Taxer les colis en provenance de Chine : "Dans les faits, c'est juste du flan", estime la Fédération française du prêt-à-porter féminin

Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, réagissait à la proposition du gouvernement de faire payer par les plateformes "des frais de gestion" de "quelques euros" pour les petits colis en provenance de Chine.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, le 29 avril 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, le 29 avril 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

La France veut davantage taxer les petits colis en provenance de Chine. Un plan d'action en plusieurs étapes a été dévoilé mardi 29 avril par le gouvernement depuis la zone des douanes de l'aéroport de Roissy. Pourquoi maintenant ? Parce que les colis envoyés par les plateformes de vente en ligne SheIn et autres Temu seront trois fois plus taxés aux États-Unis à partir du vendredi 2 mai, une décision de Donald Trump qui va entraîner un afflux encore plus important de ces colis en Europe. C'est en tout cas la crainte des autorités françaises.

La France a donc décidé de taper du poing sur la table et propose de taxer les produits vendus par les grandes plateformes dès le premier euro, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui au sein de l'Union européenne et, par ailleurs, de renforcer les contrôles aux douanes. Des annonces insuffisantes selon Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, qui regroupe 130 marques dont IKKS, Figaret, Ba&sh ou encore Sézane.

Franceinfo : La méthode proposée par le gouvernement est-elle la bonne ?

Yann Rivoallan : Sur le papier, ça a l'air d'être une bonne méthode. Dans les faits, c'est juste du flan. Pour être très clair, aux États-Unis, il y a en effet une taxe de 100 dollars qui va être mise sur chacun de ces colis. Sachant qu'un colis en général fait autour de 50 dollars, ça va stopper définitivement toutes ces plateformes. De l'autre côté, on s'excuse de mettre une petite taxe dont on ne connaît pas encore le montant pour payer le salaire des douaniers parce qu'ils vont avoir un peu plus de travail.

Quel est le problème ?

C'est que tout simplement on devrait stopper ces colis définitivement. On devrait les taxer a minima à la TVA, à la taxe sur les produits importés qu'on doit avoir sur les textiles, et qu'aucune de ces taxes n'existe.

"Aux États-Unis, il y a désormais cette taxe de 100 dollars qui va être mise en place, qui va tout stopper."

Yann Rivoallan

sur franceinfo

Désormais il y a toutes ces plateformes qui font deux fois plus de publicité d'ores et déjà sur des plateformes comme Google.

Sauf qu'il y a 27 pays au sein de l'Union européenne et qu'il faut qu'ils se mettent d'accord au sein des 27 pour pouvoir changer les taxes aux frontières. Donc ça ne peut pas se passer du jour au lendemain. Déjà, vous avez gagné deux ans, a priori ces taxes vont être mises en place à partir de 2028 et non 2030.

2028 c'est-à-dire, si je reviens en arrière et si je pense à SheIn, il y a maintenant trois ans, c'est une société qui faisait à peine trois milliards de dollars versus 40 maintenant. C'est une société qui faisait à peine quelques millions d'euros en France versus trois milliards maintenant. Donc on peut patienter pendant trois ans, on peut patienter… Des dizaines de milliers d'emplois qui vont encore être détruits, tous nos centres-villes seront définitivement vides. On a cette capacité, ne serait-ce qu'avec la proposition de loi anti fast-fashion qui avait été votée il y a un an à l'Assemblée nationale, d'aller vite et fort dans toutes ces mesures. Il n'y a pas une seule fois où on rappelle que cette loi doit être définitivement adoptée. Il y a notre ministre de la Transition écologique qui n'est pas là et qui ne rappelle pas à quel point l'affichage environnemental est une bonne mesure aussi pour pouvoir stopper ces colis.

"Ce ne sont pas des mesures, ce sont des mesurettes qui ne sont que de la communication pour faire croire qu'on va arrêter cette plateforme vis-à-vis des États-Unis, alors que dans les faits, il n'y a rien. Définitivement rien."

Yann Rivoallan

sur franceinfo

Les membres du gouvernement qui se sont déplacés en nombre mardi matin à Roissy ont dit qu'ils allaient mettre en place des frais de gestion à partir de l'année prochaine pour qu'il y ait déjà quelque chose.

Et sur le papier, ça devrait être 2 euros par colis et 0,50 euro par produit. Donc je prends l'exemple d'un colis SheIn d'à peu près de 50 euros, avec cinq produits. Grosso modo, je vais payer 4,50 euros de plus, donc mon colis va passer de 50 euros à 54,50 euros.

Donc ce n'est pas dissuasif ?

Ça ne change strictement rien. De toute façon, ces produits exploitent les ouvriers qui sont en Chine, qui sont à peine payés 0,18 euro par produit fabriqué, qui doivent travailler près de 100 heures par semaine. Donc on a de l'exploitation d'un côté, et il y a des TVA qui ne sont pas payées. SheIn a fait 3 milliards d'euros en France l'année dernière, je demanderais que SheIn déclare son chiffre d'affaires - et je suis sûr qu'ils déclarent beaucoup moins que ce qu'ils font réellement. Et il y a une capacité à pouvoir polluer à l'infini : 80% de ces produits sont en polyester et ils finissent sur les plages du Ghana ou dans d'autres sites. Donc tout explose et, face à cela, on va au maximum mettre une petite mesure où on mettra potentiellement 4 euros de taxe par colis, c'est totalement insuffisant.

"L'État a le devoir de nous protéger, de protéger nos emplois, de protéger la planète, de protéger notre pouvoir d'achat. Et clairement, avec ce type de mesures, il n'accomplit pas son devoir."

Yann Rivoallan

sur franceinfo

Sachant que SheIn représente déjà plus de 90% des 12 millions de petits paquets quotidiens qui arrivent en Europe, que dites-vous en parallèle aux consommateurs qui achètent sur ces plateformes ? Un Français sur cinq a acheté des produits de mode sur SheIn en 2024, d'après l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode.

Justement, c'est l'angle qu'il ne faut jamais prendre. Est-ce qu'on reproche à un alcoolique de boire ? Est-ce qu'on reproche à un fumeur de prendre trop de cigarettes ? Non. Ces plateformes déclenchent des addictions, ces plateformes avec leurs prix ridicules, avec leur capacité de faire des surinvestissements publicitaires, avec leur capacité de nous faire passer des heures sur leurs plateformes, nous mettent dans des bulles cognitives qui nous empêchent de réfléchir quand on achète.

Donc il n'y a pas de responsabilité du consommateur, à votre avis ?

Il n'y a surtout pas à en avoir, c'est du devoir de l'État de nous protéger et non pas de chacun des consommateurs d'avoir de son côté des bons gestes.

"Pourquoi est-ce que le consommateur devrait être responsable quand l'État ne l'est pas ?"

Yann Rivoallan

sur franceinfo

Qu'attendez-vous de l'État ?

Reprenons les mesures qu'il peut y avoir dans la loi. D'abord, interdiction de la publicité : si on stoppe la publicité, on stoppe le carburant de ces plateformes, et donc ils ne pourront plus avoir de croissance. Ensuite, un système de bonus-malus basé sur l'affichage environnemental : un malus que devront payer ces plateformes parce que leurs produits sont de faible qualité, reversé via un bonus pour pouvoir aider les marques françaises à recycler les produits.

Avez-vous une idée du nombre d'emplois détruits par ces plateformes ?

Ces trois dernières semaines, 600 emplois ont été détruits à la fois chez C&A et chez Kaporal, qui a dû baisser définitivement le rideau. Donc on a plusieurs milliers d'emplois qui ont été détruits ces deux dernières années et on voit clairement que ça continue.

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