Mort du pape François : comment le contexte géopolitique peut influencer le choix de son successeur

Article rédigé par Zoé Aucaigne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
L'impérialisme américain porté par le président Donald Trump peut notamment inquiéter les cardinaux des pays du Sud, nommés en nombre par le pape François de son vivant, au moment de choisir au cours du conclave le successeur du défunt pape François. (GETTY IMAGES / ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
L'impérialisme américain porté par le président Donald Trump peut notamment inquiéter les cardinaux des pays du Sud, nommés en nombre par le pape François de son vivant, au moment de choisir au cours du conclave le successeur du défunt pape François. (GETTY IMAGES / ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Entre la nouvelle présidence de Donald Trump aux Etats-Unis, les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, ainsi que les crises migratoires, la question géopolitique paraît aujourd'hui plus pressante pour le Vatican qu'à l'époque de l'élection du pape François.

"Les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde." Le 13 mars 2013, personne n'imaginait que les premiers mots de Jorge Mario Bergoglio en tant que pape résonneraient tout au long de ses douze années de pontificat. De même, lorsque le jésuite argentin jeta son dévolu sur le nom de François, en référence à saint François d'Assise, qui fit vœu de pauvreté. Jusqu'à sa mort, lundi 21 avril, le 266e souverain pontife a été celui des "périphéries", tant géographiques qu'existentielles.

Sillonnant des terres qu'aucun pape n'avait foulées auparavant, insistant sur les inégalités sociales et les migrations, François s'est tourné davantage vers les pays du Sud que ses prédécesseurs. Premier souverain pontife non-européen, "sa perception venait de l'Argentine, un pays qui a été soumis à un ordre économique libéral, et notamment nord-américain", souligne François Mabille, directeur de l'Observatoire géopolitique du religieux à l'Institut de relations internationales et stratégiques. "Ça se ressentait dans sa lecture globale du monde et dans le ressentiment exprimé à l'égard de l'Occident."

Le pape François rencontre le président et le Premier ministre du gouvernement régional kurde irakien, à Erbil (Irak), le 7 mars 2021. (IRAQI KURDISH REGIONAL GOVERNMEN / ANADOLU AGENCY / AFP)
Le pape François rencontre le président et le Premier ministre du gouvernement régional kurde irakien, à Erbil (Irak), le 7 mars 2021. (IRAQI KURDISH REGIONAL GOVERNMEN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Mais le Saint-Père entendait avant tout faire entendre une voix de paix, appelant, avec un franc-parler notoire, à construire des ponts plutôt que des murs, comme il en avait fait le reproche en 2016 à Donald Trump lors du premier mandat du président américain. "C'est une tradition pontificale, ce n'est pas né avec le pape François", précise à franceinfo Jan de Volder, professeur à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université catholique de Louvain (Belgique). "Mais lui l'a incarnée de manière personnelle. Il ne faisait pas que des discours, ça passait aussi par des actions diplomatiques", poursuit-il, citant notamment son appel quotidien aux chrétiens de la bande de Gaza sous les bombes d'Israël.

 Une préoccupation jusqu'à la veille de sa mort. "Je suis proche des souffrances des chrétiens de Palestine et d'Israël, ainsi que de tout le peuple israélien et de tout le peuple palestinien", avait-il soufflé depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre, à l'occasion des célébrations de Pâques, dimanche 20 avril.

La menace Donald Trump dans les esprits

Le contexte géopolitique, que le pape François n'a cessé de prendre en compte dans ses gestes et ses mots, pèsera-t-il dans le choix du prochain souverain pontife ? "La période qui précède le conclave, c'est la congrégation générale", rappelle François Mabille. Pendant plusieurs jours, les cardinaux réunis au Vatican dressent le bilan et le profil du pape défunt, notent ses réussites, mais aussi les limites auxquelles il s'est heurté. "Il y a également un regard porté sur les lieux et thèmes que l'Eglise doit investir", ajoute le chercheur. De ces discussions ressort le portrait-robot du prochain pape. "Le vote prend en compte les prises de parole des cardinaux et leur concordance avec ce qu'on appelle les 'critères de discernement' identifiés", résume François Mabille. 

Selon les spécialistes du Vatican interrogés par franceinfo, les relations internationales devraient dans tous les cas être abordées. "Les cardinaux ne vivent pas reclus. La réélection de Donald Trump a pu les toucher. Ils ont notamment pu voir les impacts du démantèlement de l'USAID sur la lutte contre la pauvreté et les soins apportés aux personnes atteintes du VIH", estime François Mabille. Parmi eux, le cardinal canadien Michael Czerny, proche de François, a qualifié cette décision d'"impitoyable" auprès de Radio Canada.

