Plan de paix à Gaza : "On peut acter provisoirement la paix, mais on a créé toutes les conditions d'une pérennisation des rancœurs", souligne l'amiral Michel Olhagaray

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Invité à commenter l'accord de paix que s'apprêtent à signer Israël et le Hamas, sous l'égide de Donald Trump, l'amiral Michel Olhagaray, ancien directeur du Centre des Hautes études militaires, rappelle que la paix demeure incertaine compte tenu de la nature du Hamas et des séquelles de l'offensive israélienne à Gaza.

Dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 octobre, Donald Trump a annoncé le succès de son plan de paix, dont la première phase a été approuvée par toutes les parties pour un cessez-le-feu et une libération des otages, dans la guerre au Proche-Orient qui oppose Israël au Hamas. Faut-il y voir un succès diplomatique, quelle valeur accorder à ce premier pas ? "La violence a montré, malheureusement, toute son efficacité", déplore à propos de la méthode de Donald Trump, l'amiral Michel Olhagaray, l'ancien directeur du Centre des Hautes études militaires, qui livre son analyse de la situation dans le "11h/13h" de ce jeudi.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Lucie Chaumette : Cet accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, est-ce qu'on peut dire qu'il signe le début de la paix ou est-ce que c'est trop tôt ?

Michel Olhagaray : Écoutez, c'est un bref moment de joie. Très bref, malheureusement. Mais réjouissons-nous. Réjouissons-nous parce que cette espèce de monstruosité, d'otages, de revanche, a fait quand même des milliers de morts. Après le 7-Octobre, ça a été quand même terrifiant, il y a quand même 65 000 morts aussi du côté palestinien. Donc, on ne sait pas. On ne va pas dire qui a tort ou qui a raison. C'est monstrueux de toute façon. Et pour l'instant, c'est peut-être un début de fin de cette monstruosité, en tout cas de façon tout à fait provisoire, malheureusement.

On sent qu'il y a de la joie et de la prudence, à la fois chez les Israéliens, et chez les Palestiniens. On se rappelle notamment qu'il y a eu deux tentatives de cessez-le-feu, une en 2023 et une au début de l'année 2025. Qu'est-ce qui pourrait avoir changé cette fois-ci pour que celui-ci tienne ? On entend beaucoup parler de la place de Donald Trump. Est-ce que ça peut être une garantie pour vous, ça ?

Ce n'est pas une garantie, mais c'est la preuve qu'à notre époque, la violence et la force ont malheureusement toute leur place. Car c'est par la violence et par la force que Trump a réussi à tendre le bras à Nétanyahou, pour qu'il accepte de ne pas atteindre ses buts ultimes qui sont la disparition du Hamas, encore que le Hamas soit très affaibli. La violence qui s'exerce essentiellement vis-à-vis des faibles, vis-à-vis de Benyamin Nétanyahou, qui dépend de lui, vis-à-vis de Zelensky en Ukraine, qui résiste malgré tout. Ce sont des gens qui ont une colonne vertébrale, qui résistent, mais jusqu'où et jusqu'à quand, avec quelqu'un qui a l'habitude de cette violence, y compris à l'interne aux États-Unis ? La violence juridique, la violence des opérations anti-migrants, Trump est un homme de violence et, malheureusement, de violence vis-à-vis de ceux qui sont plus faibles que lui ou sur lesquels il s'abat. L'Europe tient encore. Pas terriblement, mais elle tient encore. La Chine résiste bien. Poutine l'a baladée. Donc, malheureusement, nous avons un instant de joie dans un monde de violence dans lequel la violence a montré, malheureusement, toute son efficacité.

"Des factions qui peuvent être tentées d'intervenir dans ce cessez-le-feu"

On va essayer de comprendre ce que ça veut dire un accord de cessez-le-feu, notamment sur ce qu'on voit sur le terrain, parce que cet accord doit être ratifié, notamment par Israël, aussi par le Hamas, et pour l'instant, on voit encore ces dernières heures à Gaza des frappes israéliennes. À partir de quel moment pourra-t-on dire que l'accord de cessez-le-feu sera en place ? Quand il n'y aura plus une seule bombe et une seule arme qui fonctionne ?

