Quand ChatGPT s'empare de la romance et fait trembler Booktok

Sur TikTok, les romances font battre le cœur de millions d’adolescentes. Mais derrière ces histoires d’amour calibrées se cache un nouveau joueur : l’intelligence artificielle. Des autrices ont déjà été épinglées, des éditeurs expérimentent, et des plateformes comme Inkitt transforment la littérature sentimentale en produit industriel.

Article rédigé par Constance Vilanova
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Des autrices de romantasy accusées d’avoir eu recours à l’IA pour rédiger leurs livres (photo d'illustration). (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)
Des autrices de romantasy accusées d’avoir eu recours à l’IA pour rédiger leurs livres (photo d'illustration). (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

Sur BookTok, la branche littéraire de TikTok, la romance règne en maître. Histoires de colocs qui tombent amoureux, d’héroïnes qui apprivoisent des bad boys, de baisers dans les couloirs de fac : le genre dévore les rayons et les écrans.

En 2023, Hugo Publishing, l’un des géants français du secteur, publiait près de 80 nouveautés romance par an, sans compter les rééditions. Une production industrielle pour un lectorat insatiable, jeune et prescripteur. Mais ce succès a un revers : la standardisation. Les intrigues se ressemblent, les couvertures aussi, et l’algorithme de TikTok amplifie ce formatage. Un terrain rêvé pour l’intelligence artificielle, qui apprend à reproduire ces codes narratifs comme on apprend une langue.

Des autrices piégées par leurs propres "prompts"

En mai 2025, une affaire secoue la communauté de la romantasy, ce sous-genre mêlant romance et fantasy. Trois autrices ( K.C. Crowne, Rania Faris et Lena McDonald ) sont accusées d’avoir eu recours à l’IA pour rédiger leurs livres. Des lectrices découvrent, dans les versions publiées, des prompts oubliés : ces instructions destinées à guider une intelligence artificielle, du type "écris une scène sensuelle entre les deux héros, ton émotionnel, style Colleen Hoover".

L’enquête menée par IBTimes et Fast Company révèle que ces passages n’ont pas été insérés par erreur d’édition, mais bien laissés dans des manuscrits générés en partie par IA. Face au tollé, certaines autrices plaident la maladresse : "Ce n’était qu’un outil de soutien", déclare K.C. Crowne à Fast Company. D’autres reconnaissent un usage plus massif. L’affaire révèle surtout une frontière poreuse entre assistance et tricherie dans un secteur où les cadences de production sont infernales.

Des éditeurs qui testent en silence

Selon Livres Hebdo, plusieurs maisons d’édition françaises explorent déjà l’usage de l’intelligence artificielle, non pas pour écrire des romans entiers, mais pour structurer des intrigues, formater des quatrièmes de couverture ou produire des résumés marketing. Certains éditeurs monétiseraient même les œuvres de leurs auteurs pour entraîner des modèles linguistiques, une pratique dénoncée par les syndicats du livre.

La romance est intimement liée au numérique. Beaucoup d’autrices viennent de Wattpad, plateforme où les lectrices commentent chaque chapitre. Le corpus est ainsi disponible souvent en libre accès et nourrit les modèles de langage. Le cas le plus frappant reste celui d’Inkitt, la plateforme allemande devenue une "usine à romances générées par IA", selon Bloomberg et L’ADN. Elle revendique plus de 33 millions de lecteurs. Son algorithme analyse les comportements de lecture, combien de pages tournées, combien de secondes sur chaque paragraphe, pour déterminer quels types d’histoires marchent le mieux. Ces données nourrissent ensuite un système de génération automatique qui crée des intrigues "sur mesure". Inkitt ne cache pas son ambition : industrialiser la fiction sentimentale. Les histoires y sont testées, optimisées, corrigées.

L’amour calibré, la littérature dévitalisée

Cette automatisation soulève une question vertigineuse : peut-on encore écrire l’amour sans machine ?Le genre le plus émotionnel de tous devient aussi le plus mécanique. L’IA sait reconnaître un trope, ces thématiques qui reviennent dans ces romans plébiscités par les jeunes femmes ("ennemies to lovers", "fake dating", "forbidden love") mais elle ignore ce qui fait chavirer un lecteur. À force de produire plus vite, l’édition exploite l’addiction des jeunes lectrices à ces récits prévisibles. Et les adolescentes méritent mieux que du romantisme sans spontanéité signé Chat GPT. 

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