À cause de ChatGPT, le tiret cadratin devient mal aimé

En français, le tiret cadratin est un tiret long, équivalant à la largeur d’un "M". Il sert à introduire une réplique dans un dialogue, ou à encadrer une incise (—) une explication, une digression, une pause dans la pensée. Sa règle est stricte : il doit être entouré d’espaces insécables, sauf en début de ligne de dialogue. En France on lui préfère le demi-cadratin, moins imposant (–). 
Dans le monde anglophone, l’"em dash" joue un rôle plus souple : il peut remplacer virgules, parenthèses ou deux-points, et donne un rythme plus oral à la phrase. Dickens ou Emily Dickinson en faisaient un usage intensif. 

La polémique en ligne : le "ChatGPT Hyphen"

Depuis 2025, des internautes affirment que le tiret cadratin serait le signe distinctif d’un texte généré par IA. Sur X (ex-Twitter), certains parlent de "ChatGPT Hyphen", moquant les publications truffées de tirets longs. La théorie s’est propagée à Reddit et jusque dans des forums de développeurs, au point que certains conseillent d’éviter le cadratin pour ne pas être pris pour un bot.

Si sur un clavier classique, ce signe est peu accessible — il faut connaître un raccourci. ChatGPT, lui, en parsème ses réponses et sans retenue. On le retrouve donc aujourd'hui dans des mails, des lettres de motivation ou des posts sur les réseaux sociaux. Des textes commandés par des internautes à une IA générative et copiés collés. 

Exemple : La marque de fast fashion Pretty Little Thing a annoncé en 2025 un changement de direction artistique sur Instagram. Dans le texte de son post figuraient plusieurs tirets cadratins. Les internautes s’en sont donc moqués sur TikTok, accusant la marque d’avoir publié un texte "écrit par ChatGPT".

Les défenseurs du cadratin

Pendant que la génération Z se méfie de lui, écrivains, secrétaires de rédaction, éditeurs et professeurs lèvent leur bouclier. Ils n’ont pas l’intention de le céder aux machines. Ils rappellent que le tiret cadratin est l’un des outils les plus humains de l’écriture. Le Washington Post cite ainsi Aileen Gallagher, professeure de journalisme à l'université de Syracuse dans l'état de New York plaide sa cause : "Le tiret cadratin est un outil d’écriture si puissant, d’une grande subtilité… Il est déplorable de le prendre pour un indicateur d’un écrit sans âme. Il est une gourmandise littéraire." 

C’est même un signe de gourmandise littéraire, un moyen souple et élégant de rythmer la phrase. Sans tiret Cadratin, Marcel Proust n’aurait pas pu écrire ses phrases de dix pages !

Pourquoi l’IA en abuse ?

Les modèles comme ChatGPT n’ont aucun style propre. Ils sont entraînés sur des corpus massifs de textes humains, largement anglo-saxons. Or l’anglais moderne raffole de l’"em dash", bien plus que le français, qui privilégie virgules et parenthès. L’IA reproduit cette tradition. Même lorsqu’on lui demande explicitement de s’en passer, elle réintroduit souvent des tirets longs. Et si on lui demande d'arrêter de l'utiliser, elle n'y arrive pas. 

Le cadratin est donc un héritage littéraire anglo-saxon plus qu’un marqueur artificiel. Dickens l’utilisait déjà pour rythmer ses phrases, et il reste pour beaucoup d’écrivains un signe précieux qui épouse nos hésitations, nos bifurcations, nos pauses. Le soupçon qui pèse sur lui révèle surtout notre malaise, comment distinguer l’écriture humaine de celle des machines, et sur quels détails futiles nous sommes prêts à nous accrocher pour le faire ?