Crise politique : "On va finir par détruire la Ve République" déclare Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, était l’invité de l’émission "Tout est politique", diffusée sur franceinfo samedi 11 octobre. Il a répondu aux questions de Myriam Encaoua et Laurent Joffrin, notamment sur les récents rebondissements autour de Sébastien Lecornu, la fragilisation des institutions de la Ve République et les risques politiques et économiques qui en découlent.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.


Myriam Encaoua : Quel sentiment vous traverse en observant ce spectacle, ces derniers rebondissements, de Lecornu 1 à Lecornu 2 ? Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?

Henri Guaino : Je me demande sincèrement dans quel monde je vis. Je n’ai plus de mots. J’en ai cherché beaucoup au fil des étapes précédentes, mais, cette fois, je n’en trouve plus. C’est un mélange d’incompréhension et d’amertume. Cette situation a quelque chose de profondément risible, et l’on pourrait en rire si elle n’était pas aussi dramatique. À ce rythme, nous allons finir par détruire la Ve République. J’entendais tout à l’heure quelqu’un sur votre plateau le dire, et il avait parfaitement raison : si nous continuons ainsi, nous glisserons vers un régime autoritaire.

Myriam Encaoua : Un régime autoritaire, c’est, selon vous, l’étape suivante ?

Henri Guaino : Oui, si nous poursuivons sur cette pente fatale. Vous le voyez bien : la démocratie est fragilisée dans tous les pays occidentaux. Regardez les États-Unis, observez le climat politique en Grande-Bretagne, la montée des extrêmes en Allemagne, la situation en Espagne… Le risque est partout. Et ici, nous jouons avec le feu.
Une fois que nous aurons détruit la fonction présidentielle, une fois que les institutions de la Ve République auront été affaiblies, que restera-t-il ? Comment sortirons-nous de cette impasse ?

Laurent Joffrin : Que fallait-il faire, selon vous, dans cette crise ? Accepter le compromis sur les retraites, ou refuser tout compromis ?

Henri Guaino : Si l’on considère la situation actuelle, elle est tout de même le fruit d’un an d’errance. Je ne comprends pas pourquoi Sébastien Lecornu a annoncé un gouvernement le dimanche soir pour le dissoudre dès le lundi matin. Si les conditions n’étaient pas réunies, il suffisait d’attendre un jour de plus. Je ne comprends pas non plus la composition de ce gouvernement, pratiquement identique au précédent, auquel on a simplement ajouté Bruno Le Maire. Ce n’est pas un procès d’intention : je ne mets pas en doute ses qualités, mais il est au cœur du débat sur la dette et les finances publiques. On l’a rendu responsable, parfois injustement, de dérives financières que l’on a dramatisées à l’excès.

C’est une dramatisation irresponsable. Bayrou n’est pas seul dans cette logique. Nous avons même vu un ministre des Finances déclarer un matin que le FMI était "aux portes du pays", avant de devoir démentir l’après-midi même. Tout cela nourrit la panique.

Mais remarquez une chose : les marchés n’ont pas réellement peur des 3 500 milliards d’euros de dette. Ce qu’ils craignent avant tout, c’est l’instabilité politique, parce qu’ils ne savent plus où ils vont. Et plus nous créons de l’instabilité, plus nous leur faisons peur, donc plus les taux montent.

J’ajoute deux points. D’abord, un autre danger majeur nous guette : la fragilisation du consentement à l’impôt. Les marchés considèrent que la France dispose d’un atout essentiel : un État fort, aujourd’hui en voie d’affaiblissement, et une administration fiscale efficace, capable de lever l’impôt en cas de besoin.

Myriam Encaoua : Vous pensez que les Français pourraient refuser de payer l’impôt dans la situation actuelle ?

Henri Guaino : Je le crains, oui. Nous nous en approchons, surtout avec un plan comme celui-ci.

Myriam Encaoua : Ce serait, selon vous, la rupture du pacte républicain ?

Henri Guaino : La véritable rupture, ce sont les politiques absurdes que nous menons. Si l’on revient à la politique prônée par Bayrou, alors oui, les Français ne veulent plus payer. Et lorsqu’on leur dit : "Vous allez tous contribuer", chacun répond : "Que ce soit le voisin, mais pas moi." Ainsi, tout le monde devient le bouc émissaire des prélèvements obligatoires.

Laurent Joffrin : Vaudrait-il mieux laisser filer le déficit plutôt que d’envoyer un message aussi négatif à l’opinion ?

Henri Guaino : Ce message est dévastateur, car il dresse les uns contre les autres. Et, de toute façon, on ne réduit pas un déficit de cette manière, vous le savez bien. Jamais on n’a réussi à le faire durablement ainsi : on peut le diminuer un an ou deux, mais ensuite, on tue le potentiel de croissance, et donc, in fine, on ne réduit rien.

Je voudrais ajouter une dernière remarque, pour être précis : on oublie souvent le rôle de la Banque centrale européenne. Elle retire actuellement les liquidités qu’elle avait injectées sur les marchés pendant la pandémie, en rachetant des obligations d’État. Aujourd’hui, elle revend ces obligations pour retirer ces liquidités. Cela fait mécaniquement monter les taux longs.

Retirer des liquidités, c’est faire grimper les taux, ce qui alourdit encore la situation actuelle. C’est invraisemblable. Et, depuis le début de l’année, nous avons en plus assisté à une réappréciation de l’euro d’environ 15 %, qui vient s’ajouter, pour nos entreprises, aux droits de douane imposés par Donald Trump.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.

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