de vivre dans la peur" : face aux attaques et menaces du "DDPF", ces surveillants de prison se confient
Depuis mi-avril, les surveillants pénitentiaires subissent une vague d’attaques nocturnes dans plusieurs régions de France. Des voitures sont brûlées, des portes criblées de balles d’armes de guerre, devant les prisons mais aussi parfois, au domicile même des agents.
Quatre surveillants du centre pénitentiaire de Valence (Drôme) ont accepté de se confier à franceinfo à condition de rester anonymes et de ne pas se rencontrer sur le domaine de la prison, ni chez eux. Un lieu neutre et discret est choisi. Valence est une des premières prisons qui a été touchée au cours de la nuit du 14 au 15 avril. Un homme encagoulé est arrivé à trottinette sur le parking des personnels et a signé son forfait des quatre lettres qui affolent maintenant la profession : "DDPF".
"On était en service de nuit. Une collègue a signalé des flammes sur le parking. Sur le retour des caméras de surveillance, on a pu voir l’individu en train de vider des jerricans d’essence et de mettre le feu, raconte Carlos*, un surveillant de 27 ans. Le temps d’appeler les pompiers et la police, "c’était trop tard", poursuit-il.
"Mon véhicule est une épave. À l’intérieur, les sièges autos et les poussettes de mes enfants sont partis en fumée. Du matériel professionnel que ma femme y avait laissé également. On se sent attaqués dans notre intimité."
Carlos*, un surveillant de Valenceà franceinfo
Le médecin l'a mis en arrêt, accident de travail. "Avec tout ce qui passe aujourd’hui et l’impact psychologique, honnêtement, je ne retournerai pas tout de suite travailler dans un environnement carcéral", avoue Carlos*, dépité de voir que son épouse à la maison n’ose plus s’approcher des fenêtres, ni de la porte d’entrée ces derniers jours. Sa fille de 6 ans ne veut plus aller à l’école et les nuits sont devenues compliquées avec un sommeil haché pour toute la famille. "Je me dis que ce n’est pas normal de vivre dans la peur comme ça à cause de son emploi. Et dans l’histoire, ça me tourmente que ma famille soit obligée de subir, de payer même mon choix professionnel", ajoute le jeune homme. Carlos* a reçu les appels du préfet et de sa hiérarchie juste après l’attaque mais les jours passant il se sent moins accompagné. Sa voiture est à la fourrière, l'assurance refuse de couvrir le dommage qu’elle estime lié à son travail. Et il n’y a pas d’indemnisation de l’administration pénitentiaire pour le moment.
Se lever chaque matin en se demandant où ça a frappé
Constater que les jours suivants, d’autres collègues ailleurs en France ont subi des attaques du même genre a évidemment ajouté au trouble des surveillants pénitentiaires de Valence. Il y a eu d’autres incendies et des faits d’une plus grande violence encore. En Isère, département voisin de la Drôme, cette semaine un pavillon de Villefontaine a été directement visé et l’attaque menée à la Kalachnikov a carrément été filmée, la vidéo de revendication publiée sur les réseaux sociaux.
On y voit en gros plan une silhouette noire qui rafale cette maison. La porte est en flamme. En fait, l’assaillant s’est trompé, a visé la maison du voisin d’un surveillant pénitentiaire, mais l’intimidation est maximale. À Meaux, le hall d’immeuble d’une surveillante a été incendié. Elle a dû quitter son logement. La communauté pénitentiaire est branchée sur les informations, se lève chaque matin en se demandant si et où ça a frappé cette nuit.
"J’ai regardé plusieurs fois les images de Villefontaine. Je n’en revenais pas. C’est vraiment effrayant. Imaginez si un tir touchait un conjoint ou des enfants de surveillants. C’est glaçant", commente Arlette*, surveillante à Valence et mère de famille, qui confie que "tout ça l’a rendue plus vigilante".
"Sur la route du retour du travail, je surveille toujours bien dans les rétroviseurs pour vérifier qu’aucun véhicule ne me suit."
Arlette*, surveillante à Valenceà franceinfo
"Si c’était le cas, je ne tournerai pas vers la maison, j’essayerai de brouiller les pistes, explique Arlette*. Mais de toute façon s’ils voulaient nous trouver, ils nous trouveraient. Même s'ils ne le devraient pas, ils connaissent nos prénoms, nos noms et même parfois nos adresses. En détention, les murs ont des oreilles, tout se sait", ajoute la quadragénaire. Par précaution, Arlette suit scrupuleusement les nouvelles consignes de sa direction : ne plus porter l’uniforme en dehors des murs de la prison, ne plus rien écrire sur les réseaux sociaux.
"Des menaces directes" de certains prisonniers
Le sigle "DDPF" pour "défense des prisonniers français", tagué à chaque attaque, interroge forcément les surveillants pénitentiaires. Comme le garde des Sceaux Gérald Darmanin, ils ont tendance à désigner les gros trafiquants de drogues qui réagiraient car le gouvernement dit vouloir frapper au cœur le crime organisé. Ces attaques seraient comme des représailles en réponse notamment à la mise en place de deux prisons haute sécurité où ces criminels "gros profils" sont censés être tous concentrés à partir de cet été, à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, puis aussi à Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne. Le modèle choisi est celui des prisons anti-mafia italiennes. Cette politique mettrait le milieu à cran.
Tout cela arrive aussi dans un contexte de surpopulation carcérale inédite qui complique la détention de manière générale. "Derrière les barreaux, il y a beaucoup de problèmes qu’il faudrait régler, concède Marine*, surveillante pénitentiaire valentinoise de 27 ans. Des milliers de détenus dorment au sol. C’est vrai, leurs conditions sont parfois indécentes". Mais selon elle, s’en prendre à sa profession, c’est se tromper complètement de combat. "Ils ne s’en prennent pas aux bonnes personnes."
"Pourquoi s’en prennent-ils à nous ? Ce n’est pas nous, en bas de l’échelle, qui prenons les décisions."
Marine*, surveillante à Valenceà franceinfo
"Qu’ils laissent les surveillants pénitentiaires tranquilles, s’agace Marine, qui déplore une tension croissante dans les coursives ces derniers jours. "Certains sont respectueux mais il y a des détenus plus compliqués qui profitent de cette situation, qui savent qu’on va au travail la peur au ventre et s’amusent, par exemple, à glisser des petits mots sous la porte avec écrit : ‘On va vous envoyer la DDPF’. Ça s’apparente à des menaces directes", raconte la jeune femme qui dit trouver du réconfort dans la solidarité entre collègues.
Les syndicats pénitentiaires jouent aussi la proximité plus que jamais pour rassurer les agents mais entendent aussi faire pression sur le gouvernement. "Certes, l’enquête est une enquête antiterroriste, ça explique qu’on ne puisse pas avoir les détails des premiers éléments, reconnaît Jérémy Moncelon, représentant FO-Pénitentiaire à Valence. Mais là on n’a rien du tout. On doit se contenter d’un tweet du garde des Sceaux qui dit qu’il y a zéro interpellation à ce stade. Les agents lisent ça et se disent que c’est une triste blague !".
*Tous les prénoms ont été modifiés
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