: Reportage "N'ouvrez pas la porte" : dans le New Jersey, un atelier aide des sans-papiers menacés d'expulsion par Donald Trump à connaître leurs droits
Le président élu a promis durant la campagne d'enclencher "la plus grande opération d'expulsions de l'histoire des Etats-Unis" dès son retour à la Maison Blanche.
L'étage de la petite église de la rue Witherspoon, au cœur de la ville universitaire de Princeton (New Jersey), s'est rempli en quelques minutes, lundi 13 janvier. Une soixantaine de personnes s'installe aux places assises disponibles, certains resteront debout. Aux murs, des affiches clament : "Les droits des immigrés, les droits des travailleurs sont des droits humains". Dans ce public, en grande majorité originaire d'Amérique centrale, quelques parents portent des enfants en bas âge.
"Nous vivons des moments difficiles", lance Jorge Torres, 39 ans, le président de Resistencia en Accion New Jersey. Son association d'aide aux personnes immigrées organise un atelier "Connaissez vos droits" pour des sans-papiers et leurs proches, face aux menaces du président élu, Donald Trump. Pendant sa campagne, le milliardaire, qui a multiplié les discours xénophobes visant les migrants, a promis de lancer "la plus grande opération d'expulsions de l'histoire des Etats-Unis", et ce, dès son retour à la Maison Blanche, lundi.
"Il faut que l'on soit prêts"
Au moins 11 millions d'habitants sans papiers sont ciblés, en grande majorité des résidents de longue date, selon les chiffres (de 2022) du Département de la sécurité intérieure (DHS). Dans la région de Princeton, ils sont travailleurs domestiques, agricoles, employés de la restauration locale, expliquent les membres de Resistencia en Accion. Que faire, si l'agence du contrôle de l'immigration (ICE) frappe à la porte pour les arrêter ? "Personne ne va venir nous sauver (...) Il faut que l'on soit prêts", scande Jorge Torres, jonglant entre l'anglais et l'espagnol. Et le militant de crier le slogan "Sans papiers et sans peur !", sous les applaudissements du public.
"Quels sont nos droits ? Garder le silence ! Appeler nos avocats !" La voix de Jorge Torres porte, mais la fatigue se lit sur le visage de l'activiste. Né en Equateur, il s'est engagé pour les droits des immigrés depuis plus de vingt ans. Il a bâti Resistencia en Accion en 2009, aux débuts d'une présidence Obama qui a expulsé un nombre record de sans-papiers. Bien d'autres opérations d'ICE ont suivi au fil des administrations, républicaines ou démocrates. Princeton a d'ailleurs vécu un raid cet été.
Cette fois, le contexte politique est "unique", affirme Jorge Torres. "Nous avons eu beaucoup de nouveaux arrivants [migrants], et Trump a gagné avec un discours de haine et d'exclusion. Il a choisi des responsables qui ont des positions extrêmes, et cela fait partie du message qu'il veut envoyer."
"Ils arrivent avec un programme, celui du suprémacisme blanc. Trump a déclaré qu’il se préparait, qu’il allait expulser des familles. On sait qu’il arrive, et qu’il arrive de manière agressive."
Jorge Torres, président de Resistencia en Accionà franceinfo
Depuis qu'une nouvelle ère Trump se dessine, Resistencia en Accion multiplie les ateliers. Une cinquantaine déjà en deux mois, selon Jorge Torres. "Il y a toujours de nouvelles personnes, et c'est ça qui me fait peur : 300 personnes en ligne récemment, 150 personnes à Atlantic City... Il est déchirant de voir à quel point la communauté cherche de l'aide." Ce soir-là, à Princeton, Juan est venu avec sa fille pour "apprendre davantage, savoir comment me défendre". Le cuisinier sans papiers, venu du Honduras, dit avoir vécu plusieurs mois en centre de détention pour migrants, il y a six ans. Aujourd'hui, il a "peur de vivre de nouveau cette expérience."
Au tour d'Asma Elhumi, autre animatrice de l'atelier, de s'adresser au public à l'étage de l'église. L'activiste de Resistencia en Accion commence sa présentation pour que les participants sachent apporter une "réponse rapide" et collective, en cas de confrontation avec les services de l'immigration. "Des raids peuvent arriver sur votre lieu de travail, dans l'espace public, dans un bus ou chez vous", alerte la jeune femme, dont les paroles sont retransmises en espagnol. Plusieurs notent soigneusement les conseils donnés.
"Il est légal de filmer la police"
"Si vous pouvez, évitez toute conversation avec ICE", souligne Asma Elhumi, un foulard palestinien sur les épaules. "Si vous êtes dehors, ne répondez à aucune question sur votre situation de personne immigrée (...) Et si vous êtes chez vous, n'ouvrez pas la porte. Ne répondez pas", insiste-t-elle. L'activiste rappelle qu'un agent de l'immigration doit présenter un mandat judiciaire, et non seulement administratif, pour entrer dans un espace privé. Elle montre à l'écran les documents en question, s'assurant que l'audience apprenne à les distinguer.
Les organisateurs martèlent aussi le numéro d'une ligne d'urgence, qui offre des conseils aux sans-papiers en cas d'intervention d'ICE. "C'est important, car beaucoup de ces personnes ne connaissent pas leurs droits, glisse Asma Elhumi. Et ICE et la police font souvent des choses qu'elles ne sont pas censées faire."
"Nous tentons de mettre en place cette réponse rapide, pour nous assurer que personne ne sera une victime. Nous devons être présents les uns pour les autres. Si nos propres élus ne nous protègent pas, alors nous le ferons."
Asma Elhumi, animatrice de l'atelierà franceinfo
L'activiste insiste sur l'importance de "documenter" les agissements d'ICE. "Il est légal de filmer ICE et la police, tant que vous n'interférez pas", assure la jeune femme. "S'ils cassent quelque chose chez vous, filmez-le." "On doit tous avoir une casquette de détective", renchérit Jorge Torres, depuis le fond de la salle.
"Je ne savais pas que nous avions le droit de filmer, ou qu'il y avait un numéro à appeler", admet Kendy, 23 ans, dont 12 dans le New Jersey. Entraînée par des amis, la jeune Guatémaltèque, qui dirige une petite entreprise de nettoyage, suit sa troisième formation "Connaissez vos droits" en un mois. La victoire de Donald Trump l'a rendue "plus anxieuse", elle qui n'avait jamais vraiment craint une expulsion. "On ne sait pas ce qui nous attend dehors, si on va trouver des agents de l'immigration au supermarché", explique-t-elle. "Des amis ont peur de sortir, ils mettent leurs projets en pause. C'est la première fois que j'entends ça."
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