Marine Le Pen : la fragilité, ou la dédiabolisation achevée
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Au sortir de ce week-end riche en meetings, revenons sur celui de Marine Le Pen à Reims, samedi 5 février. Elle y a prononcé un discours très classique, du moins jusqu’au dix dernières minutes, durant lesquelles elle a cessé de parler de la France, pour plutôt nous parler d’elle-même. Marine Le Pen s’avance sur le devant de la scène et, dans la pénombre, s’adresse ainsi aux électeurs.
"Maintenant mes amis, je vais prendre quelques minutes pour vous parler de moi. Parce que je crois que l'élection à la présidence de la République, c'est d'abord une rencontre entre le peuple et un homme ou une femme, et en l'occurrence une femme."
Marine Le Penlors de son meeting à Reims
Tout, dans cette séquence, constitue une rupture. La musicalité du discours se fait soudain beaucoup plus sobre. La gestuelle également : Marine Le Pen parle les bras ballants, au milieu de la scène, en abandonnant l’appui et la protection que lui offrait son pupitre. L’effet produit est celui d’une vulnérabilité volontaire, d’un moment de confession au sein d’un exercice, le meeting, qui est d’ordinaire consacré à la mise en scène du triomphe.
Une vulnérabilité assumée dans le contenu du discours
Marine Le Pen choisit d’évoquer des moments spécifiques de sa biographie, qui témoignent des sacrifices qu’elle a consenti et révèlent ses fragilités. C’est ainsi qu’elle nous parle du divorce de ses parents, de ses années comme mère célibataire ou, encore, de l’attentat contre l’appartement familial des Le Pen, en 1976.
"Il y a eu cet attentat. J'avais huit ans. Le silence d'abord. Le silence de l'explosion qui rend sourd. Puis la fumée, les voix qui appellent. Et puis la question : qui est mort ? Qui est vivant ?"
Marine Le Penlors de son meeting à Reims
C’est que ce l’on appelle, en rhétorique, une diatypose, c’est-à-dire, une description brève qui, en quelques détails, doit suffire à nous donner l’image d’une scène. C’est un procédé utilisé très classiquement par les avocats, et Marine Le Pen le manie avec un talent indéniable : en une question, "qui est mort, qui est vivant ?", elle parvient à nous faire prendre conscience de l’horreur de la situation.
Obtenir notre compassion
On retrouve ici une stratégie qu’elle a commencé à déployer il y a une dizaine de jours : assumer explicitement sa fragilité, pour faire évoluer son ethos, son image. Mais ce qui est nouveau, c’est que ce travail sur l’image va de pair avec un discours politique. "Très vite, j'ai connu la violence politique quand j'étais petite fille à l'école, déclare Marine Le Pen. On m'a fait payer l'engagement de mon père. Des persécutions que l'esprit d'une enfant insouciante ne peut pas vraiment comprendre. Des persécutions qui me font honnir aujourd'hui toute idée de discrimination. J'en mesure l'injustice, j'en connais la souffrance." Le champ lexical est volontairement très dur : persécutions, violences politiques. On retrouve cette volonté d’attirer la compassion. Mais ici, Marine Le Pen va au-delà. À partir de l’histoire qu’elle nous rapporte, elle articule une montée vers un enseignement plus large – en l’occurrence, le rejet de la discrimination. C’est l’un des procédés propre au storytelling, qui consiste à présenter son argumentation sous la forme d’une histoire, éventuellement personnelle.
Un travail sur sa propre image au cœur d'une stratégie plus large
Il s’inscrit dans une stratégie dirigée contre son principal concurrent : Éric Zemmour ! Celui-ci revendique la force ? Marine Le Pen assume ses failles. Il cherche l’admiration, par son étalage de citations ? Elle suscite désormais la compassion. Il raisonne à partir de généralisations ? Elle s’engage contre toute discrimination. Nous avons la confirmation de ce que nous suspections depuis un moment : Marine Le Pen s’appuie sur la radicalité affichée par Éric Zemmour pour achever le processus de dédiabolisation en renvoyant d’elle-même, par contraste, une image moins ferme, peut-être, mais plus rassurante.
Ne perdons pas de vue l’essentiel, cela dit : si Marine Le Pen insiste autant sur son image pour marquer avec Éric Zemmour une divergence irréductible, c’est que leurs propositions politiques, elles, restent largement compatibles.
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