"Aucun téléphone ne crépite" : deux semaines après la nomination de Sébastien Lecornu, une étrange impression de "flottement"

Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, le 10 septembre 2025, à Matignon. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, le 10 septembre 2025, à Matignon. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Plus de deux semaines après sa nomination, le chef du gouvernement n'a toujours pas choisi les ministres et les secrétaires d'Etat qui allaient l'entourer. Cette attente plonge le camp présidentiel et les oppositions dans l'incertitude, avant d'aborder l'examen crucial du budget.

"On a le sentiment que tout est immobile", souffle Jérémie Iordanoff. Attablé à deux pas du Palais Bourbon, le député écologiste, vice-président de l'Assemblée nationale, estime qu'"aucune donnée de l'équation politique ne bouge d'un millimètre" depuis la rentrée. Voilà en effet plus de deux semaines que Sébastien Lecornu a été nommé Premier ministre, au lendemain de la chute de François Bayrou, sans qu'un gouvernement soit annoncé. L'ex-ministre des Armées égale, jeudi 25 septembre, le "record" de Michel Barnier, dont le gouvernement avait été nommé seize jours après son entrée à Matignon. Entre-temps, hormis quelques annonces sur l'efficacité des agences de l'Etat ou sur la réduction des moyens à la communication des ministères, il ne s'est pas passé grand-chose : ni présentation des pistes pour le budget 2026, ni lancement de grands chantiers pour le pays.

Cette semaine, l'actualité internationale a pris le pas sur le reste, avec la reconnaissance officielle de l'Etat palestinien par la France, proclamée lundi par Emmanuel Macron devant l'Assemblée générale des Nations unies à New York. Dans le sillage de cet événement anticipé de longue date, tout l'échiquier politique s'est emparé de cette question, de La France insoumise au Rassemblement national, en passant par le bloc central, avec des positions parfois antagonistes et des polémiques, comme sur le pavoisement du drapeau palestinien sur les mairies.

"Le Premier ministre n'a apporté aucune réponse"

Sur la scène nationale, Sébastien Lecornu, lui, a poursuivi ses consultations dans le but de constituer un gouvernement qui puisse passer l'automne. Sa volonté est de trouver le "quoi" avant le "qui", martèlent ses équipes, qui refusent toujours d'évoquer une date pour une annonce officielle. Le locataire de Matignon a ainsi reçu les syndicats, mercredi matin, et les deux parties ont une nouvelle fois acté leurs divergences : "Le Premier ministre n'a apporté aucune réponse claire pour les travailleurs. Pour l'intersyndicale, c'est une occasion manquée", a regretté Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, avec une nouvelle journée de mobilisation annoncée pour le 2 octobre. L'ancien maire de Vernon (Eure) s'est aussi entretenu avec les représentants du patronat, dans l'après-midi, leur confiant qu'il dévoilerait ses choix budgétaires en fin de semaine. Dans un communiqué publié mercredi soir, Sébastien Lecornu a promis de "revoir les partenaires sociaux dans les prochains jours pour parler plus précisément du budget".

Pour l'heure, l'ancien ministre des Armées ne peut seulement compter que sur un gouvernement démissionnaire, fortement limité. Les ministres et secrétaires d'Etat continuent de gérer les affaires courantes, mais ils ne doivent pas défendre de dossier politique. "Dans le domaine de la communication, il n'y a plus aucune interview ou prise de parole publique", décrit un conseiller ministériel, rejoint par l'une de ses collègues.

"On n'a pas de vrais liens avec la communication du Premier ministre, et on ne fait pas de déplacements."

Une conseillère ministérielle

à franceinfo

L'exécutif ronronne-t-il ? Les ministères sociaux planchent pourtant sur les textes budgétaires, à savoir le projet de loi de finances (PLF) puis le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). "Le travail continue, quelques réunions interministérielles se tiennent", assure une conseillère. Les autres membres du gouvernement tentent de s'occuper comme ils peuvent. "Même si je ne peux pas faire de sorties officielles dans cette période, j'assure le suivi des dossiers et j'anime mon équipe que je sollicite pour des notes, notamment adressées au Premier ministre et au cabinet de Matignon, concernant la filière", assure Nathalie Delattre, ministre démissionnaire chargée du Tourisme.

