Retraites : "Je ne suis pas d'accord pour qu'on suspende cette réforme pendant ce temps de négociation", assume le président de la CPME

"Si demain, on voulait suspendre, voire abroger cette réforme, comment trouver les milliards dont nous avons cruellement besoin ?", interroge lundi François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

Article rédigé par franceinfo
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François Asselin, président de la CPME, le 13 janvier 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
François Asselin, président de la CPME, le 13 janvier 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Je ne suis pas d'accord pour qu'on suspende cette réforme pendant ce temps de négociation", assume François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), lundi 13 janvier, à propos de la réforme des retraites, à la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre François Bayrou. Une prise de parole du chef du gouvernement très attendue, notamment sur la réforme des retraites.

franceinfo : Pensez-vous que François Bayrou va annoncer la suspension de la réforme des retraites ?

François Asselin : François Bayrou est un lettré, donc dans la sémantique, il va falloir qu'il explique comment suspendre la réforme sans la suspendre finalement. Les oppositions qui demandent la suspension de cette réforme, voire l'abrogation, confondent ce qui est bon, soi-disant, pour le parti et ce qui est bon pour le pays. Et ce n'est pas du tout la même chose. On voit que le fossé se creuse parce qu'on ne peut pas échapper à une seule chose, c'est le principe de réalité. Cette réforme des retraites, déjà dès 2030, elle va être déséquilibrée. Pourquoi ? Parce que ça repose sur la répartition, et on sait très bien que l'évolution démographique dans notre pays, entre actifs et retraités, est défavorable à ce régime par répartition. Si demain, on voulait suspendre, voire abroger cette réforme, comment trouver les milliards dont nous avons cruellement besoin ?

"Il faudrait expliquer aux Français, ceux qui veulent l'abrogation de cette réforme, avec quelle retraite demain, ils partiront. Parce que si on revient à la retraite à 62 ans, avec quel niveau de retraite ?"

François Asselin

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Finalement, concernant les retraites, vous avez trois grands paramètres : le niveau de cotisation, et nous sommes les plus gros cotisants d'Europe ; la durée de cotisation, c'est à dire à quel âge je vais partir en retraite ; et le niveau des pensions, avec combien d'argent je pars en retraite.

Mais en sortant de ce rendez-vous à Matignon la semaine dernière, la cheffe de file de la CFDT, Marylise Léon, a dit que le Premier ministre était "sans tabou".

Oui, le Premier ministre est sans tabou.

Et vous savez que ce serait une concession remarquable, attendue par la gauche pour éviter la censure.

Peut-être que la solution pour suspendre sans surprendre, c'est de demander aux partenaires sociaux de se saisir du sujet de cette réforme des retraites. Et puis au bout de quatre, cinq mois, de voir si on ne peut pas trouver un système, un nouveau régime des retraites qui convienne à plus de monde. Alors pourquoi pas, avec simplement une seule contrainte - parce que ça, on ne peut pas y échapper -, c'est ne pas abîmer les finances publiques, tout simplement.

Si on vous demande demain de vous mettre autour de la table et que le décalage de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans est suspendu, si vous trouvez un autre moyen de financer cette retraite par répartition, ça ne vous dérange pas ?

Trouver un autre moyen de financer, ça va être très compliqué. Donc c'est là toute la "gageure". Parce qu'on ne veut pas abîmer les dépenses publiques, les finances de l'État en général et des Français, on veut faire attention au coût du travail et ne pas augmenter les ponctions sur les actifs, et on ne veut pas augmenter le coût du travail. Nous sommes dans une équation extrêmement complexe à atteindre.

Mais vous êtes d'accord ?

Oui, pourquoi ? Parce qu'il y a un sujet sur lequel nous n'avons pas avancé, c'est la responsabilité des partenaires sociaux, c'est le dispositif lié aux carrières à usure professionnelle.

"Je trouve tout à fait légitime que quelqu'un comme moi, qui a fait toute sa carrière professionnelle dans son bureau ou dans une voiture, parte plus tard qu'un de mes charpentiers ou menuisiers, par exemple."

François Asselin

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Et là, on peut, avec les partenaires sociaux, faire des avancées, me semble-t-il, significatives. Sans pour autant retrouver la fiche pénibilité qui était une horreur, sans pour autant ouvrir de nouveaux régimes spéciaux. Il y a des moyens d'avancer.

Si François Bayrou dit demain "Je renonce, je suspends la réforme et le départ de l'âge légal à 64 ans. C'est à vous, partenaires sociaux, de vous mettre d'accord", êtes-vous d'accord ?

Moi, je ne suis pas d'accord pour qu'on suspende cette réforme pendant ce temps de négociation. Si on trouve un meilleur dispositif, un meilleur système, c'est ce que dit le Premier ministre, dont acte, on s'en saisit. Mais si on n'y arrive pas, l'actuelle réforme continue à se déployer. C'est ce que nous préconisons bien évidemment à l'exécutif.

