Récit franceinfo "On ne peut pas le censurer" : comment Sébastien Lecornu s'est offert un sursis en suspendant la réforme des retraites

Article rédigé par Daïc Audouit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, prononce sa déclaration de politique générale à l'Assemblée nationale, le 14 octobre 2025 à Paris. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, prononce sa déclaration de politique générale à l'Assemblée nationale, le 14 octobre 2025 à Paris. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Fiscalité, retraites, pouvoir d'achat... Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a répondu mardi à toutes les exigences des socialistes.

Le ballet des berlines ministérielles fait crisser le gravier de la cour d'honneur de l'Assemblée nationale. Un peu avant 15 heures, mardi 14 octobre, Sébastien Lecornu s'extrait de l'une d'entre elles avec le texte de sa déclaration de politique générale sous le bras. Son entourage a déjà prévenu qu'elle sera plus courte que celles de ses prédécesseurs. Une trentaine de minutes plus tard, son allocution est terminée. Des applaudissements retentissent dans son camp. Mais le chef du gouvernement ignore encore si son discours prononcé au pas de charge va lui permettre de ne pas être renversé. 

Il va lui falloir patienter : Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l'Assemblée, est l'avant-dernier des orateurs attendus à la tribune. "On va être obligés de rester jusqu'au bout", soupirent des élus en découvrant l'ordre de passage. Car c'est bien le parti à la rose qui a la clé de l'avenir du Premier ministre. Il a menacé de voter la censure, synonyme de chute du gouvernement, s'il n'obtient pas notamment une suspension de la réforme des retraites

Jusqu'au dernier moment, Olivier Faure a maintenu la pression sur le locataire de Matignon. Un bureau national du Parti socialiste (PS) s'est réuni à l'heure du déjeuner pour préparer la stratégie. Dans un communiqué partagé sur les réseaux sociaux, il a rappelé une dernière fois ses lignes rouges : outre le dossier des retraites, figurent un renoncement au 49.3, une hausse de la fiscalité sur les plus gros patrimoines, un geste en faveur du pouvoir d'achat et une inflexion sur la trajectoire budgétaire. 

Dans sa déclaration, Sébastien Lecornu a répondu à toutes leurs exigences. Les socialistes ont applaudi quelques-uns des passages du Premier ministre. "On s'y retrouve", commente un membre du groupe PS au service politique de France Télévisions. "Je pense que ça va au groupe", renchérit un autre. "La censure n'est pas souhaitable maintenant, mais j'aimerais que ce ne soit pas que des mots. Les débats en commission des finances seront une première réponse", ajoute un troisième. Tous ces commentaires sont échangés via des SMS ou sur des messageries. Car les députés socialistes ont comme consigne de ne pas sortir de l'hémicycle et de ne pas s'exprimer devant les journalistes avant que Boris Vallaud prenne la parole.

"C'est le prix de la stabilité"

Les députés du "socle commun" (l'ex-majorité macroniste et la droite), eux, sont libres de leurs mouvements et vont se dégourdir les jambes dans la salle des quatre colonnes du Palais-Bourbon où les médias les attendent. Ils soutiennent avec plus ou moins d'entrain la déclaration de politique générale de leur Premier ministre. "Il a été clair. Il n'a pas prononcé une phrase avec une tournure alambiquée qui permette aux radicaux du PS de s'engouffrer quand même dans la censure", salue un élu Ensemble pour la République (EPR). "Il a affalé sur les retraites", se désole un député MoDem qui a recours à un terme marin pour décrire ce recul qui fait mal à la macronie.

Une élue EPR sort de l'hémicycle la mine contrariée. "C'est le prix de la stabilité", estime-t-elle devant les caméras. "Qu'il ne s'attende pas à ce que je vote pour cette suppression des retraites", complète-t-elle, micros coupés. Pas très loin, la députée LR Virginie Duby-Muller réagit à son tour : "C'est clair que c'est une concession de notre part", lâche-t-elle, alors que Laurent Wauquiez, président du groupe, vient d'annoncer que ses troupes ne voteront pas la censure. "Sébastien Lecornu essaye de trouver des éléments pour débloquer la situation. Ce qui prime pour nous, c'est d'avoir un budget", ajoute-t-elle.

"Les socialistes ne vont pas censurer", pronostique, dépitée, Aurélie Trouvé, parlementaire LFI de Seine-Saint-Denis. Son camarade, Eric Coquerel, président de la commission des finances, martèle, devant une nuée de caméras, la nécessité de renverser ce gouvernement. "Ce budget est pire que celui de Bayrou. Si le PS lâche sur les retraites pour ce budget-là, le deal ne vaut vraiment pas la peine", tance-t-il. A la tribune, les autres responsables des groupes de gauche, Cyrielle Chatelain côté écologiste et Stéphane Peu pour les communistes, appellent également à la censure. Les motions déposées par La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN) seront débattues jeudi mais, sans le soutien du PS, elles n'ont aucune chance d'aboutir. "C'est leur décision, mais s'ils ne censurent pas, comme je le pense, ils fragilisent l'unité de la gauche", analyse Clémentine Autain, ancienne membre du groupe insoumis qui siège désormais avec les députés écologistes.

Depuis plusieurs jours, le RN a dénoncé un accord supposé entre le PS et Sébastien Lecornu. Sébastien Chenu, orateur du groupe, reprend la critique à la tribune. "Acheté à pas cher, le PS sera roulé dans la farine, proclame-t-il. Vous avez topé pour échapper au suffrage universel." "Ça m'a rajeuni. C'est le retour de 'l'UMPS'", ironise de son côté le député RN de l'Oise Philippe Ballard.

Le PS salue "une victoire"

Vers 17h30, Boris Vallaud monte à la tribune sous le regard de Sébastien Lecornu. Il salue la suspension de la réforme des retraites comme une "victoire" et un "premier pas". Aussitôt, les visuels du parti sont postés sur les réseaux sociaux, listant tous les gains arrachés par le parti.

"Le PS est prêt à faire le pari du débat", ajoute le député des Landes. Mais il avertit aussitôt : "Votre point de départ ne sera pas notre point d'arrivée." S'il ne se prononce pas explicitement sur la censure, tout le monde dans l'hémicycle comprend alors que Sébastien Lecornu peut souffler : il a obtenu son sursis. Les députés PS sont enfin autorisés à sortir de l'hémicycle. "Le gars, il a lâché sur les retraites, on ne peut pas le censurer", commente une députée PS. Elle ajoute que le groupe va se battre pour la justice fiscale lors du débat budgétaire. "On préfère tenir sur ce qu'on a obtenu plutôt que de rêvasser à l'abrogation", poursuit un autre député du groupe. A quelques mètres de là, dans son bureau, l'ancien ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau rédige un communiqué. "Sébastien Lecornu est l'otage des socialistes", cingle le président des Républicains.

Le Premier ministre reprend sa voiture pour retourner à Matignon. Il va pouvoir remplir son agenda pour les prochaines semaines, en sachant qu'il va devoir passer beaucoup de temps à l'Assemblée nationale pour suivre les débats autour du budget qui, en l'absence de 49.3, promettent d'être une rude bataille.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.