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Reportage
"Pourquoi en France, je n'y aurais pas accès" : avant la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb, l'acétamipride au cœur de la discorde
Le Conseil constitutionnel rend sa décision jeudi sur la loi Duplomb et la réintroduction de l'acétamipride. Dans le Lot-et-Garonne, les producteurs de noisette espèrent sauver leur récolte grâce à cet insecticide. Mais des apiculteurs et des riverains alertent sur ses effets délétères pour les abeilles et la santé humaine.
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Il suffit de quelques minutes seulement à Grégory Bordes, producteur de noisette de la coopérative Unicoque, pour trouver dans l'un de ses arbres ce qu'il appelle son "cauchemar" : la punaise diabolique. "Il y a deux adultes, et ils sont en train de se reproduire, tout simplement, montre-t-il. Dans quelques jours, la femelle sera en capacité de pondre 15 à 20 nouvelles punaises, qui vont se déployer dans deux à trois semaines. Il y a un effet multiplicateur terrible". Ces petits insectes de presque deux centimètres ravagent ses cultures.
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer en début de soirée jeudi 7 août sur la loi Duplomb. Un texte qui contient une mesure phare : la réautorisation, sous conditions, de l'acétamipride. Cet insecticide utilisé pour protéger certaines cultures de nuisibles est considéré comme nocif pour la biodiversité et potentiellement dangereux pour la santé humaine. La décision est très attendue par des professionnels comme Grégory Bordes, qui va jeter la moitié de sa récolte à cause de ces punaises arrivées d'Asie.
"On est impuissant"
"Quand on voit une punaise sur un bouquet de noisettes, vous repérez les traces de piqûres de l'insecte, alors la noisette n'est pas bonne, déplore le producteur. Et face à ça, il n'y a pas de prédation ou très peu de prédations naturelles qui se fait". En 2024, Grégory Bordes a eu plus de 50% de pertes, à cause aussi d'un autre parasite, le balanin, d'où la nécessité, selon lui, de réautoriser l'acétamipride pour se débarrasser de ces insectes. Toute la filière joue sa survie à très court terme, selon ce producteur : "On est impuissant. On voit la situation se dégrader déjà depuis 2021, puisqu'en 2020, la filière noisette a utilisé pour la dernière fois l'acétamipride. Quand vous avez pioché dans toutes les réserves, de votre exploitation comme de votre coopérative, à un moment donné, quand il n'y a plus d'argent, il n'y a plus d'argent !"
Quant aux alertes des médecins et des chercheurs, ces dernières semaines, sur les potentiels dangers de l'acétamipride sur la santé, Grégory Bordes pointe qu'"une agence sanitaire européenne autorise cette matière active jusqu'en 2033. Je ne vois pas pourquoi en France, je n'y aurais pas accès, étant donné qu'on fait partie pleinement de l'Europe". Surtout que l'acétamipride est utilisé partout ailleurs en Europe insiste le producteur, dépité.
Beaucoup d'habitants soutiennent les producteurs
Le débat sur la loi Duplomb, dans le Lot-et-Garonne, premier département producteur de noisette prend évidemment une dimension particulière. À Cancon, dans le nord du département, la petite ville d'un peu plus de 1 000 habitants est surnommée la "capitale de la noisette". Au milieu des champs de noisetiers tout autour, avec une boutique spécialisée dans la noisette en bord de route nationale, beaucoup d'habitants soutiennent les producteurs locaux. "C'est important, au moins, la noisette est française", dit une femme. "Nos produits de la région, il y a un attachement", abonde un homme. "Pourquoi en France on nous emmerde comme ça, avec toutes les normes possibles et à l'étranger, on ne dit rien du tout", s'insurge une autre.
Mais d'autres, au contraire, sont contre cette loi Duplomb. "Tous ces gens derrière leur bureau ne réalisent pas les dégâts que ça va produire", affirme Édith, une retraitée qui s'inquiète déjà pour sa santé à cause des autres pesticides utilisés dans ce département agricole. "En face de chez nous, il y a un immense champ de noisetiers, continue l'habitante. Les pesticides, avec le vent, ça vient chez nous aussi. J'évite d'étendre mon linge, j'évite de sortir, je rentre mes animaux, mais je ne peux pas tous les rentrer. J'ai des ânes et des poules, ils sont à l'extérieur". Édith fait partie des plus de deux millions de Français qui ont signé la pétition en ligne contre le texte.
La filière apicole inquiète
En parallèle, d'autres citoyens se mobilisent aussi contre cette loi Duplomb, par inquiétude pour la biodiversité. Les apiculteurs sont en première ligne. Sur un marché, derrière ses pots de miels alignés sur son stand, Alexia Castanet, une jeune apicultrice fraîchement installée dans le Lot-et-Garonne, est très préoccupée. "Ça me fait peur, les insecticides vont contribuer à tuer nos colonies, explique l'apicultrice. L'acétamipride va avoir une fonction dégénérative sur le système nerveux de l'insecte donc ça désoriente complètement les abeilles. Elles ne vont pas être en capacité de revenir à la ruche et elles vont mourir."
Le retour de l'acétamipride viendrait s'ajouter à d'autres problèmes. La filière apicole, comme celle de la noisette, est fragilisée. Jusqu'à 30% des abeilles domestiques meurent chaque année à cause aussi d'une espèce exotique et du dérèglement climatique. "On a les attaques de frelons asiatiques justement en fin d'été, début d'automne. Ça décime une ruche ou ça l'affaiblit grandement. Cette année, on a fait un très beau début de saison, et les fortes chaleurs de mai, juin ont asséché les fleurs. J'ai fait - 90% sur le tournesol par rapport à l'objectif qui était fixé".
Cette apicultrice appelle à développer des alternatives à l'acétamipride plutôt que réautoriser l'insecticide. Dans le Lot-et-Garonne des travaux sont en cours parmi les pistes à l'étude : une microguêpe pour débarrasser les noisetiers de la punaise diaboliques ce n'est pour l'instant qu'une expérimentation.
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