Dans un communiqué commun, sept des huit organisations patronales et syndicales, dont la CPME, appelaient il y a un mois les politiques à la responsabilité. Je vous cite : "L'instabilité dans laquelle a basculé le pays fait peser sur nous le risque d'une crise économique aux conséquences sociales dramatiques". Que voulez-vous ?

Ce que nous voulons, c'est tout simplement que le principe de subsidiarité fonctionne. Et si ça ne fonctionne pas, la suppléance, à savoir la reprise en main par l'exécutif, doit s'appliquer. Dans cette histoire de réforme des retraites, finalement, c'est un petit peu ça ce que veut faire le Premier ministre. Il veut dire : "Écoutez, partenaires sociaux, vous n'êtes pas d'accord, mettez-vous autour de la table. Si vous trouvez une meilleure solution, je la prends. Si vous ne trouvez pas de meilleure solution, on déroule l'actuelle réforme". Finalement, c'est ni plus ni moins ça.

Craignez-vous, qu'une fois que la réforme soit suspendue, on ne puisse pas revenir en arrière ?

Mais bien évidemment. Et puis, si vous voulez, c'est un déni de réalité. Comme je vous le disais, comment fait-on pour financer un système qui est déjà perfectible à l'horizon 2030 ? Voilà, c'est le moment, par exemple, dans cette négociation avec les partenaires sociaux, de commencer, pourquoi pas, à parler d'épargne pour tous, je vais mettre un gros mot, de capitalisation collective. On a la possibilité de le faire, allons-y. Si vous saviez combien j'aimerais être de la génération de ceux qui arrêtent de faire la poche de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

Vous avez peur, en gros, de payer la facture, que les cotisations soient augmentées ?

Mais ce n'est pas nous qui allons payer la facture, ce sont les Français, ce sont nos enfants, ce sont nos petits-enfants.

Concrètement, vous avez peur que les cotisations augmentent ?

Mais si les cotisations augmentent, le salaire net va encore baisser, le coût du travail en France va encore augmenter. Nous allons décrocher. Attention, tout ça est fait de justes équilibres. Il faut tout simplement regarder la réalité telle qu'elle est. Depuis 1983, date à laquelle le départ à la retraite est passé de 65 ans à 60 ans, après ça a augmenté à 62 ans, maintenant 64 ans, nous avons gagné huit ans d'espérance de vie. Mais c'est quand même une bonne nouvelle !

On attend également des précisions concernant le budget. Êtes-vous rassurés quant à l'absence d'alourdissement de la fiscalité pour les entreprises ? Éric Lombard comme François Bayrou ont l'air de le dire.

Finalement, je trouve que chefs d'entreprise, nous sommes quand même une catégorie de Français, 4 millions, une vraie colonne vertébrale, relativement docile, parce que nous sommes les plus ponctionnés d'Europe. On ne demande qu'une seule chose : pas plus. Et nous, ce que nous attendons, c'est de la stabilité.

Et vous avez l'impression qu'il n'y aura pas d'alourdissement de la fiscalité pour les entreprises ?

Visiblement, il y aura de l'alourdissement de la fiscalité pour les grandes entreprises, au-delà d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. C'était ce qui était prévu dans le budget Michel Barnier. Nous espérons que les PME soient préservées dans l'augmentation de la fiscalité, bien évidemment.

Mais c'est un moindre mal.

Sachant que la trajectoire que nous devrions poursuivre, c'est d'alléger la fiscalité des acteurs économiques, c'est évident. Mais dans le contexte budgétaire que nous connaissons, alors là, je ne crois pas au Père Noël, je suis pragmatique.

Vous allez passer la main, la semaine prochaine, après dix ans à la tête de la CPME. Vous avez vécu une période dorée avec l'assouplissement du marché du travail, avec la loi El Khomri, la mise en place d'un barème aux prud'hommes et une politique franchement pro-business qui s'est traduite par le CICE, par une baisse des impôts de production et de l'impôt sur les sociétés. Cette période est-elle révolue ?

On a connu ça et puis on reste toujours les plus ponctionnés d'Europe, donc ce n'est pas si doré que ça. Ensuite, j'ai commencé un début de mandat il y a dix ans où j'entendais : "embaucher, ça fait peur, ça coûte cher". Et puis après j'ai entendu un discours où on n'arrive pas à trouver les compétences dont on a besoin. Mais je préfère être dans cette deuxième position que dans la première. Donc oui, ce fut une période dorée, même pendant la période Covid. Pourquoi ? Parce que, que l'on soit à l'époque, rappelez-vous, retraité, actif dans le secteur marchand, dans le privé, fonctionnaire, même demandeur d'emploi, il n'y avait quasiment plus d'économie qui tournait et ça tombait à la fin du mois. C'est quand même chouette d'être français. Donc oui, mon successeur va avoir une période beaucoup plus compliquée.

Que lui souhaitez-vous ?

Qu'il reste comme il est. C'est-à-dire que ce sera un entrepreneur, ça, c'est sûr, je connais les trois candidats. Et qu'il continue à aimer ceux qui font la richesse du pays, les entrepreneurs et leurs entreprises, comme j'ai pu le faire pendant dix ans, c'est un grand honneur de servir cette cause, croyez-moi bien.

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