"Les retards de paiement, qui diminuaient chaque année avant le Covid, sont repartis dans l'autre sens", alerte le Médiateur des entreprises Pierre Pelouzet

Le Médiateur national des entreprises publie jeudi son bilan annuel. Beaucoup d'entreprises souffrent de ne pas être payées, ce qui constitue "pratiquement 40% des saisines" car "c'est la vie d'une entreprise" qui est en jeu, explique Pierre Pelouzet.

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Pierre Pelouzet, Médiateur national des relations inter-entreprises. (RADIO FRANCE)
Pierre Pelouzet, Médiateur national des relations inter-entreprises. (RADIO FRANCE)

Pierre Pelouzet, le Médiateur national des relations interentreprises, est un bon observateur de l'économie français et des relations entre entreprises. D'après son bilan annuel, publié jeudi 27 mars, les entreprises souffrent trop souvent aujourd'hui de ne pas être payées et d'avoir des problèmes de trésorerie en conséquence. Sur les trois dernières années, il y a eu presque autant de médiations menées que pendant la décennie précédente.

Franceinfo : Pierre Pelouzet, en quoi consiste l'action d'un médiateur des entreprises concrètement ?

Pierre Pelouzet : On va aider les entreprises quand elles ont une difficulté entre elles, surtout quand c'est une petite entreprise face à une grosse, ou avec une administration, notamment dans le cadre des marchés publics. On est là pour offrir un service public, c’est-à-dire gratuit et confidentiel, de médiation pour les aider.

Les délais de paiement sont de 45 jours, mais d'après votre bilan annuel, beaucoup d'entreprises souffrent de ne pas être payées, ce qui évidemment les met en difficulté. C'est une grosse partie de votre travail ?

C'est pratiquement 40% de nos saisines, parce que c'est la vie d'une entreprise.

"Si une entreprise n'est pas payée, sa trésorerie descend et à force d'avoir une, deux ou trois factures qui arrivent en retard, l'entreprise se retrouve très rapidement en difficulté."

Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises

à franceinfo

Donc les entreprises nous saisissent beaucoup sur ce sujet-là, de plus en plus. Et c'est un sujet qui malheureusement est de plus en plus grave. On voit que, autant avant le Covid, les retards de paiement diminuaient d'année en année, autant aujourd'hui, malheureusement, on est reparti dans l'autre sens, à un moment où les entreprises sont très tendues par tous les événements qui nous entourent.

Comment est-ce que vous l'expliquez ?

Il y a eu plusieurs choses qui se sont passées. On le voit dans nos médiations. On a vécu le grand choc Covid. Et après, il y a eu une sorte de réplique. On a eu la flambée des matières premières, on a eu la flambée de l'énergie, on a eu l'inflation, on a eu la hausse des taux d'intérêt. Tout ça a beaucoup secoué le monde économique. Et donc, les relations se sont tendues. Et un certain nombre d'entreprises se sont dit "tiens ma trésorerie, surtout dans l'incertitude que nous connaissons, je vais peut-être la garder un peu pour moi plutôt que de la donner à mes fournisseurs". Évidemment, c'est d'abord hors-la-loi et en plus dangereux, parce qu'on peut abîmer tout le tissu des fournisseurs. Et c'est pour ça que nous sommes là, pour rétablir le dialogue et leur permettre de sortir par le haut de cette difficulté.

On voit que ce sont souvent les petites et très petites entreprises qui font appel à vous, et si on dit souvent que l'État est mauvais payeur, ce qui n'est pas vrai. Le gros des affaires, ce sont des entreprises entre elles ?

Effectivement et c'est pour ça qu'on a mis en place un service public. Ce n'est pas pour les grandes entreprises qui peuvent se débrouiller, qui ont des juristes et des avocats, tout ce qu'il faut. Mais la petite entreprise, l'entrepreneur unipersonnelle, l'artisan, qui se retrouve face à un plus gros client public ou privé, il n'a pas le loisir d'avoir tout ça. Donc il a besoin de quelqu'un pour l'aider. 

"On n'est pas son avocat, mais on va l'aider à avoir un vrai dialogue, en toute confidentialité avec son client et comprendre ce qui se passe, trouver des solutions et recréer un lien de confiance pour qu'ils puissent retravailler ensemble."

Pierre Pelouzet

à franceinfo

Et vous y arrivez ?

Oui, on y arrive, statistiquement dans 70% des cas, les médiations se concluent par un résultat positif. Que ce soit sur les délais de paiement ou sur tous les autres sujets, les ruptures de contrats, les fins de chantier qui se passent mal, les relations avec les fournisseurs d'énergie ou de télécoms. 

Sur les trois dernières années, il y a eu presque autant de médiations menées que pendant la décennie précédente, vous en avez expliqué les causes. Est-ce qu'il y a des secteurs qui sont particulièrement concernés ?

Oui, il y a un secteur qu'on a voulu mettre en avant cette année, parce qu'on travaille beaucoup avec lui, et il a subi à peu près tous les chocs que je vous ai décrits. C'est le secteur du BTP. La flambée des matières premières, évidemment, ça l'a affecté : l'énergie, la difficulté à recruter et maintenant les taux d'intérêt qui sont montés et qui ont mis à mal les promoteurs immobiliers. Tout ça fait que c'est un secteur qui a connu beaucoup de chocs et donc beaucoup de médiations, ce qui est plutôt bien. C'est un secteur qui a appris à se parler. Nous, notre but, c'est ça. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de difficultés, ça, on ne peut pas refaire le monde, surtout en ce moment. 

"On ne peut pas refaire le monde mais ce qu'on peut faire, c'est que les gens réapprennent à se parler et à trouver des solutions par le dialogue plutôt que dans le rapport de force."

Pierre Pelouzet

à franceinfo

Et en dehors du BTP, est-ce qu'il y a d'autres secteurs concernés ?

L'automobile est un secteur qui connaît aussi ses difficultés, avec lequel on travaille beaucoup. Mais dans tous les secteurs, on peut trouver des tensions. Soit parce que le secteur est en difficulté, soit au contraire parce qu'il est en forte croissance. On voit des secteurs comme l'aéronautique par exemple, où ça commence à se tendre quand il y a une forte montée en puissance. Et puis il y a un secteur sur lequel on va beaucoup travailler, c'est le secteur de l'armement. Avec ce qu'on appelle l'économie de guerre, mais qui se traduit par une montée extrêmement forte en puissance de toute la chaîne de production.

Il y a la loi simplification qui est en cours de débat à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce qu'elle va concrètement changer pour les entreprises ?

Il y a beaucoup de choses, mais je vais me focaliser sur une mesure qui nous intéresse particulièrement, puisqu'on la porte. On a vu que la médiation entre entreprises et administrations, ça marchait très bien sur les marchés publics, que nous portons - c'est quasiment 20% de nos médiations. Et puis, petit à petit, on nous a dit qu'il n'y avait pas que les marchés publics qui posent problème entre les entreprises et les administrations. Il y a tous les sujets de normes, d'application des lois, d'autorisations administratives diverses et variées. Et que ce serait pas mal si on mettait des médiateurs sur tous ces sujets. Et donc le texte de loi qui est en cours d'étude à l'Assemblée nationale prévoit ça.

Ce sera une sorte de guichet unique ?

Il ne sera pas unique parce que ce sera un guichet par administration. Il y aura par exemple un médiateur ministère de la Santé, un au ministère de la Justice, etc. Mais au moins, dans chaque administration de l'État, vous aurez un médiateur qui pourra vous aider à rétablir un dialogue, quand vous vous trouvez face à une situation où ça semble bloqué.

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