"Si on court derrière l'idée d'une majorité, il faudra aller à une élection présidentielle anticipée", souligne Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre

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Article rédigé par France 2 - Édité par l'agence 6Medias
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Invité des "4 Vérités" jeudi 9 octobre, l'ex-Premier ministre sous Jacques Chirac et figure de la droite française, Jean-Pierre Raffarin, livre son regard sur la crise politique en cours, insistant sur les deux seules solutions, selon lui, pour en sortir : trouver une coalition, ou chercher une majorité.

À l'issue de deux jours de négociations intenses après l'annonce de sa démission, Sébastien Lecornu a fait savoir qu'un nouveau Premier ministre pourrait être nommé d'ici la fin de la semaine, assurant qu'une "voie de passage" existe pour sortir de la crise. "Je suis reconnaissant à Lecornu d'avoir mené un travail très difficile, très ingrat, il l'a fait avec honnêteté, simplicité", salue l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, invité des "4V" ce jeudi. Toutefois, l'ex-chef du gouvernement français reconnaît que "la situation est impossible" et déplore "une impasse".

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Gilles Bornstein : Donald Trump lui-même a annoncé un cessez-le-feu à Gaza. Les otages et des centaines de prisonniers palestiniens vont être libérés. Israël va arrêter les tirs sur Gaza. Donald Trump est-il d'une certaine manière celui qui, quand même, a permis cet accord ?

Jean-Pierre Raffarin : Il a très mal commencé sur ce dossier, il était très coupable. Je pense à la Riviera, à Gaza, je pense à beaucoup de choses qui ont permis finalement une accélération des horreurs, mais aujourd'hui, on est obligé de saluer cette initiative, parce qu'au fond, la libération des otages, c'était un élément clé. L'horreur, c'est le 7 octobre, la libération des otages était nécessaire pour toute perspective d'avenir, et donc, je salue cette initiative.

On sait qu'il est obsédé par le prix Nobel de la paix, il le mérite ?

Absolument pas, je ne pense pas du tout. Je pense que le prix Nobel de la paix impose quand même une vision humaniste qui n'est pas celle de la radicalité que développe Trump. Trump n'est pas un homme de rassemblement. Trump est un homme de radicalité. Il parle aux siens et rien qu'aux siens.

Vous avez entendu, hier, Sébastien Lecornu dire qu'il y a eu "une voie de passage". Vous êtes un homme politique expérimenté, ancien Premier ministre, quel scénario de sortie de crise imaginez-vous ?

Je suis d'abord reconnaissant à Lecornu d'avoir mené un travail très difficile, très ingrat. Il l'a fait avec honnêteté, avec simplicité, et je trouve que c'était un bon travail. Néanmoins, la situation me paraît impossible aujourd'hui, très difficile. Nous sommes dans une impasse. Parce que la Ve République est fondée sur l'unité de la majorité, une majorité qui gouverne. La légitimité, c'est d'avoir une majorité de Français pour soi. C'est là où est la source du pouvoir de la Ve République. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de majorité à l'Élysée, il n'y a pas de majorité à Matignon, il n'y a pas de majorité au Parlement. Et donc, comme nous sommes à la recherche de quelque chose qui est inatteignable, on n'y arrive pas, et on est dans une paralysie. Il n'y a dans ce Parlement que deux voies : soit la voie de la majorité, soit la voie de la coalition. Pour le moment, le Parlement a montré qu'il refusait la coalition. Le Parlement est dans une sorte d'erreur suicidaire.

Et comme il n'y a pas de majorité...

Et comme il n'y a pas de majorité, il pourrait y avoir une coalition. S'il n'y a pas de majorité, d'autres pays fonctionnent avec des coalitions. Mais je crois que notre société est très idéologique.

Vous êtes très pessimiste.

Je crois qu'aujourd'hui, le fait majoritaire vient d'où ? Il vient de l'élection présidentielle. Parce qu'au second tour d'une présidentielle, il n'y a que deux candidats. Donc, celui qui gagne, il a forcément une majorité.

Édouard Philippe a-t-il eu raison, vous n'avez jamais caché votre proximité avec lui, de demander des élections présidentielles anticipées ?

Je crois que sur le fond, il a raison, parce que c'est l'élection présidentielle qui produit la majorité. Si on court derrière l'idée d'une majorité, il faudra aller à une élection anticipée.

"L'idée d'une sorte de pacte, entre le président et le parlement"

Vous demandez, vous aussi, le départ, même différent, du président de la République ?

