Quand Netflix fabrique des blockbusters… algorithmiques

Des films à 300 millions de dollars qui disparaissent aussitôt du radar. Netflix s’est imposé comme le maître des productions calibrées par ses algorithmes. Un modèle qui transforme parfois le cinéma en simple bruit de fond.

Article rédigé par Constance Vilanova
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
L'affiche du film "The Electric State", l'exemple typique du film les films algorithmique. (CAPTURE D'ECRAN)
L'affiche du film "The Electric State", l'exemple typique du film les films algorithmique. (CAPTURE D'ECRAN)

Quelque 320 millions de dollars de budget, des effets spéciaux à couper le souffle, les frères Russo (réalisateurs de Captain America et Avengers) aux commandes, Millie Bobby Brown et Chris Pratt à l’écran. Le pitch ? Une adolescente découvre que son ami robot lui a été envoyé par son frère disparu. La bande-annonce léchée de The Electric State avait tout d’un carton planétaire.

Sorti en mars 2025 sur Netflix, le film s’est pourtant évaporé en quelques jours. Numéro 1 de la plateforme le temps d’un week-end, il a rapidement sombré dans l’oubli. Ce flop est devenu l’exemple type de ce que le Guardian appelle les films algorithmiques, dans une enquête. 

Des films conçus pour être regardés d’un œil distrait

Qu’est-ce qu’un film algorithmique ? Une production formatée pour plaire au plus grand nombre, souvent générique et sans aspérités. Des scénarios recyclés – quête à la Spielberg, désert à la Mad Max –, un casting de stars "bankable", mais pas de premier rang, comme Ryan Reynolds ou Adam Sandler, et des intrigues simplifiées à l’extrême. Outre The Electric State, on peut citer The Gray Man (2022), ou la comédie adolescente Tall Girl (2019). 

Le principe est assumé. Ces films doivent pouvoir être suivis… en cuisinant ou en scrollant sur son téléphone. D’où des consignes très concrètes données aux scénaristes : "Faites en sorte que le personnage annonce ce qu’il est en train de faire, pour que les spectateurs qui regardent en arrière-plan puissent suivre".

La toute-puissance de la donnée

Pour calibrer ses productions, Netflix exploite des montagnes de données. La plateforme a inventé des milliers de microcatégories pour étiqueter ses contenus et analyser nos moindres clics. Chaque pause, chaque abandon en cours de film nourrit l’algorithme. La diversité s’évapore, loin des audaces de ses débuts. On se souvient de Roma d’Alfonso Cuarón, pépite en noir et blanc, sacrée dans les festivals en 2018. Aujourd’hui, la logique est différente. Mieux vaut multiplier les films "suffisamment bons" que prendre des risques artistiques.

En 2022, sous la houlette de Dan Lin, Netflix a adopté ce que ses dirigeants appellent le modèle du "cheeseburger gourmet ". Du divertissement massif, mais emballé avec soin. Pas besoin de chefs-d’œuvre, il suffit d’un flux régulier de productions consensuelles pour retenir les abonnés. Cette stratégie a été moquée dans un épisode culte de South Park, où les producteurs décrochent leur téléphone par un simple : "Netflix, vous êtes greenlighté, quel est votre projet ?"

L’intelligence artificielle pointe déjà son nez pour l'avenir. Netflix a utilisé l’IA générative pour créer certains effets visuels de sa série argentine El Eternauta. Amazon a fait de même dans ses productions bibliques. Pour l’instant, l’IA sert à gagner du temps. Demain, elle pourrait aussi produire des scénarios entiers, reproduisant à moindre coût les recettes du passé.

Un risque de pousser encore plus loin cette uniformisation. Des films calibrés, efficaces… mais aussitôt oubliés. Comme The Electric State.




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