Tensions avec l'Algérie : pourquoi Emmanuel Macron durcit-il le ton, après avoir prôné l'apaisement ?

Le président de la République entend "suspendre" les exemptions de visa pour les diplomates algériens, afin de forcer Alger à plusieurs concessions.

Article rédigé par franceinfo
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Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'une visioconférence depuis la base militaire de Northwood à Londres (Royaume-Uni), le 10 juillet 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'une visioconférence depuis la base militaire de Northwood à Londres (Royaume-Uni), le 10 juillet 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Il explique n'avoir "pas d'autre choix". Dans une lettre envoyée mercredi 6 août au Premier ministre, révélée par Le Figaro et que franceinfo a pu consulter, Emmanuel Macron a demandé à François Bayrou d'adopter "une approche de plus grande fermeté" vis-à-vis de l'Algérie. Après des mois de tensions entre les deux pays, le président de la République hausse le ton et réclame la suspension d'un accord bilatéral de 2013, qui exempte les diplomates algériens de visa pour entrer en France.

Parce que la brouille entre Paris et Alger dure depuis plus d'un an

La lettre du président de la République survient dans un contexte extrêmement tendu, résultat d'une cascade de déclarations, de mesures et de ripostes entre la France et l'Algérie. Une première poussée de fièvre avait eu lieu dès la fin juillet 2024, avec le soutien d'Emmanuel Macron à un plan marocain pour le Sahara occidental. Paris considère désormais ce plan d'autonomie sous la souveraineté marocaine comme "la seule base" permettant de résoudre le conflit qui oppose Rabat aux indépendantistes du Front Polisario depuis un demi-siècle. Une position décriée par l'Algérie, soutien du Polisario face au Maroc. L'Algérie avait alors rappelé son ambassadeur en France.

Les crises n'ont depuis pas cessé, notamment autour de l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal en novembre 2024. Puis de la condamnation et l'incarcération, en juin 2025, du journaliste français Christophe GleizesDébut avril 2025, quelques jours à peine après la visite en Algérie du chef de la diplomatie française, la tension était déjà montée d'un cran avec la mise en examen de trois hommes accusés d'avoir enlevé un an plus tôt Amir Boukhors, dit Amir DZ, un influenceur algérien bénéficiant de l'asile politique en France. Parmi ces prévenus figurait un membre des services consulaires algériens, ce qui a vivement fait réagir Alger.

En guise de réponse à ces arrestations, Alger a choisi d'expulser de son territoire le 13 avril 12 agents de l'ambassade de France. Emmanuel Macron a décrété deux jours plus tard le renvoi de 12 agents consulaires algériens en représailles. Mi-mai, la France est allée plus loin en réclamant un visa aux agents algériens pourtant munis d'un passeport diplomatique, au nom de sa "riposte graduée". Dans sa lettre envoyée mercredi, Emmanuel Macron vient donc formaliser ce nouveau régime, qui s'applique aussi aux déplacements privés des dignitaires algériens sur le sol français.

Parce que l'Algérie n'accepte plus ses ressortissants expulsés de France

C'est peut-être la situation qui semble le plus irriter le chef de l'Etat. Dans son courrier, il confie à François Bayrou son "inquiétude" au sujet du refoulement par l'Algérie de ses ressortissants visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Les premiers cas avaient émergé en janvier, dans l'affaire de l'influenceur Doualemn notamment. Puis avec l'attentat de Mulhouse (Haut-Rhin), qui a fait un mort et deux blessés le 22 février, et dont le suspect est un Algérien qui avait fait l'objet de plusieurs demandes de réadmission, toutes refusées par son pays d'origine.

Emmanuel Macron cite d'ailleurs cette attaque après avoir évoqué ses craintes concernant les "ressortissants algériens les plus dangereux, sortant de prison ou placés en centre de rétention administrative et qui ne peuvent plus être expulsés, faute de coopération des autorités algériennes". Plus aucun des 18 consulats algériens établis en France ne collabore avec les services de l'Etat, regrette-t-il.

Parce qu'il s'agit, selon lui, du seul chemin pour renouer la "coopération"

Après des mois de crise diplomatique, Emmanuel Macron entend appliquer davantage de pression sur l'Algérie. Pour s'assurer que ces consignes s'appliquent efficacement, il demande d'ailleurs aux pays de l'espace Schengen de prendre des dispositions similaires, et d'informer la France avant de délivrer "des visas de court séjour pour les responsables algériens en question et les passeports visés par [l'accord de 2013]". Il réclame enfin à François Bayrou d'user sans délai du "levier visa-réadmission", un outil prévu par la loi immigration de 2024 qui permet également de refuser "les visas de long séjour à tous types de demandeurs".

Dans sa lettre, le chef de l'Etat assure qu'il cherche toujours à "retrouver des relations efficaces et ambitieuses avec l'Algérie qui répondent aux intérêts du peuple français, dont une large partie entretient avec ce pays un lien qui ne saurait être fragilisé par ces différends."

Il fixe pour cela une feuille de route pour la "coopération", ou plutôt une liste des attentes françaises : la reprise des auditions consulaires, la fin des refoulements, mais aussi le retour des "moyens" de l'ambassade de France. Reste à voir si Alger réagira à ce courrier, et acceptera ou non de normaliser ses relations avec Paris.

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