"Nous aurons sans doute à répercuter les frais de douane à nos clients américains", prévient Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI

Sylvie Grandjean, également directrice de Redex, un groupe d'ingénierie européenne bien implanté aux États-Unis, a abordé mardi dans l'invité éco les conséquences de l'augmentation des droits de douane voulue par Donald Trump.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et directrice du groupe Redex, était interviewée dans l'invité éco sur franceinfo le mardi 8 avril. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et directrice du groupe Redex, était interviewée dans l'invité éco sur franceinfo le mardi 8 avril. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

L'Union européenne est en ordre de marche avant l'entrée en vigueur des droits de douane américains mercredi, avec une augmentation de 20% sur tous les produits en provenance des 27 États membres. Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire), directrice de Redex, un groupe d'ingénierie européenne, est l'invitée éco, mardi 8 avril, sur franceinfo. Son entreprise, qui fabrique des machines, sera concernée directement par ces mesures, 80% de son chiffre d'affaires étant réalisé à l'international.

Franceinfo : Comment votre entreprise, Redex, sera-t-elle impactée par ces droits de douane ?

Sylvie Grandjean : J'étais avec mes équipes américaines juste avant de venir à cet entretien et nous avons passé en revue les actions qui étaient nécessaires. Il y a plusieurs aspects qui viennent interférer dans ces décisions. Déjà, il n'y a aucun décret d'application, d'un point de vue administratif rien n'est clair et rien n'est précis. Et puis ensuite, nous avons la chance de ne pas avoir de concurrent américain. Nos concurrents sont allemands, italiens, parfois un peu sud-coréens et donc ils sont soumis aux mêmes droits de douane, si jamais ils s'appliquent à l'identique.

Donc, nous aurons sans doute à répercuter ces frais de douane à nos clients. Nous, on est en "B to B" [business to business, du commerce entre deux entreprises], ce n'est peut-être pas la même chose quand on est en "B to C" [business to consumer, du commerce d'entreprise à particulier]. Nos clients n'ont pas d'alternatives.

Il y a des éléments de machines Redex qui servent à fabriquer les fusées SpaceX.

La force de l'Europe et la force de la France, c'est d'avoir su maintenir un savoir-faire dans les biens d'équipement ou dans les machines, ce que les États-Unis n'ont plus fait.

"Les États-Unis se sont spécialisés dans la high-tech et dans le service, mais dans la fabrication des biens classiques, là, ils n'ont plus du tout de compétences. Et nous, nous l'avons gardé en Europe."

Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI et directrice de Redex

à franceinfo

C'est assez anecdotique, mais on aime bien le rappeler : en Italie, il y a un constructeur de presse d'aluminium qui est le seul à pouvoir faire ça et qui est utilisé par Tesla.

Concrètement, allez-vous augmenter vos prix de 20% ?

On ne va pas le faire de 20% parce qu'on ne tient pas à assassiner non plus nos clients, mais on va forcément répercuter une partie sur notre marge et une partie sur nos prix de vente. On est en train de regarder cela.

Allez-vous vous tourner vers d'autres marchés ?

Notre stratégie est, depuis la création de l'entreprise, de travailler à l'international. Le pôle USA, Canada, Mexique pèse pour à peu près 20%, ce n'est pas anecdotique, l'Asie aussi 20% et l'Europe 60%. Nous sommes suffisamment résilients et réactifs pour pouvoir aborder des nouveaux marchés si nécessaire.

L'augmentation du chiffre d'affaires de votre entreprise aux États-Unis, que votre codirecteur et mari prédisait il y a quelques semaines, est-elle remise en cause ?

Le 5 avril (jour de l'annonce des droits de douane), nous avons eu un appel d'un client américain, une filiale d'une entreprise italienne qui investit sur le sol américain, qui nous a passé une commande de 5 millions de dollars. On est dans une situation actuelle où tout est tellement instable, toute la chaîne d'approvisionnement est en train d'être complètement revue, il y a des décisions qui sont prises à l'heure actuelle aux États-Unis de réinvestir dans des usines. Et là, à ce moment-là, on peut en profiter.

Le METI a été reçu la semaine passée par Emmanuel Macron, qui a fait appel au patriotisme économique, disant qu'il ne fallait pas investir aux États-Unis en ce moment. Vous êtes-vous sentis visés ?

Je ne me suis pas vraiment sentie visée et les entreprises ne se sont pas senties forcément visées. Le patriotisme, c'est avant tout aux consommateurs de l'avoir. C'est lui qui va décider s'il veut acheter des Nike ou acheter des Adidas, ou autre chose. Est-ce que vous utilisez ChatGPT ou Mistral, où est-ce que vous mettez vos data ?

Le président de la République semblait parler aux deux : à la fois aux consommateurs, mais aussi aux entreprises.

"Vous ne pouvez pas demander à des chefs d'entreprise de ne pas investir puisque notre raison d'être, c'est de trouver des marchés. Donc des investissements, on en fera forcément aux États-Unis, en Chine."

Sylvie Grandjean, vice-présidente du METI et directrice de Redex

à franceinfo

Dès que le marché le demande, on est présent. Ce n'est pas une question de patriotisme, au contraire, c'est justement pour continuer à exister en France qu'il faudra continuer à investir partout.

L'Union européenne prévoit sa riposte sur certains produits américains et à partir de la mi-mai seulement. Est-ce la bonne stratégie ?

Il ne faut pas rentrer dans une guerre de taux, je ne vois pas en quoi ça peut apporter quelque chose de positif pour l'ensemble du monde. Il faut travailler beaucoup plus de façon très ciblée, très clinique sur nos fondamentaux. En Europe, on a besoin de travailler sur nos fondamentaux qui sont la compétitivité, faire en sorte que les charges sur les entreprises soient limitées.

On peut travailler également sur tout ce qui concerne la simplification, l'Europe a commencé avec la CSRD [directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises]. Il y avait des choses qui étaient complètement démentes. Une bataille d'ego n'apportera rien à l'Europe.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.