"Je ne comprends pas pourquoi on attend"

Ce flottement au plus haut sommet de l'Etat laisse la part belle aux critiques de l'opposition. "C'est pitoyable, fustige le député RN Jean-Philippe Tanguy. La France vit une crise sur tous les sujets et la caste macronienne ne fait que des manœuvres minables." A gauche aussi, on observe avec circonspection cette étrange période où tout semble figé. "Ce qui est sûr, c'est que ça flotte", commente Arthur Delaporte, porte-parole du groupe PS à l'Assemblée. "Aucun téléphone ne crépite", illustre le député socialiste Hervé Saulignac.

"Je ne vois qu'une explication : la plupart des ministres démissionnaires sont de futurs entrants."

Hervé Saulignac, député PS d'Ardèche

à franceinfo

D'après les informations de franceinfo, le socle commun – qui regroupe Les Républicains d'une part et les partis Renaissance, Horizons et le MoDem d'autre part – devrait bien rester la base du futur gouvernement de Sébastien Lecornu, et plusieurs sources anticipent le maintien en poste de plusieurs poids lourds de l'équipe de François Bayrou. A Matignon, déjà, Sébastien Lecornu a reconduit une grande partie des conseillers de son prédécesseur.

Dans ces conditions, pourquoi procrastiner ? "Je ne comprends pas pourquoi on attend", peste l'écologiste Jérémie Iordanoff. En temps normal, "la nomination d'un Premier ministre et d'un gouvernement, c'est très rapide car on sait où l'on va. Le coup d'après est anticipé."

"C'est une erreur politique d'attendre, parce que c'est du temps en moins pour discuter de compromis sur le budget."

Jérémie Iordanoff, député écologiste de l'Isère

à franceinfo

Les soutiens de Sébastien Lecornu louent au contraire la méthode choisie. "C'est bien de prendre le temps pour faire autrement, salue le député macroniste Ludovic Mendes. Si on veut le rassemblement le plus large possible, on prend le temps et oui, c'est plus perturbant que d'habitude." "Ça veut dire que ça négocie, et c'est comme ça que ça fonctionne dans toutes les démocraties", abonde le député MoDem Erwan Balanant. Il l'assure : "Les plus grandes négociations se sont faites en dehors des radars. C'est comme ça que ça avance."

"On a l'impression d'être face à Michel Barnier"

Sauf que du côté du PS, avec qui le nouveau gouvernement joue déjà sa survie, la petite musique est bien différente. Selon plusieurs sources, un échange téléphonique a bien eu lieu le week-end dernier entre Sébastien Lecornu et Olivier Faure. Sans que cela ne soit très probant. "Sur les 'bougés', pour l'instant, on n'a rien. On a presque l'impression d'être face à Michel Barnier", fustige la députée socialiste Béatrice Bellay. L'appel entre le chef du gouvernement et le premier secrétaire du PS était "juste une preuve de vie, rien de plus à ce stade", glisse un socialiste à France Télévisions.

"Il n'y a pas de date d'une nouvelle rencontre, pas de propositions. Sébastien Lecornu négocie ses marges de manœuvre d'abord avec le socle commun mais la déclaration de politique générale arrive à grande vitesse."

Un dirigeant socialiste

à franceinfo

La date de cet important moment politique, où Sébastien Lecornu dévoilera son programme de gouvernement, n'est pas encore connue. Dans son communiqué, le Premier ministre assure tout au plus qu'il présentera son projet "en temps et en heure". Le calendrier de la rentrée parlementaire, lui, est annoncé depuis longtemps. La session ordinaire s'ouvre le mercredi 1er octobre, avec la bataille pour le renouvellement des postes-clés à l'Assemblée nationale. Le Premier ministre pourrait attendre de voir à quoi ressemblera le nouveau bureau du Palais Bourbon pour annoncer son gouvernement, croient savoir plusieurs sources ministérielles. Son entourage assure que les deux événements ne sont pas liés. "Ce sont les affaires internes de l'Assemblée", balaye-t-on.

Des "affaires" qui intéressent finalement assez peu l'opinion publique. "Les Français commencent à s'habituer à ce genre de transition. Ils anticipent une incapacité de Sébastien Lecornu à se maintenir au pouvoir, il n'y a pas d'attentes très fortes", décrypte le sondeur Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ispos. Dans les couloirs du pouvoir, au contraire, ce n'est pas l'indifférence qui domine, mais une forme de résignation. "On craint que l'aventure ne dure pas plus de quelques semaines, souffle un conseiller ministériel. Et possiblement, si le gouvernement tombe encore, c'est le saut dans le vide."

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