Incendies : "Aujourd'hui, on a déjà un début de rupture capacitaire" estime le Commandant Jérôme François

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6médias.
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A Marseille, dans l’Aude, le Gard et l’Hérault, les incendies ont été fixés. Le commandant Jérôme François, vice-président de l’UNSA-Pompiers et maire de Mériel, dans le Val-d’Oise, fait le point sur la situation en France.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Djamel Mazi : A Marseille, le feu est fixé. Ça veut dire quoi, "fixé" ?

Commandant Jérôme François : Fixé, ça signifie que le feu ne progresse plus et que les lisières sont en cours de traitement. Concrètement, il n'y aura plus de propagation, mais ça ne veut pas dire que tout risque est éliminé à l'intérieur du périmètre où ça a brûlé.


Et les lisières en traitement, si on peut préciser, les équipes sur place, qu'est-ce qu'elles vont faire pratiquement pour qu'il n'y ait pas de reprise justement sur ces lisières ?

Le risque, surtout quand on a des conditions météo où il fait très sec et où il y a du vent, c'est qu'il y ait une reprise de feu. Il y a un travail qui est un petit peu ingrat, mais qui fait partie du travail du sapeur-pompier. C'est-à-dire qu'on va traiter la lisière, c'est-à-dire qu'on va mouiller avec de l'eau. On va juste s'assurer qu'il n'y a pas de bois incandescent qui risque de générer une propagation. Il faut juste noyer.


A Marseille, la piste accidentelle fait peu de doute. On le rappelle, la majeure partie des incendies est d'origine humaine, 9 sur 10.

90 % sont d'origine humaine. Sur ces 90 %, il y a 40 %, c'est clairement de la malveillance, c'est des pyromanes, règlement de comptes...


On le disait tout à l'heure qu'un pyromane présumé a été mis en examen, suspecté d'être à l'origine de 31 des départs de feu.

C'est 40 % des départs de feu qui sont de la malveillance. Sur les 50 %, on a les accidents de loisirs, on va retrouver le barbecue, le feu festif avec la guitare, avec les copains, les feux d'artifice, les pétards... Sur 20 %, ça va être les travaux : travaux forestiers, travaux agricoles, une étincelle faite par une lame sur une pierre qui va se propager à un feu de chaume par exemple. Et puis les 10 % qui restent, et c'est le cas de la voiture qui brûle, c'est accidentel. C'est un feu électrique dans une voiture, la voiture prend feu et puis il y a une propagation sur le bas-côté qui ensuite part sur un feu de forêt.

Du côté aussi de Narbonne, toutes les pistes sont sur la table, l'enquête est en cours. Vous qui êtes aussi maire d'une commune dans le Val-d'Oise à Nariel. On sait que l'été sera à haut risque, c'est ce que prévient justement Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur. Il faut, et cela peut être un crève-cœur, interdire le feu d'artifice dans les zones à risque ?

20 % des feux étaient liés à des festivités. Ce ne serait quand même pas de bon ton qu'un maire ne montre pas l'exemple en tirant un feu d'artifice. Imaginez la responsabilité si on tire le feu d'artifice qui est suivi d'un feu de plusieurs centaines d'hectares...

Mais c'est vrai que c'est un crève-cœur parce que nous, on prévoit une saison événementielle et culturelle un peu pour réjouir notre population. Et puis quand à la dernière minute, vous devez annuler, c'est vrai que c'est compliqué. Après, la sagesse veut que les maires annulent ce feu d'artifice. Nous, on va attendre les conditions climatiques. Je suis dans le 95, pour l'instant on sort de deux jours de pluie, donc on verra. Mais effectivement, si c'était sec, on annulerait sans hésitation le feu d'artifice.


Les conditions, très clairement, changent. Elles ont déjà changé sur la décennie précédente. Vous vous retrouvez confronté de plus en plus à un temps sec, une végétation qui le sera aussi au tout début de l'été. Est-ce que vous vous êtes calibré en tant que pompier en termes de moyens et de stratégie pour combattre rapidement dans la saison des incendies ?

En 2022, quand il y a eu les énormes feux en Gironde, il a commencé à y avoir une notion qui émergeait, qui était la notion de "rupture capacitaire". Est-ce qu'on a la capacité humaine et matérielle de faire face à des feux un peu partout en France ?

Il (Emmanuel Macron) s'est un petit peu emballé (sur l'acquisition de nouveaux Canadair) parce qu'effectivement, il y a le problème qu'il y a qu'un un seul fournisseur. Il avait arrêté de fabriquer pendant plus de dix ans et maintenant tout le monde veut lui en racheter. Il y a un phénomène d'embouteillage. Et puis, il y a quand même aussi un problème budgétaire. Un Canadair, c'est 60 millions d'euros, prix de base. Il n'y a pas tout dedans encore.

Alors aujourd'hui, il y a deux Canadair qui ont été commandés, mais entre le moment de la commande et le moment de la livraison, il y a deux, trois ans qui s'écoulent. Et puis Bruno Retailleau semble avoir annoncé hier deux Canadair supplémentaires dans la prochaine loi de finances, donc ça ferait quatre. On est loin de renouveler les 12.

Et pour le début de l'été ?

Cette défense en bombardier d'eau avait été calibrée principalement pour l'arc Méditerranéen. Les enseignements qu'on a tirés en 2022, c'est que ça brûle partout. Souvent, plaisantant, sur le plateau, j'explique qu'en 2022, on envoyait des Canadair en Bretagne. Moi, si on m'avait dit ça au début de ma carrière, il y a 30 ans, qu'on enverrait des Canadairs en Bretagne, ça aurait été une blague de foyer.

Aujourd'hui, on a déjà un début de rupture capacitaire, mais c'est vrai qu'avec le dérèglement climatique, si demain on devait avoir de plus en plus de feux répartis partout sur la France, il va falloir repenser complètement la défense aérienne et peut-être mettre des bases aériennes ailleurs parce que le délai d'intervention entre la base qui est dans le sud et puis des feux qui peuvent être de l'ordre de l'heure, il va falloir mettre des bases aériennes un petit peu partout.

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