Non, je ne veux pas rentrer dans ce jeu. Il y a une autre solution. L'homme politique que je suis vous dit qu'il y a deux chemins. Vous avez celui de la majorité. Si l'on cherche la majorité, c'est l'élection présidentielle qui le produira. Mais aujourd'hui, nous sommes dans un cas de figure où nous cherchons la coalition. Nous cherchons un accord. Mais Monsieur Lecornu dit qu'il y a un chemin. Je ne suis pas quelqu'un qui veut casser la baraque. Ça ne sert à rien d'accabler le président de la République. Ça ne sert à rien d'affaiblir la France. Ça ne sert à rien de se diviser. S'il y a un chemin, il faut l'emprunter. Donc ce n'est pas moi qui vais mettre une barrière sur une hypothèse de chemin. Je suis pessimiste sur l'idée, par exemple, qu'on puisse reprendre le dossier des retraites aujourd'hui.

Vous ne souhaitez pas la suspension de la réforme ?

Je pense que ce serait un très mauvais signal donné aux marchés. Vous savez, il y a pour le moment cette dérive suicidaire du Parlement qui conduit à une paralysie. Mais le deuxième problème, c'est le coût de la paralysie.

Mais qu'est-ce qui est plus important ? C'est de trouver une majorité ou de faire plaisir aux marchés ?

Le marché, ça veut dire que ça coûte des milliards. Cette crise nous coûte des milliards et des milliards, et donc il va falloir sortir de cette crise. Si on peut en sortir par une coalition, je suis pour. Mais envoyer comme signal qu'on remet en cause les seules économies qu'on a été capables de faire dans la période précédente, et qu'on va lever un impôt pour payer une remise en cause des efforts qui ont déjà été faits, c'est vraiment, pour moi, absurde. Mais sans ça, il n'y a pas de coalition. C'est donc la question aujourd'hui qui est posée. Mais s'il trouve un accord, moi je pense que ce sera difficile de faire voter la droite pour une réforme des retraites ou une subvention des retraites. Ça, je pense que ce sera difficile. Mais s'il y arrive, je dis : "Chapeau à l'artiste". Je souhaite que nous sortions de cette crise. Je pense à la France et je pense que cette crise nous coûte cher. Il y a la paralysie, cette course suicidaire du Parlement qui souhaite presque sa dissolution, ce qui est un paradoxe incroyable. Et s'il peut y avoir coalition, jouons la carte de la coalition. Mais c'est pour ça que l'analyse d'Édouard Philippe est d'un certain intérêt, qui est que, le fait majoritaire dans la Ve République, qui ne vient que de l'élection présidentielle.

C'est un ancien Premier ministre qui réclame le départ du président ?

Non, il ne dit pas ça. Il a plus dans l'idée d'une sorte de pacte, entre le président et le parlement, pour qu'il y ait d'abord un accord sur les budgets, qu'il y ait un accord sur les municipales, qu'il y ait un ensemble de choses qui pourraient conduire à des élections anticipées. C'est quelque chose qui passe par la volonté du président. Il faut respecter le président, il faut respecter sa volonté, il faut discuter avec lui sur les sorties de crise. Pour le moment, on joue une sorte de coalition. Est-ce que ce sera possible ? Nous allons le voir. Si c'est possible, tant mieux. Le Parlement sortirait de sa dérive suicidaire. Mais si ce n'est pas possible, à un moment ou un autre, il faudra penser à ce que la majorité présidentielle viendra d'une élection présidentielle, et non d'une élection législative.

Si le président vous appelle et vous dit : "Mon cher Jean-Pierre, je cherche un Premier ministre". Vous lui dites quoi, ou plutôt vous lui dites, qui ?

Non, je n'ai pas d'idée précise parce que je pense que c'est très compliqué et que je ne veux pas...

Jean-Louis Borloo, qui est abondamment cité, il a été votre ministre pendant les mois que vous avez passés à Matignon. Jean-Louis Borloo à Matignon, est-ce une bonne idée ?

C'est une bonne idée, c'est quelqu'un de très habile, c'est quelqu'un qui connaît bien les complexités des choses et qui sait faire travailler les gens ensemble. C'est quelqu'un qui a mené des réformes importantes, donc c'est quelqu'un qui peut avoir une bonne capacité. Il a un atout formidable, c'est son expérience, mais comme toujours, avec les gens d'expérience, il n'est pas forcément au cœur de la jeunesse de la société. Donc il faut trouver cet équilibre-là. Mais ça peut se faire, c'est quelqu'un qui a du talent, qui est vraiment un grand expert de la complexité.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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