"Il faut revoir la loi Egalim", estime le fondateur de la marque "C’est qui le patron ?!"

Après les produits laitiers, la marque française se lance dans la vente de fruits et légumes. Nicolas Chabanne, le fondateur de "C’est qui le patron ?!" est l'invité éco de francienfo, lundi 2 juin.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Nicolas Chabanne, fondateur de la marque "C’est qui le patron ?!", le 2 juin 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Nicolas Chabanne, fondateur de la marque "C’est qui le patron ?!", le 2 juin 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Il faut revoir la loi Egalim", estime lundi 2 juin Nicolas Chabanne, le fondateur de la marque "C’est qui le patron ?!". "C'est qui le Patron ?!" est une coopérative de consommateurs, une marque bien connue des Français, surtout pour ses produits laitiers. Leur pack de lait est le plus vendu en France et leur particularité c'est que ce sont le producteur avec le consommateur qui fixent le prix. Après les produits laitiers, la marque souhaite élargir sa gamme de produits aux fruits et légumes.

Franceinfo : On connaît bien vos produits laitiers, le lait, le beurre, mais vous voulez aussi vous lancer dans une filière de fruits et légumes. Pourquoi ?

Nicolas Chabanne : Oui. Je rappelle qu'on est une coopérative de consommateurs. Il n'y a pas d'enjeu financier. L'ensemble de l'argent va vers les producteurs en fin d'année. Et quand on n'a pas comme ça d'enjeu économique, on a qu'une chose à faire, c'est se tourner vers ceux qui nous nourrissent tous les jours et qui galèrent et qui sont en difficulté. Pour être très concret, c'est un fruit et légume sur deux en France qui est importé. Ça veut dire que ce qui est si important pour nous, pour notre santé, pour les producteurs français, c'est en train de disparaître au profit notamment d'importations. Combien il manque à un producteur pour qu'il arrête d'arracher ses arbres parce qu'il ne s'en sort pas et de voir arriver cette nourriture et ces fruits et légumes de l'étranger, il lui manque dans les cerises 0,60 €.

Vous allez lancer une barquette de cerises, vous voulez vous lancer également dans une filière pommes, oignon, échalotes. Pourquoi avez-vous choisi ces produits-là et pas d'autres ?

Parce qu'il existe des producteurs en France et en difficulté. Ils nous ont appelés les producteurs, comme ça s'était passé pour le lait, en nous disant, "écoutez, je m'appelle Nicolas, Laurent, je suis à Lyon, on y va demain et j'arrache mes arbres, mes cerisiers parce que je n'ai pas de quoi vivre". On a retourné la question en tant que consommateur, combien il vous manque ? 1,50 € par kilo. Voilà ce qui manque à un producteur en France qui fait des cerises, 1,50 € par kilo pour vivre de son travail.

Aujourd'hui, personne n'achète des cerises françaises ?

Beaucoup moins de cerises parce qu’on a la sensation que c'est cher. Mais regardez le deuxième chiffre incroyable, combien on consomme de cerises par an et par habitant en France ? 400 grammes. Ça veut dire que si on rajoute 0,60 € sur nos achats annuels de cerises, on permet un producteur français de continuer de vivre et de transmettre sa ferme.

"Si demain ces producteurs français ne font plus de cerises, de pommes, de légumes et qu'on dépend de la nourriture qui vient du bout du monde ou de l'étranger, dans le contexte géopolitique, je ne sais pas si c'est le meilleur des choix."

Nicolas Chabanne

sur franceinfo

Vous avez fixé le prix pour les cerises, ce n'est pas encore fait pour les pommes, les échalotes ?

Ce sont des votes collectifs, merci de le souligner. C’est-à-dire que le principe c'est, comme on l'a fait pour les cerises, pour les pommes, on décide tous ensemble de critères simples. On répond sur internet. Combien on met pour le producteur ? Est-ce qu'on lui donne l'argent qu'il nous demande ? Oui, non. Ça permet de faire évoluer le prix. Est-ce qu'on prend des vergers faits en agriculture raisonnée, en bio ? Est-ce qu'on fait de la cueille à maturité ? On a décidé, nous consommateurs, de rentrer dans les coulisses de ce qu'on consomme et de déterminer l'histoire du produit et le prix final. Parce que c'est un prix voté, conseillé, décidé par nous les consommateurs.