L'accord de cessez-le-feu peut n'être que provisoire aussi, parce que vous avez vu que le Hamas était multiple. Ce n'est pas lui qui détient tous les otages. Il a peut-être réussi maintenant à les récupérer tous. Mais il y a aussi des factions qui peuvent être tentées d'intervenir dans ce cessez-le-feu. Car la disparition du Hamas signifie aussi la disparition de ces diverses factions. Réussiront-ils, seront-ils eux aussi signataires, devront-ils être contraints ? L'armée israélienne a des plans pour se retirer, néanmoins, elle ne se laissera pas tirer dessus, ne permettra pas qu'il y ait de tirs de missiles, même sans efficacité, depuis Gaza. Donc pour l'instant, tenons-nous-en à l'essentiel, c'est qu'il semble bien que cela puisse se tenir. Il faudra encore qu'il y ait libération de tous les otages, en particulier les otages vivants, libération des 2000 Palestiniens qui sont promis, et puis, l'avenir redeviendra beaucoup plus sombre.

On sait que l'une des conditions de cette première phase du plan américain qui a été acceptée à ce stade par le Hamas et Israël, c'est la démilitarisation du Hamas. Ce qui est intéressant, c'est que pour l'instant, le Hamas n'a pas expliqué comment cela pouvait se passer. On n'a pas d'informations concrètes qui filtrent là-dessus. Démilitariser un groupe, le Hamas, j'imagine que ce n'est pas une chose simple. Quel regard portez-vous sur cette condition-là, justement ?

Un regard circonspect. Parce que le Hamas, ce n'est pas à lui de dire comment. C'est à ceux qui imposent la signature de mettre en place les moyens de le vérifier. Alors comme vous l'avez vu, le Hamas n'est pas unique. Le Hamas va être tenté, bien évidemment, de cacher ses armes, de les disperser, bien sûr de les stocker, d'en rendre un certain nombre. Donc les contrôles d'abord, les garanties de sécurité ensuite, sont extraordinairement difficiles à mettre sur pied. Nous ne les verrons peut-être pas apparaître dans le plan qui sera diffusé. Néanmoins, en sous-jacent, il y aura toujours cette question de savoir qui reste armé, quels sont les moyens qui restent encore pour faire capoter ce genre de choses. Parce que le Hamas a attaqué alors que personne ne lui demandait, l'Iran ne lui demandait pas, effectivement. C'était pour faire capoter, si l'on en croit certains, les accords d'Abraham. Ces nouveaux accords permettent peut-être de remettre en marche ces accords d'Abraham avec une éventuelle signature de l'Arabie saoudite, qu'elle n'avait pas encore signée, et de bien d'autres pays de la région. Donc contre quoi ? On ne sait pas. En tout cas, les garanties de sécurité seront essentielles pour vérifier aussi les garanties de désarmement du Hamas pour lesquelles Netanyahou pourrait se targuer d'avoir atteint au moins un de ses objectifs.

On disait avec prudence au début de cette interview que c'était peut-être le début de quelque chose, mais qu'il fallait voir comment ces prochaines heures, ces prochains jours, ça allait se passer. Pour acter complètement la paix dans un cas comme celui-là, cela peut prendre des mois, des années ?

On peut l'acter provisoirement, l'acter véritablement, jamais. On a créé, actuellement, toutes les conditions d'une pérennisation de toutes ces rancœurs : 65 000 morts du côté palestinien, ça fait combien de familles touchées ? Combien d'enfants qui sont traumatisés ? Combien d'enfants seront élevés dans le souvenir de ces morts, de ces blessés qui ont été infligés par Israël ? Que deviendra la population palestinienne aussi ? Donc, il y a là tous les ferments pour créer une animosité qui peut durer encore des dizaines d'années.

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