Prises d'otages de masse et attentats kamikazes, les exemples tchétchènes
L'attaque du Bataclan, le 13 novembre 2015 à Paris, a particulièrement ému en Russie. Médias et internautes ont évoqué la tragédie du «Nord-Ost» à la Doubrovka, ce théâtre de la banlieue moscovite investi par un commando séparatiste tchétchène en 2002. Pendant deux décennies, prises d'otages de masse et attentats kamikazes se sont succédé en Russie. Deux modes opératoires d'actualité ?
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A la Doubrovka, la prise d'otages va durer deux jours et trois nuits, et faire 130 morts parmi les 850 spectateurs. Encore plus meurtrière, celle de l'école de Beslan en 2004, elle aussi liée au conflit tchétchène : plus de 1.000 otages, plus de 330 morts au total.
Avant la Doubrovka et Beslan, Boudionnovsk
Le terrorisme attribué aux séparatistes tchétchènes a combiné un large éventail de modes opératoires. Celui de la prise d'otages de masse est particulièrement efficace pour frapper l'opinion et instiller la terreur. Une tactique typique de la logique d'al-Qaïda, selon l'Analyse d'une violence plurielle dans le cadre du conflit tchétchène par Maria Rechova, qui va réussir à décrédibiliser et déstabiliser le pouvoir russe. Ces prises d'otages de masse, entre 1991 et 2004, le pays en a vécu une bonne dizaine. La première, menée par Chamil Bassaïev à Boudionnovsk, a traumatisé tout le pays.
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Le 14 juin 1995, cette ville de 80.000 habitants à 1.300 km au sud de Moscou, à 120 km au nord de la frontière tchétchène, est le théâtre d'une attaque minutieusement préparée par un commando de 150 hommes. Après la prise des principaux bâtiments administratifs, des fusillades en pleine rue obligent les futurs otages à converger d'eux-mêmes vers le lieu de l'action, l'hôpital. Dans la petite ville, chaque famille compte au moins un membre retenu en otage.
Terreur et propagande stratégiques
Le commando n'hésite pas à égorger une jeune femme qui n'obtempère pas assez vite et à fusiller des médecins ou des membres de leurs familles venus les soutenir. Cette cruauté inédite fait de Boudionnovsk un traumatisme, un «trou noir» (lien en russe) dans l'histoire contemporaine russe. Trois jours de cauchemar encore aggravé par l'action brutale des Spetznaz, les forces spéciales, avant un assaut catastrophique (129 morts et 415 blessés) le 17 juin.
Dans les années qui suivent, la montée du wahabbisme dans la région et la brutalité de l'armée russe concourent au développement de l'option terroriste lors de la deuxième guerre de Tchétchénie. Celle-ci est déclenchée par une série d'attentats dans des immeubles d'habitation moscovites (parfois imputés au FSB, les services secrets russes), en 1999.
Sur le site d'information militaire et stratégique Checkpoint.online.Ch, le colonel Ludovic Monnerat écrit que ces prises d'otages géantes constituent un «défi de premier ordre pour les forces de sécurité» puisque, au lieu de chercher à leur échapper, les combattants sont prêts à mourir en faisant un maximum de victimes. «Prendre des civils en otages dans un bâtiment bourré d’explosifs avec plusieurs dizaines de combattants suicidaires et surarmés rend virtuellement impossible toute issue positive», et «le cas de Beslan est l’archétype de ce piège permanent».
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Quand les preneurs d'otages sont des dizaines
Dans le cas de ces prises d’otages géantes, c’est le nombre de terroristes et non le nombre d’otages qui pose problème, souligne Ludovic Monnerat. «Une action éclair peut mettre hors de combat en quelques secondes 4, 6 ou 10 terroristes, ce qui est presque impossible quand ils sont plusieurs dizaines.» A Boudionnovsk en 1995 (1.500 otages, 150 morts) comme à Kizliar-Pervomaïskaïa en 1996 (2.000 otages, 40 abattus d’emblée, 100 morts durant l’assaut), ce sont 200 preneurs d’otages qui ont été dénombrés. A la Doubrovka, les forces russes ont dû mobiliser 200 hommes de plusieurs unités pour neutraliser la quarantaine de terroristes impliqués. A Beslan, les boïéviki étaient une trentaine selon les autorités, mais plutôt 70, selon la journaliste Anna Politkovskaïa.
