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Commémorer c'est faire des choix

Après le discours de jeudi du président de la République sur la guerre 14-18, et à la veille du 11 novembre : quelle utilité pour les commémorations ?

Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
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Ce
jeudi après-midi, dans les salons de l'Elysée, le président de la République a
prononcé une allocution
- qui se voulait importante -, pour le lancement des commémorations
du Centenaire de la première guerre mondiale.

Depuis plusieurs semaines, son équipe de communication avait fait savoir qu'il
allait se lancer – et peut-être même se lâcher –, sortir de sa prudence et
faire un discours majeur sur la République, la Nation, bref sur la France.
"Vous allez voir ce que vous allez voir", laissaient-ils entendre.

Après des mois de cafouillage, d'erreurs et après la bévue de son
intervention sur l'affaire Leonarda – où il proposait à une jeune fille mineure
expulsée de revenir en France mais seule
– le président comptait bien corriger
le tir. Son idée était de célébrer, je cite, "un temps de mémoire au
moment où la France s'interroge".

Un discours de

commémoration est-il aussi une prise de parole politique ?

Commémorer c'est faire des choix. Que
l'on choisisse un grand homme – ou beaucoup plus rarement une femme – pour
entrer au Panthéon ; que
l'on décide d'accorder de l'importance à telle commémoration plutôt qu'à telle
autre ; on choisit.

Aucun choix ne s'impose ; il n'y a rien de systématique ni d'exhaustif. Le
21 mai 1981, François Mitterrand, à peine élu, marche au Panthéon, seul
dans la demeure des grands hommes
. Plus qu'un symbole politique.

En
1989, François Mitterrand, encore lui, décide de commémorer le bicentenaire de
la Révolution française. A cette époque, et jusqu'en 1991, le ministère de la
Culture avait même changé de nom (même si Jack Lang en était resté le
titulaire) : il était devenu le ministère de la Culture, de la Communication,
des Grands travaux et du Bicentenaire. Pour Mitterrand, commémorer 1789 c'était
faire des choix entre plusieurs lectures de la révolution française – et au
passage, son ancien ministre, Jean-Pierre Chevènement, .regrette ce matin dans le Journal du dimanche qu'on ait choisi la figure de Danton "alors qu'on aurait dû réhabiliter Robespierre".

S'agissant
du Panthéon, sur le fronton duquel est écrit "Aux grands hommes la patrie
reconnaissante", François Mitterrand a choisi Jean Monnet, l'un des pères
de l'Union européenne ou encore Pierre et Marie Curie.

Quant à Jacques Chirac, il a préféré un écrivain qui était aussi un ministre
gaulliste André Malraux, lequel avait été justement chargé par le Général de
Gaulle, trente ans plus tôt, de prononcer le discours marquant l'entrée
de Jean Moulin au Panthéon.

Demain, autre commémoration : celle de l'armistice****

Ce
11 novembre, comme chaque 11 novembre depuis 1919, on fête en effet
l'armistice. Au
départ, ce n'était pas une fête nationale - et ce n'était pas férié non plus. En
1920, on dépose le cœur (certes dans une urne) de Gambetta
au Panthéon, le 11 novembre. On voit l'agrégation des symboles.

En
général, ce sont alors les associations d'anciens combattants qui organisent
l'armistice seules, sans le soutien de l'Etat. En 1921, on avait même déplacé la
commémoration au 13 novembre, pour que ce soit un dimanche et que les citoyens
puissent y participer. L'Eglise, étrangement, y a parfois été associée. Avec ses enfants de chœur et
ses prières.

Ni
officielle, ni militaire, l'armistice ne devient fête nationale qu'à partir de

  1. Une minute de silence devient une forme de prière, simplement laïque. Avec bien sûr le dépôt de gerbes, le
    drapeau français, le monument aux morts...

Car,
au final, cette commémoration est une sorte de véritable "religion civile". Avec ses rituels : les drapeaux qui s'inclinent, la liste nominative des hommes "morts pour la patrie"...

Ce
qui est intéressant avec le Panthéon, comme avec l'armistice et ses monuments
aux morts, c'est ce culte républicain, un peu figé, un peu artificiel, qui est
devenu au fil du temps de moins en moins populaire.

