"L'arrivée de l'administration Trump, c'est un bon coup qui va secouer les Européens et c'est le moment du leadership", déclare Ilham Kadri, patronne dans l'industrie chimique
Toute la semaine, franceinfo est à Davos, où tout le monde ne parle que de la situation de l'économie mondiale face au retour de Donald Trump au pouvoir.
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Ilham Kadri est la directrice générale de Syensqo, grande entreprise belge de chimie qui compte 13 000 salariés dans le monde, dont 2 000 en France.
Son métier, c'est la chimie de pointe que l'on retrouve dans les médicaments, dans l'hydrogène, dans les batteries des voitures électriques. Or, Donald Trump a réaffirmé, mardi 21 janvier, son intention de taxer tous les produits en provenance d'Europe.
franceinfo : Première question d'actualité pour vous qui avez dirigé une entreprise aux États-Unis par le passé, Donald Trump au pouvoir, est-ce que c'est bon pour vos affaires ou pas ?
Ilham Kadri : En tout cas, on est en train d'écouter la feuille de route américaine. Les marchés ont bien réagi, autant aux Etats-Unis que mondialement. Et franchement, pas de surprise parce que tout ce qui a été dit jusque-là est en train d'être exécuté.
Donald Trump a réaffirmé hier son intention de taxer tous les produits en provenance d'Europe. Or, vous travaillez beaucoup avec les États-Unis. Est-ce que demain ce sera possible ?
Je vais parler d'abord de l'industrie chimique. C'est quand même la deuxième région de vente de chimie au monde après la Chine. Donc il y a quand même une relation transactionnelle commerciale entre l'Europe et les États-Unis. Donald Trump parle de mettre des tarifs et on va voir ce qui va être exécuté, parce qu'on sait que le président Trump aime beaucoup négocier aussi. Mais effectivement, ça va impacter beaucoup de relations commerciales.
Nous, on produit directement, que ce soit aux États-Unis pour les Etats-Unis, en Chine pour la Chine et en Europe pour l'Europe. Donc on sera moins impactés sur la production et les produits finis. Probablement sur les matières premières, parce que nos chaînes de valeur sont un peu compliquées et les gens achètent d'autres régions du monde. Donc, on est en train de faire cette étude - elle est presque complète - et on s'adaptera.
"Ça va créer un inconfort, surtout sur le court terme. Après, il y aura des négociations."
Ilham Kadri, directrice générale de Syensqo.à franceinfo
Je ne sais pas ce que l'administration de Trump va demander des Européens. On sait ce qu'il va demander aux Mexicains et aux Canadiens, mais on ne sait pas ce qu'il va demander aux Européens, il y a beaucoup de d'hypothèses. Mais en tout cas, pour l'industrie chimique, c'est une chimie qui peut être globale, mais elle est aussi très locale, surtout dans les métiers de spécialité.
Vous aviez anticipé le fait que les barrières allaient se refermer en décidant de produire de plus en plus localement aux États-Unis ?
Non, nous ne sommes pas à ce point visionnaires. Ce qui arrive dans l'industrie, c'est qu'il y a des produits qui voyagent bien et des produits qui voyagent moins bien. Quand on fait des batteries par exemple, on a des produits localisés pour la batterie, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des exports entre notre usine de Franche-Comté, en France, et les États-Unis. Donc ça, ce sera quand même impacté. Et il faut faire toute une étude sur la chaîne de valeur parce que ça impacte les clients.
C'est le client qui paye ?
Et oui, c'est le client et en fin de compte, c'est le consommateur qui paie quand il y a une augmentation de prix. Donc l'impact sur l'inflation est à étudier et à voir.
Vous êtes donc en train de faire une étude globale pour voir quels vont être les impacts de la politique de Trump.