Des assaillants prêts à mourir
Certaines sources ont évoqué des tentatives de négociation découragées par les autorités russes, à Boudionnovsk comme à la Doubrovka, où certains dispositifs explosifs n'étaient, semble-t-il, pas armés, ce qui contredit la thèse de l'opération-suicide. Pour l'utilisation pendant l'assaut d'un gaz incapacitant qui aurait causé la majorité des décès, les autorités russes ont, depuis, été condamnées par la Cour de justice européenne.
La journaliste Anna Politkovskaïa, qui avait réussi à se faire confier les négociations avec les preneurs d'otages de la Doubrovka, a raconté en 2003 dix heures avec le commando et son entrevue avec leur chef, un certain Abou Bakar. Il lui déclare ceci : «Ça fait un an et demi que des gens nous implorent de les prendre comme combattants suicides pour venir ici.» Ou encore : «Nous sommes venus pour mourir»… «De fait, [Politkovskaïa] ne doute pas un instant que ce commando se sait condamné et est prêt à mourir, en fauchant autant de vies d’otages qu’il le voudra.» Le premier jour de la prise d'otages, les médias russes montrent en boucle et en direct des images des événements, ainsi qu'un message vidéo diffusé sur la chaîne al Jazeera, disant «nous voulons plus la mort que vous la vie». Une couverture médiatique idéale et un écho sans précédent dans l'opinion russe.
L'attentat-suicide, efficace et économique
La méthode désormais vulgarisée de l'attentat-suicide comme arme politique a été reprise par les indépendantistes tchétchènes avec succès, face à une police russe peu expérimentée en la matière. De 2000 à 2014, une centaine d'attaques suicides ont été commises sur le territoire russe, dont 26 perpétrées par 46 femmes kamikazes (avec parfois plusieurs femmes par attentat), selon le site Kavkazski Ouzel.
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Sans en faire la liste, on peut citer les attentats-suicides les plus marquants. L'attaque du Bataclan en France peut aussi rappeler le double attentat-suicide lors d'un concert de rock à Moscou en 2003, qui avait fait 13 morts. Rien qu'en 2003, une dizaine d'attaques de ce type ont éré recensées. En 2004, année de l'escalade, c'est le président tchétchène Akhmad Kadyrov, père de Ramzan Kadyrov, qui est victime d'un attentat kamikaze. Fin 2013, le double attentat-suicide de Volgograd résonne comme une menace avant les JO de Sotchi.
Le phénomène des «veuves noires»
Les troupes russes ont décimé dans des zatchistki (opérations de «nettoyage») la population masculine tchétchène, laissant une génération de veuves ou de femmes endeuillées qui n'auront de cesse de venger leurs morts, un impératif dans une culture tribale. Durant la deuxième guerre de Tchétchénie, les femmes tchétchènes ont toutes perdu des proches, parfois un mari, ou subi un viol. La culture tchétchène entretient aussi le mythe d'un suicide collectif féminin : en 1819, les 46 héroïnes Dadi-Yurt préfèrent se noyer plutôt que de suivre les soldats russes qui les ont enlevées.
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Peu coûteux, facile à organiser et difficile à déjouer, l'attentat-suicide est de plus en plus l'apanage des femmes, a priori moins suspectées par la police. «Une forme d'action très économique», selon l'historien des guérillas Gérard Chalian, cité par Slate : «On perd une seule personne, une femme en plus, qui ne pourrait pas combattre de façon "traditionnelle", pour faire un maximum parler de soi.» Les organisations n'hésitent pas à instrumentaliser ces volontaires. En 2003, le témoignage d'une jeune Ingouche d'à peine 20 ans, Zarema Moujakhoïeva, qui se rendit à la police au lieu de se faire exploser à Moscou, avait bouleversé le monde entier.
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