Reportage
"On sait très bien que si on reste comme ça, on va dans le mur" : dans les Alpes, certaines stations de ski sont en "survie" quand d'autres battent "des records"

Menacée par le réchauffement climatique, la station du Grand Serre, en moyenne montagne pourrait bien vivre sa dernière saison, alors que sa voisine l'Alpe d'Huez, en haute montagne, bat des records de fréquentation chaque année.

Article rédigé par franceinfo
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Une vue de la station de l'Alpe du Grand Serre, en Isère. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Une vue de la station de l'Alpe du Grand Serre, en Isère. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

En pleines vacances de février, direction les Alpes iséroises où les stations de ski vivent des saisons aussi contrastées que leur altitude. Nous partons d'abord en moyenne montagne, à la station de l'Alpe du Grand Serre, sur La commune de la Morte, à un peu plus de 1 300 mètres, en première ligne face à la montée des températures. Elle pourrait bien vivre sa toute dernière saison.

Au pied des pistes, près du vieux télésiège, le magasin de location de skis de Lionel est une affaire familiale, de plus de 60 ans. Mais aujourd'hui, elle est menacée, comme toute la station. La neige, inlassablement, recule.

"Je ne veux pas faire l'ancien, mais oui, on voit que les enneigements sont plus aléatoires au fur et à mesure des années".

Lionel, propriétaire d'un magasin de location de skis

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"On a des hivers très bien enneigés et, derrière, on a des hivers très délicats, constate Lionnel. L'année dernière, on avait de la neige en altitude et sur les 400 derniers mètres, les gens devaient déchausser et finir à pied. Tous les jours, les enfants rentrent avec les skis pleins de boue, les combinaisons pleines de boue. Là, ce n'est pas évident..."

Ces 50 dernières années, à cette altitude, la station a perdu un mois d'enneigement. La fréquentation de l'Alpe du Grand Serre a dégringolé, avec des millions d'euros de pertes. En octobre dernier, quand la communauté de communes coupe les financements, la station est alors condamnée, jusqu'à une ultime rallonge pour tenir cet hiver, grâce à des centaines de milliers d'euros de dons.

La station de l'Alpe du Grand Serre, en Isère. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
La station de l'Alpe du Grand Serre, en Isère. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Depuis, chacun espère un repreneur, pour encore une saison de plus. "Le ski, c'est toute ma vie. C'est toute mon histoire", explique Yoann. Il est moniteur de ski et habite à La Morte depuis 33 ans.

"On est en sursis aujourd'hui. Si vous coupez le ski à l'Alpe du Grand Serre, vous tuez le village. Et pas seulement le village, la vallée".

Yoann, moniteur de ski

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"Les 200 emplois qui sont là, ce sont des gens qui rayonnent et qui ne sont pas seulement sur les Alpes du Grand Serre, estime Yoann. Ce sont des familles qui ne s'installeront pas, c'est l'école qui meurt. Donc il faut préserver ça le temps qu'on peut. Et puis surtout, il faut s'en servir pour penser la suite".

Randonnée, vélo, escalade, projet de remontée mécanique... la commune cherche des solutions

La commune garde espoir et voudrait sortir du tout ski en misant sur la randonnée, le vélo, ou encore l'escalade. Elle voudrait également, l'hiver, aller chercher la neige en altitude. Pour cela, il faudrait emmener plus facilement les skieurs jusqu'au point culminant de la station. Mais, pour l'instant, c'est compliqué, il faut donc une nouvelle remontée mécanique, assure Guillaume Guignier, vice-président de l'association d'habitants La Morte Vivante, qui se bat aux côtés des élus pour tenter de sauver L'Alpe du Grand Serre. "Là, actuellement, pour monter en altitude, on a deux télésièges qui se suivent et notamment la liaison entre ces deux appareils, c'est une liaison en ski qui est compliquée quand on n'a pas de neige, détaille Guillaume Guinier. Donc, après le projet, ce serait une télécabine qui permet d'accéder ici à notre domaine d'altitude".

"Même l'année dernière où ça a été une année très compliquée en enneigement, on a pu skier en haut."

Guillaume Guignier, vice-président de l'association d'habitants La Morte Vivante

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Sauf que le précédent projet similaire, qui s'élevait à 25 millions d'euros, n'a pas trouvé de financeur et, à ce stade, aucun nouvel investisseur ne s'est signalé. Pourtant, il faut agir et vite, "parce que là, actuellement, on ferme pour l'instant fin septembre 2025", insiste Guillaume Guignier. En attendant, la station profite de ce qui pourrait être sa dernière saison. Cette année, il y a bien de la neige, mais ce sera de plus en plus rare. Selon les prévisions, l'épaisseur du manteau neigeux en moyenne montagne fondra de 10 à 40% d'ici 2050.

En haute montagne l'Alpe d'Huez bat des records...

À quelques kilomètres seulement, mais à plus haute altitude, les saisons records s'enchaînent. Nous empruntons les célèbres 21 virages de la montée de l'Alpe d'Huez, puis une remontée mécanique et nous voilà à plus de 1 800 mètres, dans l'un des trois restaurants de René Peltier qui vient de s'offrir une boulangerie. Les affaires se portent très bien. "Chaque année, on se dit on ne pourra pas faire mieux que l'année d'avant. Et en fait, chaque année, on bat le record de l'année précédente", rapporte le commerçant.

"Les gens sont plus à la recherche de stations en haute altitude par rapport au risque de manque de neige sur les stations en moyenne altitude."

René Peltier, commerçant à l'Alpe d'Huez

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En tant que restaurateur, il pense bien au réchauffement climatique, mais il reste optimiste : "On a encore au moins une bonne trentaine d'années devant nous, sans avoir d'inquiétude sur l'activité ski à proprement parler". La preuve, au pied des pistes, avec ces files d'attente pour les télésièges.

Une file d'attente pour une rémontée à l'Alpe d'Huez. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Une file d'attente pour une rémontée à l'Alpe d'Huez. (GUILLAUME FARRIOL / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

... Mais se prépare également au manque de neige

Mais, malgré cette euphorie, la station se prépare au futur avec un plan colossal de 350 millions d'euros pour construire des télécabines. Là aussi, un objectif : aller toujours plus haut, explique Sébastien Mérignargues, directeur de l'office du tourisme. "Ce plan vise à monter les gens le plus haut possible. Les cabines, c'est intéressant parce que ça permet, si un jour, comme on le pense, le front de neige remonte et qu'on sera plus à 1850, mais à 2100 mètres, on pourra toujours emmener les gens là, les redescendre, explique-t-il. Et surtout, ça a un autre avantage, ça nous permet de travailler l'été avec les piétons, les VTT. Donc il y a vraiment une adaptation. On sait très bien que si on reste comme ça, on va dans le mur...".

"Beaucoup de stations se sont dit 'on gagne encore de l'argent, tout va bien'. Tout va bien jusqu'au moment où c'est fini, où ça s'arrête et là tout s'écroule."

Sébastien Mérignargues, directeur de l'office du tourisme de l'Alpe d'Huez

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Car l'Alpe d'Huez, non plus, n'échappera pas au manque de neige. D'après le Centre national de la recherche météorologique, 9 stations sur 10 risquent la disparition si la planète se réchauffe de 3°C, ce qui est pour l'instant la trajectoire qui se dessine d'ici la fin du siècle.

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