La guerre du matcha est déclarée

Tout est parti d’une pizza. Pas n’importe laquelle : une pizza au matcha, lancée, début octobre, par Pizza Hut au Brunei. Une opération de communication éphémère. Une pâte verte nappée de crème, de boules de riz et de sauce sucrée. Un dessert mutant, à mi-chemin entre sushi et margherita, qui a déclenché un torrent de commentaires outrés sur les réseaux.

Ce mélange improbable symbolise surtout un phénomène plus large : la mondialisation du matcha, désormais consommé partout, souvent bien loin de sa culture d’origine.

Le thé des moines devenu boisson de l’ère TikTok

Le matcha, c’est à l’origine une poudre de thé vert japonais moulue très finement, utilisée pour la cérémonie du thé. On la fouette avec de l’eau chaude dans un bol, à l’aide d’un petit fouet en bambou. Riche en antioxydants, en caféine douce et en rituel. La tradition zen s’est transformée en phénomène global. Le Wall Street Journal raconte comment “MatchaTok”, la communauté en ligne des fans de matcha, est devenue un champ de bataille numérique.

Les amateurs s’y affrontent sur le dosage, la pureté ou la bonne façon d’ouvrir une boîte. "Les gens se déchirent pour savoir qui mérite d’en boire", confie une influenceuse au journal américain. Et pour cause : la demande explose. En France, la poudre fluo s’invite dans les cafés de quartier, les boulangeries, les desserts, les cosmétiques, jusqu’aux pizzas.

Business vert et files d’attente

À Paris, l’influenceuse Andie Ella a bâti un empire autour du thé vert avec sa marque Milia Matcha. Son pop-up store, ouvert fin septembre a rassemblé plus des milliers de visiteurs. Sa marque a généré un chiffre d’affaires de trois millions d’euros en 2024, selon Libération.

Même les enseignes généralistes s’y mettent. Le matcha n’est plus une niche, c’est un lifestyle : celui du bien-être, de la lenteur et du vert Instagrammable.

Pénurie mondiale et guerre des fans

Cette ferveur a un prix. Les producteurs japonais, concentrés autour d’Uji, peinent à suivre la demande. Les prix ont grimpé de 80%, selon le revendeur kyotoïte Sazen Tea, cité par le Wall Street Journal. Certains magasins ne vendent plus qu’une seule boîte par client. Cette rareté alimente les tensions. Sur TikTok, des vidéos accusent les “hoarders”,  les acheteurs compulsifs qui stockent, d’avoir provoqué la pénurie. 

Des querelles dignes d’un marché noir pour un produit censé incarner la sérénité. Le matcha devait apaiser les esprits. Il est devenu un révélateur de la mondialisation accélérée par les réseaux. Un symbole de notre époque : un rituel lent transformé en marchandise virale. Et si la pizza au matcha de Brunei fait rire, elle résume parfaitement l’époque, celle où tout finit par voyager, se mélanger, se diluer. Même un thé conçu pour ralentir le temps finit broyé dans la pâte de la modernité.