"Bloody Sunday" : un ancien soldat britannique jugé à Belfast, 53 ans après les faits

Pour la première fois depuis la répression sanglante d'une manifestation en 1972, en Irlande du Nord, un ancien soldat de l'armée britannique doit répondre de meurtres et de tentatives de meurtres devant un tribunal de Belfast. Un procès pour l'histoire et l'aboutissement d'un long combat pour les familles de victimes.

Article rédigé par Nicolas Teillard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Proches de victimes, devant le tribunal de Belfast, où se déroule le procès du soldat F, dont l'identité n'a pas été révélée, le 15 septembre 2025. (LIAM MCBURNEY / MAXPPP)
Proches de victimes, devant le tribunal de Belfast, où se déroule le procès du soldat F, dont l'identité n'a pas été révélée, le 15 septembre 2025. (LIAM MCBURNEY / MAXPPP)

C'est l'un des jours les plus noirs de la guerre civile qui a déchiré l'Irlande du Nord pendant trois décennies, entre la fin des années 1960 et l'accord de paix signé en 1998. Le Bloody Sunday ou "dimanche sanglant", immortalisé par la chanson de U2.

Le 30 janvier 1972, environ 20 000 personnes défilent pacifiquement dans la ville de Derry, pour dénoncer "l'internement sans procès" mis en place par les autorités nord-irlandaises depuis quelques mois. Une mesure instaurée face aux actions violentes de l'IRA, ce groupe paramilitaire qui appelle à l'unification de l'Iralnde et qui rejette la présence britannique sur l'île.

La manifestation dégénère, et les soldats britanniques, déployés pour assurer l'ordre, ouvrent le feu sur le cortège. L'opération fait 13 morts et 14 blessés, et plusieurs des victimes sont touchées dans le dos, en tentant de s'enfuir ou en portant secours à des manifestants à terre.

Anonymat préservé du "soldat F"

Plus de 50 ans après, aucun soldat de la couronne n'a jamais été jugé pour ces faits. Mais le "soldat F" pourrait être le premier. C’est lui qui comparait depuis lundi 15 septembre, à Belfast, où il doit répondre de deux meurtres et cinq tentatives de meurtre. "Soldat F", c'est la seule identité rendue publique d'un accusé âgé de 75 ans, qui avait plaidé non coupable lors de sa première comparution en décembre dernier.

À l’époque, un épais rideau le protégeait des regards, et ce dispositif de protection lui a de nouveau été accordé pour toute la durée du procès, qui se déroulera sur plusieurs semaines. Pas de nom, pas de visage, un anonymat total pour parer à tout esprit de vengeance, 53 ans après les faits.

Plusieurs décennies ont été marquées par le déni, après la violente répression de la manifestation de 1972. L'armée britannique affirme que ses soldats n'ont fait que répondre à des tirs des "terroristes de l'IRA", l'armée républicaine irlandaise. Un rapport, rédigé hâtivement, viendra confirmer la thèse, malgré l'accumulation de témoignages contredisant la version.

Des excuses du gouvernement britannique en 2010

La vérité restera longtemps enfouie. Malgré les accords de paix de 1998, il faudra attendre 2010 pour que le gouvernement britannique reconnaisse l'innocence des victimes, et présente des excuses. "Les tirs étaient injustifiés. Les civils (...) ne posaient aucune menace pour les soldats et ces derniers ne pouvaient pas croire à l'existence d'une menace", a affirmé le représentant de l'accusation, Louis Mably, à l'ouverture des débats lundi, alors que des proches des victimes étaient rassemblées devant le tribunal pour réclamer justice.

Il y a deux ans, une loi controversée, baptisée "Héritage et réconciliation", a mis fin à la plupart des poursuites pénales pour les crimes commis pendant la période des "Troubles". Le procès du "soldat F" pourrait donc être le premier... et le dernier.

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