Si vous avez choisi ces produits, c'est parce qu'ils remplissent deux critères : il y a des producteurs en France et ce sont des producteurs qui aujourd'hui n'ont pas un revenu suffisant pour vivre ou pour transmettre leurs terres plus tard ?

Absolument. Pour les pommes, il manquait 0,09 € aux producteurs de pommes strasbourgeois qui nous ont appelés en disant, "on arrache nos arbres parce qu'il nous manque 0,09 €". 0,09 € sur une consommation annuelle de jus de pomme, c'est 1,60 €. Vous savez, on a regardé toujours du côté du prix le plus bas. C'est important. Il y a 30% de familles qui ne peuvent pas mettre des centimes en plus. Mais il fallait regarder aussi du côté de ceux qui peuvent, 70% des gens, côté consommateur, peuvent rajouter ce centime.

Pensez-vous que demain, les distributeurs qui aujourd'hui vendent vos packs de lait s'engageraient à acheter des pommes "C'est qui le patron ?!", sachant qu'il y a des engagements qui ont déjà été pris de la part de certains distributeurs de vendre des fruits et légumes français ?

C'est vrai, pourquoi les nôtres ? C'est un autre trait général, on est 16 millions à acheter des produits, donc c'est bien au-delà de ceux de l'équipe de "C'est qui le patron ?!". On leur a dit qu'il ne faut pas déshabiller Pierre pour Paul, on est d'accord. Mais il ne faut pas que vous vendiez de produits dans les rayons au nom de notre argent de consommateurs qui ne sont pas payés au juste prix au producteur. Il faut remplacer et demain on est prêt à prendre des producteurs en place dans les rayons et de leur amener les centimes qui manquent. 

"On ne peut plus imaginer que notre argent de consommateur serve à alimenter des rayons où, à l'autre bout, il y a des producteurs en grande difficulté qui arrêtent leur activité et des jeunes qui ne reprennent pas."

Nicolas Chabanne

sur franceinfo

Sauf qu'aujourd'hui, vous n'avez aucune garantie, une fois que vous aurez fixé le prix de ces produits, que vous aurez des distributeurs qui seront prêts à les vendre ?

Un petit scoop, une bonne nouvelle, c'est qu'on a déjà les trois premiers et c'est allé très vite. On a celui qui pourtant se bat pour le prix le plus bas, qui a dit un grand "oui" en premier : Leclerc. On a Super U, Dominique Schelcher, qui a dit "ok, on y va, il faut connaître les producteurs de fruits et légumes" et Auchan. Donc on a déjà trois distributeurs. C'est un peu comme pour le lait, on en avait qu'un au début si vous vous rappelez, puis tout le monde a suivi. Je leur dis aux distributeurs à chaque fois qu'on les voit, "on est vos clients, c'est la marque de vos clients qui viennent dans les magasins, faites une place à ces produits."

La loi Egalim, qui fixe les conditions de négociation des prix chaque année dans le secteur agroalimentaire, devait être revue cette année. Sauf que depuis que l'inflation alimentaire s'est éloignée, l'urgence aussi. Préconisez-vous qu'on revoie la loi Egalim demain ?

Je vais faire très court. La loi Egalim, elle est née inspirée par cette démarche de consommateurs, comme nous l'avait expliqué à l'époque Emmanuel Macron. Ça ne marche pas, pourquoi ? Pour une seule raison. C'est parce que cette démarche, elle fonctionne parce que nous, consommateurs, on est dans les réunions avec le distributeur, avec l'industriel, le fabricant. On leur dit, "écoutez, c'est notre argent, là, que, finalement vous récupérez. Faites en sorte que notre argent aide les producteurs. On veut être garant de ça".

Donc, il faut revoir la loi Egalim aujourd'hui ?

Il faut revoir la loi Egalim et on va aller plus vite et plus rapidement, parce qu'il y a une urgence phénoménale. On a perdu 1 million de producteurs en quelques années. On va créer une loi, je vous l'annonce avec beaucoup de fierté pour tous ceux qui ont travaillé.

"Nous les consommateurs, on va créer une loi portée par les consommateurs pour venir en aide aux producteurs."

Nicolas Chabanne

sur franceinfo

Le principe est simple vous nous mettez à l'intérieur du système comme on le fait depuis neuf ans. C'est devenu la brique de lait la plus vendue, vous l'avez dit, la marque nouvelle la plus vendue de France. Et parce qu'on est arbitre par notre acte d'achat, on va pouvoir protéger les producteurs. Ils en ont besoin. Il faut le faire en urgence.

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