"Dans un monde idéal, on devrait pouvoir tout dessiner" : en Turquie aussi, dix ans après l'attentat contre Charlie Hebdo, le combat pour la liberté d'expression continue
Le dessinateur turc de bande dessinée Ersin Karabulut publie le deuxième volume de son autobiographie. Dix ans après l'attentat de Charlie Hebdo, il évoque sur franceinfo l'attaque contre le journal satirique français et l'évolution, depuis, de la liberté d'expression dans son pays.
Le 11 janvier 2015, d'immenses manifestations de soutien à Charlie Hebdo et à la liberté d'expression avaient lieu en France. Cette mobilisation, il y a dix ans, avait marqué les esprits, y compris hors de nos frontières. Le Turc Ersin Karabulut était à l'époque à la tête de Uykusuz, un magazine satirique de bande dessinée à Istanbul. Il publie au mois de janvier 2025 chez Dargaud le deuxième volume de son autobiographie : Journal inquiet d'Istanbul. Un album où il évoque longuement Charlie Hebdo.
Ce tome 2 se concentre sur les années 2007-2017. Plus encore que le terrorisme, la menace qui pèse alors sur la rédaction, c'est surtout Recep Tayyip Erdoğan et ses soutiens. Puis survient l'attaque du 7 janvier 2015. En Turquie, l'opinion est alors très divisée. Uykusuz doit alors choisir un camp.
"Ce n'était pas 'soit l'islam, soit Charlie Hebdo' : notre camp, c'était l'humanisme, la liberté d'expression"
Ersin Karabulutsur franceinfo
Ersin Karabulut contacte les deux autres principaux magazines de bande dessinée du pays. Et pour la première fois de leur histoire, ils conviennent de faire une couverture en commun. "On a publié en une le fameux 'je suis Charlie'. C'était encore plus dur de publier ça en Turquie, dans un pays conservateur, raconte-t-il. C'était notre façon de répondre à tout ça".
Menaces et autocensure
Dix ans plus tard, le monde a changé, les idées de l'auteur pas du tout. "En tant qu'artiste, je considérais, et je considère toujours, que dans un monde idéal, on devrait pouvoir tout dessiner. C'est juste une BD, vous n'êtes pas obligé de l'acheter. Si ça ne vous plaît pas, c'est que ce n'est pas forcément pour vous qu'on l'a fait", explique Ersin Karabulut. Selon lui, le problème aujourd'hui, "c'est internet". "Ce sont les réseaux sociaux qui ont fait de ces dessinateurs des cibles. Les terroristes n'étaient pas des lecteurs de ce magazine. Alors, est-ce qu'on doit arrêter notre métier parce que des gens risquent de voir nos dessins sur internet ? Je ne le pense pas", confie-t-il.
Il précise "dans un monde idéal", parce qu'il ne peut que constater que la réalité turque, par exemple, est très différente. Il décrit dans l'album les dizaines de mails de menaces reçus, pas quotidiennement, mais presque. "Quand je regarde les dessins et les couvertures qu'on a publiés il y a dix ans, quand Erdogan n'avait pas encore le pouvoir qu'il a aujourd'hui, je me dis que c'est incroyable qu'on ait pu publier ça. Et nous n'étions pas conscients de notre courage", raconte Ersin Karabulut.
"Nous nous sommes petit à petit autocensurés. On ne pourrait plus faire ces couvertures aujourd'hui."
Ersin Karabulutsur franceinfo
"Quand on s'est mis à se dire 'On ne devrait pas faire ça', après il n'y a plus de limite et on se retrouve un jour sans aucune liberté de parole", conclut-il.
L'album Journal inquiet d'Istanbul n'a pas de titre turc, puisqu'il ne peut tout simplement pas être publié là-bas.
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