CHRONIQUE. Fiscalité des très riches : "piège à la con" ou menace sur la cohésion du pacte républicain ?
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 11 juin : l’imposition des grandes fortunes.
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Une étude publiée cette semaine est venue remettre cette question sur le devant de la scène. Elle montre que les milliardaires seraient, en France, relativement peu taxés. "Quels impôts les milliardaires paient-ils ?" : tel est le titre de cette étude, rédigée par les économistes de l’Institut des politiques publiques. Une question très claire, pour une réponse qui l’est tout autant : "Ils ne paient pas assez" !
Commençons par le commencement : l'originalité de cette étude, c’est que les chercheurs ont pris en compte les revenus des foyers très fortunés dans leur intégralité. Pas seulement le revenu fiscal de référence – le chiffre qu’on découvre toutes et tous une fois qu’on a terminé de remplir notre déclaration de revenus. Mais aussi les bénéfices que ces grandes fortunes laissent volontairement dormir dans leurs sociétés : ce sont des profits réalisés, déjà taxés, et qui n’ont été ni réinvestis, ni redistribués aux employés. Ce n’est pas de la valeur virtuelle : c’est de l’argent disponible, sur lequel les propriétaires des sociétés gardent le contrôle. Les chercheurs estiment qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte.
Les plus riches contribuent moins que les autres, en proportion
Les conclusions de l'étude sont édifiantes. Les chercheurs montrent qu’en France, l’impôt est effectivement progressif pour 99,9% des Français. À son apogée, pour les foyers qui gagnent autour de 600 000€ par an, il atteint 46% du total des revenus. Et puis il y a les 0,1% les plus riches. Pour eux, l’impôt devient régressif : plus ils sont riches parmi les riches et moins ils contribuent, proportionnellement, aux dépenses nationales. Pour les quelques dizaines de foyers les plus fortunés, l’impôt ne s’élève plus qu’à 26% de leurs revenus : 20% de moins que le taux maximal. Et encore, on ne parle là que des chiffres de 2016, les seuls auxquels les économistes ont eu accès. Depuis, Emmanuel Macron a considérablement allégé l’impôt des grandes fortunes. Il est donc probable qu’en proportion, les milliardaires en payent, aujourd’hui, encore moins.
Toute la question est de savoir s'il est possible de taxer ces revenus qui restent dans les entreprises. Sur ce point, les économistes évoquent quelques pistes, tout en concédant que les mesures qu’ils suggèrent pourraient poser de sérieuses difficultés juridiques. Le ministère de l’Économie insiste, quant à lui, sur le fait que les ménages visés seraient "très mobiles", et qu’il pourrait donc être contre-productif de chercher à les taxer davantage. Sauf, bien sûr, à ce que les pays de l’Union européenne parviennent à s’accorder sur un taux unique, et élevé, d’impôt sur les sociétés. Mais, soyons francs : cela ne semble pas vraiment d’actualité.
Rétablir la progressivité de l'impôt
Pour corriger cette injustice, nous pourrions commencer par utiliser l’impôt sur le capital et sur les très hauts revenus. Ce ne serait sans doute pas suffisant pour rétablir une véritable progressivité de l’impôt, mais ce serait déjà mieux que rien. Et cela tombe bien : les marges de manœuvres sont énormes ! En octobre dernier, France Stratégie a rendu son dernier rapport sur les réformes fiscales d’Emmanuel Macron. En ce qui concerne la suppression de l’impôt sur la fortune et la baisse des taxes sur les dividendes, il est impossible de détecter "un effet réel sur l’économie". C’était pourtant la promesse initiale du gouvernement : "favoriser la croissance du tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation". Rien de tout cela ne s’étant produit, la logique commanderait de remettre l’ouvrage sur le métier.
D’autant que, dans un rapport publié il y a quelques semaines, Jean Pisani-Ferry lui-même, l’un des économistes ayant inspiré le programme d’Emmanuel Macron en 2017, plaidait pour un impôt exceptionnel sur le patrimoine afin de financer "le mur des investissements écologiques". Rappelons également que, d’après le dernier rapport d’Oxfam, en France, les foyers les plus riches ont triplé leur fortune ces dix dernières années. Toutes les études convergent, mais rien à faire : le gouvernement continue d’opposer une fin de non-recevoir. Le président de la République a même été jusqu’à parler "du piège à la con du débat sur la fiscalité des riches".
Aujourd’hui, la fiscalité est objectivement inégalitaire. Or, la recherche a montré depuis longtemps que le consentement à l’impôt est directement lié à son caractère équitable.
[Nous constatons en France] "une telle reconstitution des privilèges, que l’on pourrait dire de la société actuelle ce que Tocqueville appliquait à l’ancien régime : l’impôt a pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre".
André Barilari, chercheurdans la "Revue française de finances publiques" en 2019
Un impôt injuste, et perçu comme tel, ne suscite pas seulement la colère des citoyens. Ce qu’il menace directement, c’est la cohésion de notre pacte républicain.
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