Personne n'y est vraiment hostile, mais une majorité de Français – heureuse
certes d'avoir un jour de congés – ne sait plus trop quelle guerre on
commémore, ni pourquoi. Du coup, les pouvoirs publics sont d'autant plus présents pour ces
commémorations que la ferveur populaire s'est tarie... Et
les drapeaux bleu blanc rouge sont érigés administrativement par l'État sur les
bâtiments publics, parce que plus personne ne les brandit spontanément dans les
rues.

La
commémoration du 11 novembre 1918 - et c'est sans doute regrettable - ne mobilise plus les
Français, pas plus que le Panthéon, qui n'est ni un cimetière, ni une église, ni même
un musée, n'est capable d'être aujourd'hui un lieu vivant de la mémoire
nationale
. Au mieux, lorsqu'on y passe, en semaine, on y trouve, comme le
faisait remarquer l'écrivain Julien Gracq, trois touristes de l'Illinois, un
peu perdus. L'historienne Mona Ozouf a même parlé de "l'échec du
Panthéon".

François Hollande pourra-t-il récupérer un bénéfice politique de ces commémorations ?  

François Hollande semble être le seul à croire qu'une
commémoration, aussi légitime soit-elle, va lui permettre de trouver un nouveau
souffle.

Il
a fait ce jeudi un beau discours, scolaire, avec plein de citations, mais
personne, trois jours après, ne s'en souvient véritablement. Dans la presse, ce
fut au mieux un article d'un quart de page et au JT quelques secondes.

Il
devrait, bien sûr, annoncer d'ici la fin de l'année le nom de la personne – une
femme sans doute – qui entrera prochainement au Panthéon. Mais qui s'en soucie
vraiment ?

Même les héritiers d'Albert Camus avaient refusé à Nicolas Sarkozy la "translation" (le fait de transporter les restes d'un grand
homme) de ses cendres au Panthéon.

Le
Chef de l'Etat peut même essayer une autre idée : se précipiter à Colombey-les-Deux-Eglises, où, nous annonce depuis quelques heures Le Figaro , la croix de Lorraine, oui
celle-là même du Général de Gaulle, serait en "péril". (François
Hollande d'ailleurs, qui pour être au-dessus de la mêlée, a cité deux fois De
Gaulle dans son discours de jeudi, se faisant même applaudir par Jean-François
Copé).

Un chef de l'Etat "au-dessus de la mêlée" ?

François Hollande a d'ailleurs annoncé le
lancement d'autres commémorations, comme celle du 70e anniversaire
de la libération de la France. On ne sait pas quel conseiller a été suffisamment flagorneur pour faire
croire au Chef de l'Etat que sa côte de popularité pouvait bénéficier de ces
commémorations, ou d'un grand discours en quelque sorte sur l'union sacrée, s'il
se plaçait "au-dessus de la mêlée"...

Or, désormais, les éditorialistes et les sondeurs semblent d'accord sur un point : le président
de la République suscite désormais un tel rejet dans l'opinion publique qu'il
est condamné à agir - et à agir vite. A ce stade, aucun discours, aucune commémoration, ne peut changer
la donne. 

A
force de vouloir commémorer au lieu d'agir, François Hollande prend le risque de ne plus pouvoir
agir.
Et il ne faudrait pas que l'on se souvienne, un jour, de ce chef d'Etat qui
faisait de beaux discours, mais qui était devenu à ce point impopulaire, qu'il ne
mériterait même plus, lui-même, de faire l'objet d'une commémoration.

 

* Bibliographie :

  • Pierre
    Nora (dir.), Les Lieux de mémoire , tome I, Gallimard. Voir notamment les textes de
    Mona Ozouf sur "Le Panthéon", et d'Antoine Prost, "Les
    monuments aux morts"

  • Lauric
    Henneton et Bernard Cottret (dir.), Du
    bon usage des commémorations: Histoire, mémoire, identité, XVIe-XXIe siècles
    ,
    Presses Universitaires de Rennes

  • Jean-Pierre Azéma, Michel Winock, La Troisième République , Pluriel, 1970, rééd.
    1976

    • Maurice Agulhon, La République , tomes I et II, Pluriel, 1990, rééd. 2010

 

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