Les entreprises peuvent-elles s'entendre pour ne pas se piquer mutuellement leurs salariés ?

C'est une première en France. L'Autorité de la concurrence vient de sanctionner 4 entreprises pour des pratiques de non-débauchage de salariés. Elles s'étaient mutuellement interdit de solliciter et de recruter leurs employés respectifs. Comment le pot aux roses a-t-il été découvert ?

Article rédigé par Sarah Lemoine
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
"Ces pratiques ont affecté des travailleurs dont les perspectives 
de mobilité et d’amélioration des conditions de travail ont pu 
être impactées", selon l'Autorité de la concurrence. (KLAUS TIEDGE / TETRA IMAGES RF / GETTY IMAGES)
"Ces pratiques ont affecté des travailleurs dont les perspectives de mobilité et d’amélioration des conditions de travail ont pu être impactées", selon l'Autorité de la concurrence. (KLAUS TIEDGE / TETRA IMAGES RF / GETTY IMAGES)

En 2018, une entreprise de conseil dans les technologies vient frapper à la porte de l'Autorité de la concurrence. Elle s'appelle Ausy et sollicite la clémence pour une faute qu'elle a commise et qu'elle s'apprête à révéler. Elle affirme, preuves à l'appui, avoir conclu un accord de non-débauchage de salariés, notamment avec son concurrent Alten.

L'enquête menée par le gendarme de la concurrence confirme les faits. Pendant 9 ans, Ausy et Alten se sont mutuellement interdit de faire la danse du ventre à leurs équipes managériales respectives. Les sollicitations directes étaient interdites, les candidatures spontanées jetées à la poubelle, et les deux entreprises se concertaient lorsque des mobilités de salariés étaient en projet. Cet accord informel, non écrit, que l'Autorité de la concurrence qualifie de "gentlemen's agreement" était global et n'avait aucune limite dans le temps.

Lors de l'enquête, des pratiques similaires ont été découvertes entre deux autres entreprises du secteur. Conséquence : à l'exception d'Ausy, qui s'est autodénoncée, toutes ont été sanctionnées. La plus grosse pénalité, 24 millions d'euros, c'est Alten qui devra la verser.

Quel message envoie l'Autorité de la concurrence ?

"C'est un signal fort" selon l'avocat Malik Idri, associé au cabinet FTPA. "C'est la première fois que des accords de non-débauchage sont qualifiés de pratiques anticoncurrentielles, parce qu'ils portent gravement préjudice aux salariés. Ces derniers sont empêchés de partir, cela les prive de débouchés et de leviers pour obtenir de meilleurs salaires". Ces pratiques existent depuis longtemps dans les entreprises, affirme l'avocat. Désormais, l'avertissement est clair. C'est interdit. Avec quelques exceptions, cependant.

La clause de non-sollicitation reste permise, sous certaines conditions

L'Autorité de la concurrence a en effet profité de cette affaire pour accomplir un gros travail de pédagogie et pour dire ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas.

La clause de non-sollicitation reste permise, à condition qu'elle soit limitée dans le temps et qu'elle nomme les personnes concernées. Par exemple, lorsqu'une entreprise de conseil envoie un consultant en mission, l'entreprise hôte s'engage à ne pas le débaucher. La clause est alors écrite noir sur le blanc dans le contrat. "C'est une pratique classique et répandue dans la sous-traitance", affirme Malik Idri. Mais sont-elles toutes conformes ?

Ce qui est formellement interdit en revanche, c'est donc le "gentlemen's agreement", cet accord global conclu à l'oral, qui vise indistinctement tout ou partie des salariés, pour une durée indéterminée. D'après l'avocat, les autorités de la concurrence aux Etats-Unis et en Europe, sont de plus en plus nombreuses à se positionner sur ce sujet.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.