Tout à fait. Ce n'est pas nouveau. Ici, Davos est La Mecque, le lieu de la globalisation depuis plusieurs saisons. Ça fait maintenant une ou deux saisons après la pandémie qu'on parle d'une fragmentation mondiale : la Chine, l'Europe et le gaz russe, les États-Unis avec les élections qui arrivaient, l'IA... Donc on commençait déjà à en parler. Là, à Davos, on ne parle que de ça. On en parle beaucoup dans les petits déjeuners, c’est-à-dire l'impact de l'administration Trump sur l'économie mondiale et l'industrie.
Dernier point qui vous concerne directement parmi les annonces de Donald Trump, c'est le fait qu'il allait mettre la pédale de frein sur les ventes de voitures électriques. Vous fabriquez un composant des voitures électriques et vous avez annoncé la construction d'une très grande usine en Géorgie. Est-ce que ce projet est remis en cause ?
On a publié récemment qu'on avait retardé le commencement de cette usine et c'était au deuxième trimestre. On voulait attendre pour voir un peu ce qui va se passer avec l'aide gouvernementale autour des énergies renouvelables.
Vous avez eu effectivement des aides.
Oui, énormes, 30% de notre coût d'investissement était couvert par l'IRA comme beaucoup d'autres industriels, comme nos clients. Mais la suspension n'était pas juste pour attendre les élections. On l'a fait parce que nos clients retardaient les investissements dans l'électrique. Nous, on n'investit pas s'il n'y a pas de demande. Donc on a retardé ça et on a bien fait.
Moi, je crois dans l'électrique. Si vous regardez le taux de croissance dans les cinq, sept dernières années, c'est à peu près 50%. Maintenant, on parle d'une croissance globale de plutôt 20%. C'est quand même une croissance à deux chiffres. C'est mieux que beaucoup d'autres marchés. Aux États-Unis, maintenant Trump nous dit "forez, forez", donc c'est vraiment très gaz, très pétrole. Attendons de voir. Attendons aussi de voir ce que Elon Musk, qui est quand même un pilier dans l'administration de Trump va aussi faire. Parce que Tesla, c'est un de nos grands clients indirects.
Le secteur de la chimie se porte mal en Europe et en France avec des restructurations en cours. Il y a les Allemands, mais aussi en France avec Vencorex, Arkema. Vous-même chez Syensqo, vous envisagez 122 suppressions de postes en France, plus de 300 dans le monde, vous ne pouvez pas faire autrement aujourd'hui ?
L'industrie chimique effectivement se porte mal, mais je dirais l'industrie en général, en Europe. L'année dernière, en février, on avait réuni 73 patrons de l'industrie, à Anvers, avec Madame Ursula von der Leyen. Mais les 73 que nous étions, sont devenus 1 200. Y compris les syndicats, y compris des métiers dans la métallurgie. Les petites et moyennes entreprises se sont jointes à nous pour défendre dix points de déclaration qui sont autour de la compétitivité.
Aujourd'hui, l'Europe manque de compétitivité et j'ai été très heureuse d'écouter la présidente hier à son discours ici à Davos. On a demandé plusieurs choses. En premier, c'est la simplification réglementaire. Pour vous donner une idée, depuis que je suis arrivée en Europe en 2019, on a produit 14 000 pages de réglementation pour la chimie seulement.
"En Europe, cette bureaucratie, ces couches de réglementations tuent l'industrie."
Ilham Kadri, directrice générale de Syensqo.à franceinfo
Les petites et moyennes entreprises, qui sont la part importante de l'industrie européenne, souffrent. Il y a eu des fermetures de sites représentant plus de 11 millions de tonnes de capacités, c'est à peu près 4% de la capacité européenne, entre 2023 et 2024. La chimie part. L'Europe doit arrêter de parler d'une ambition "d'être" ; nous avons besoin d'une ambition "de faire".
On veut de l'action parce que tout a été dit, tout est justifié, etc. Et je pense qu'il y a une convergence aujourd'hui. Et l'arrivée de l'administration Trump, c'est un bon coup qui va secouer les Européens et c'est le moment du leadership.
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