Outre les conséquences déjà visibles de la politique menée par le président américain, sa vision de "l'America First" peut inquiéter les cardinaux des pays du Sud, nommés en nombre par le pape François de son vivant. "Ils peuvent se dire que, face au retour des impérialismes, il faudrait un pape capable de mener une politique internationale en lien avec les fondamentaux de la diplomatie vaticane et adaptée aux besoins actuels", avance le chercheur.

Car la nationalité et le parcours personnel des cardinaux influencent largement leur vision des relations internationales, soutient Marie Gayte-Lebrun, maître de conférences en civilisation américaine à l'université de Toulon. "Le cardinal Jean-Marc Aveline à Marseille, par exemple, est issu d'une famille de pieds-noirs. Depuis qu'il est en poste, il joue un rôle important dans le dialogue interreligieux et la question des migrations." Même chose pour le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, "très sensible à la question des migrants, car issu d'une famille qui a dû quitter la Chine pour se réfugier aux Philippines", ajoute-t-elle.

Jean-Paul II "élu dans un contexte de guerre froide"

Le pays d'origine a par ailleurs déjà été un facteur dans l'élection au regard des relations internationales. Originaire de Pologne, "Jean-Paul II [pape de 1978 à 2005] avait été élu dans un contexte de guerre froide et de premier signe de fissuration du bloc de l'Est. Ça avait un sens géopolitique", observe Charles Mercier, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bordeaux. Il est toujours considéré aujourd'hui comme l'un des artisans de la chute du pouvoir communiste en Pologne en 1989 et de celle du mur de Berlin la même année.

Le pape Jean-Paul II, le 2 juin 1979, à Varsovie (Pologne), s'adresse au chef du parti communiste Edward Gierek dans le pays. (AFP)
Le pape Jean-Paul II, le 2 juin 1979, à Varsovie (Pologne), s'adresse au chef du parti communiste Edward Gierek dans le pays. (AFP)

Une dimension qui a tout de même eu moins d'impact pour l'élection de François, en 2013. "La curie romaine était traversée par un certain nombre de scandales, il fallait surtout un homme capable de gérer un grand diocèse et mener des réformes", pointe François Mabille. Un rôle qui convenait bien à Jorge Mario Bergoglio, archevêque de la capitale argentine Buenos Aires avant son arrivée au Vatican. "Mais la question géopolitique est une question plus urgente qu'en 2013", souligne Jan de Volder.

"A l'heure où l'ordre mondial est bousculé, il serait compliqué d'imaginer un pape qui ne serait que pastoral, sans avoir un œil sur la diplomatie."

Jan de Volder, professeur à l'université catholique de Louvain

à franceinfo

Car le retour de Donald Trump à la Maison Blanche alimente un monde dans lequel "le droit international et les institutions démocratiques sont en crise", souligne le professeur. Et les régimes illibéraux, comme en Hongrie ou en Russie, n'hésitent pas à invoquer la religion pour justifier leurs politiques, comme celle visant les personnes LGBT. "Il y a l'enjeu d'éviter les récupérations identitaires du catholicisme et de ce point de vue-là, la majorité des cardinaux sont conscients du risque, même si certains voient avec plus de sympathie ces gouvernements que d'autres, juge Charles Mercier. L'indépendance du Vatican vis-à-vis des pouvoirs séculiers est une tradition pontificale."

Un courant opposé au dialogue interreligieux

Mais rien ne dit que la logique d'ouverture portée par Jorge Mario Bergoglio sera celle du prochain pape. "Il existe une minorité de cardinaux conservateurs, réticents vis-à-vis du dialogue avec l'islam, pourtant cher à François, explique Charles Mercier. D'autres encore ont très largement critiqué l'ouverture du pontificat vers la Chine", qui n'entretient plus de relations diplomatiques avec le Vatican depuis les années 1950, et avec qui le Saint-Père a conclu un accord sur la nomination des évêques en 2018. En ce sens, "le cardinal de Hong Kong, Joseph Zen, essayera peut-être de faire peser la balance contre Pietro Parolin", cheville ouvrière du projet de réconciliation avec Pékin et l'un des "papabili", prévoit Marie Gayte-Lebrun. 

"Certains conservateurs ont aussi estimé que François n'avait pas bien compris le monde américain, ni le monde occidental. Ils souhaitaient qu'il épouse une idée plus proche de celle de l'Amérique, plus nationaliste de l'Occident", explique Jan de Volder. Parmi eux, le cardinal américain ultra-conservateur Raymond Burke, farouchement opposé à Jorge Mario Bergoglio, et qui qualifia d'attitude "responsable" le contrôle de l'immigration des musulmans.

Tout dépendra en fait des critères qui seront retenus à l'aube du conclave. Et au bout du compte, selon le journaliste Bernard Lecomte, spécialiste de la papauté, il faudra surtout "un homme capable de fédérer, de rassembler les uns et les autres" dans un monde "en pleine révolution quant à ses alliances et ses équilibres".

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.