Narcotrafic en France : "Une réponse répressive est nécessaire", mais "il faut respecter les droits des prisonniers", affirme Frédéric Saliba, spécialiste du crime organisé

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6médias
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Le journaliste Frédéric Saliba était invité de franceinfo vendredi, pour évoquer la plainte pour abus de pouvoir déposée contre le ministre de la Justice après le transfert de 17 détenus dans la prison de Vendin-le-Vieil.

Une prison de haute sécurité qui crée déjà des remous. Gérald Darmanin doit se rendre, vendredi 25 juillet, à l'établissement de Vendin-le-Vieil, après y avoir transféré mardi 17 premiers narcotrafiquants(Nouvelle fenêtre). L'avocat d'un détenu a annoncé jeudi avoir déposé plainte pour abus d'autorité contre le garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR). Selon Philippe Ohayon, le ministre a agi "en s'affranchissant de l'obligation d'établir des liens préexistants entre le détenu, depuis la détention, et des réseaux de criminalité ou de délinquance organisée".

Invité sur franceinfo, Frédéric Saliba, journaliste spécialisé dans le crime organisé, prône "une réponse adéquate" face à "l'hydre" que représente à ses yeux le narcotrafic en France. "Attention à ne pas perdre notre identité citoyenne, des droits de l'homme, des libertés au nom de la sécurité", nuance-t-il toutefois".

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

France Télévisions : La plainte contre Gérald Darmanin pour non-respect des règles signifie-t-elle que construire des prisons de haute sécurité sera plus difficile ?

Frédéric Saliba : Je ne sais pas si ce sera plus compliqué que prévu. Mais on pouvait s'en douter. La politique répressive du gouvernement et ses attitudes vis-à-vis des prisonniers qui gèrent des trafics depuis des prisons constituent une problématique à laquelle il faut s'attaquer. C'est plutôt bien vu d'utiliser, en plus, des moyens pénitentiaires qui ont été utilisés dans d'autres pays, notamment en Italie, parce que les narcotrafiquants français, mais aussi à l'étranger, gèrent leur trafic depuis les prisons. Donc il faut agir. Mais le problème est plutôt la manière pour empêcher les détenus de communiquer avec l'extérieur.

Droits au téléphone fixe seulement deux fois par semaine pendant deux heures, fouille intégrale après chaque contact avec l'extérieur, un parloir avec une vitre... Les conditions imposées aux prisonniers sont-elles très dures ?

On est le pays des droits de l'homme, donc il faut respecter les droits des prisonniers. Certains sont très jeunes. Ce sont des conditions qui sont difficiles. Puis il y a une grande question qui est le choix des prisonniers, puisqu'il faut s'assurer que ces narcotrafiquants représentent en effet une menace et une menace derrière les barreaux. Le Conseil constitutionnel d'ailleurs l'avait mentionné, donc il n'est pas si étonnant que ça qu'il y ait une réponse des magistrats, mais surtout des avocats.

Il y a des réseaux qui se constituent dans des prisons plus classiques. Est-ce que le fait d'être isolé, de ne pas pouvoir sortir ensemble pour des petites récréations, par exemple, ne peut pas quand même permettre d'assécher le trafic ?

Je pense qu'une réponse répressive est nécessaire parce que les narcotrafiquants sont surarmés. On a affaire à une nouvelle génération de narcotrafiquants et donc il faut une réponse adéquate. Je compare le narcotrafic à une hydre, c'est-à-dire que vous coupez une tête, immédiatement, une autre tête apparaît. C'est un phénomène complexe qui n'est pas seulement répressif et qui n'est pas seulement lié non plus aux drogues.

Certains narcotrafiquants, qui vont être emprisonnés, ne sont pas forcément des dirigeants de grands cartels. Même Mohamed Amra, qui est un prisonnier très dangereux, n'est pas le grand Pablo Escobar de la France. Oui, d'un côté, c'est très utile de répondre de manière assez ferme du côté de l'Etat, parce que l'État doit être fort face au narcotrafic, mais attention à ne pas perdre notre identité citoyenne, des droits de l'homme, des libertés au nom de la sécurité.

Ces politiques ont pu marcher en Italie parce qu'il y avait une stratégie globale. Elles font partie d'une politique beaucoup plus importante, qui peut être d'ailleurs une politique sanitaire, éducative, sociale, urbaine. Et pour l'instant, du côté du gouvernement, c'est une mobilisation du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Justice, mais assez peu des autres membres du gouvernement.

Peut-on imaginer que les narcotrafiquants vont s'adapter à ces nouvelles règles, comme ils l'ont fait dans les prisons, et trouver des moyens de les détourner ?

Bien sûr. D'ailleurs, quand les 100 prisonniers seront transférés, on regardera la liste de ces prisonniers parce qu'on peut se poser aussi des questions de corruption. Est-ce qu'il y a des narcotrafiquants qui négocient pour ne pas être sur cette liste ? Surtout, est-ce qu'on est sûr que ces narcotrafiquants, une fois en prison, continueront leurs activités et nécessitent un quartier de haute sécurité ?

Et le gouvernement marche un peu sur des œufs parce que, ce qui fait la force et ce qui fait le pacte d'une société, c'est le respect notamment des droits de l'homme. C'est une valeur très importante qu'il ne faudrait pas perdre.

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