Témoignages "Cette guerre n'a plus aucun sens" : en Israël, des mères de soldats se battent pour l'arrêt de l'opération militaire à Gaza

Très critiques envers Benyamin Nétanyahou et son gouvernement, ces mères de famille se sont jointes aux Israéliens qui exigent le retour des otages pour réclamer, ensemble, un accord mettant fin à la guerre.

Article rédigé par Clément Parrot - envoyé spécial en Israël
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Aviva, mère de famille d'un soldat israélien de 20 ans, manifeste sur la "place des otages" à Tel-Aviv, le 20 septembre 2025. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)
Aviva, mère de famille d'un soldat israélien de 20 ans, manifeste sur la "place des otages" à Tel-Aviv, le 20 septembre 2025. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Aviva ne tient plus les comptes. "Cela fait au moins 70 ou 75 samedis que je manifeste sur la 'place des otages'", raconte, samedi 20 septembre, cette neuropédiatre qui s'approche de la soixantaine. Depuis le 7 octobre 2023 et l'attaque sans précédent du Hamas en Israël, les familles des otages et leurs soutiens se réunissent chaque semaine sur cette grande place de Tel-Aviv. Ces derniers mois, le lieu est aussi devenu un rendez-vous pour toutes les oppositions au gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Des collectifs de mères de soldats israéliens s'y rassemblent pour réclamer l'arrêt de la guerre à Gaza, au moment où l'armée intensifie ses opérations à Gaza-ville. Quelque 60 000 réservistes ont été rappelés, en plus de 70 000 soldats déjà mobilisés.

Aviva est la mère de quatre garçons, dont le benjamin, 20 ans, est engagé dans l'armée régulière et revient tout juste de l'enclave palestinienne. Pour cette nouvelle manifestation juste avant les fêtes de Roch Hachana, le Nouvel An juif, l'activiste porte un t-shirt où figurent les visages des otages encore retenus par le Hamas.

"Au début, la guerre était défensive. Mais depuis de longs mois, il est clair pour moi que mon gouvernement ne fait pas tout ce qu'il faut pour parvenir à des accords, terminer la guerre et ramener tous les otages à la maison. Et pour ramener nos soldats à leur rôle défensif", explique la militante, membre des Mères au front. Un mouvement inspiré par celui des Quatre mères, qui avait fait pression pour le retrait israélien du Liban en 2000. "Le gouvernement envoie les soldats là-bas pour des raisons politiques", poursuit cette franco-israélienne, arrivée en Israël dans son enfance, en 1974.

"J'étais très fière de notre démocratie, mais Nétanyahou massacre le pays et le transforme en dictature. Il agit seulement pour garder sa place en tant que chef de gouvernement."

Aviva, mère d'un soldat israélien

à franceinfo

Les manifestantes rappellent les récents propos du chef d'état-major de l'armée, Eyal Zamir, qui avait jugé durement le projet d'occupation de la ville de Gaza, évoquant la mise en danger des otages et la possibilité de lourdes pertes militaires. L'armée israélienne dénombre plus de 450 morts dans ses rangs depuis le début de l'offensive terrestre dans le territoire palestinien, le 27 octobre 2023. 

La foule écoute les prises de paroles de membres de familles d'otages, le 20 septembre 2025, sur la "place des otages" de Tel-Aviv. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)
La foule écoute les prises de paroles de membres de familles d'otages, le 20 septembre 2025, sur la "place des otages" de Tel-Aviv. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Orit aussi a rejoint le "combat des mères". Celles "des otages", mais aussi celles "des soldats qui sont envoyés à Gaza", ou dont l'enfant a été "blessé physiquement ou mentalement" à l'armée. Elle-même est mère de jumeaux de 21 ans et d'un garçon de 20 ans, tous en âge d'être appelés. Un de ses fils est engagé dans une unité combattante. "Il a été à Gaza, au Liban, mais en ce moment, il est en permission", souffle cette mère de famille dans son t-shirt des Mères éveillées, un autre groupe d'activistes. "J'ai appris à mon fils à servir son pays, à faire ce qui est juste. Maintenant, je pense que cette guerre n'est pas nécessaire", témoigne-t-elle, aux bords des larmes. "Je suis vraiment désolée pour les soldats qui sont là-bas, qui se font tuer pour rien, mais cette guerre n'a plus aucun sens." 

"Il faut donner mille terroristes en échange ? On les donnera"

Dans une autre manifestation, samedi soir, Elisabeth aussi souhaite l'arrêt total de la guerre, peu importe les concessions nécessaires. "Il faut donner mille terroristes en échange ? Alors, on les donnera, si c'est le prix, car le prix que a société israélienne est en train de payer est bien plus grave", estime cette thérapeute familiale, dont le fils réserviste de 27 ans a été envoyé à trois reprises dans Gaza. En échange du retour de 141 otages, Israël a déjà libéré plus de 2 000 détenus palestiniens. "Des soldats meurent chaque jour. On n'a aucune idée de l'état de santé des otages. Et voir les bombardements et des immeubles s'effondrer à Gaza, il n'y a rien de marrant à ça. Ni même de se lever en pleine nuit parce qu'il y a des missiles du Yémen qui arrivent."

"On est dans un état guerrier, on en est en état de guerre tout le temps, mais au bout de deux ans, on n'en peut plus." 

Elisabeth, mère d'un soldat réserviste

à franceinfo

Face à un gouvernement auquel participe l'extrême droite, qui incarne une voix "masculine et guerrière" (il compte seulement 6 femmes contre 27 hommes), cette franco-israélienne estime que le combat des mères porte un "symbole de la maternité, de désir de vie, de protection des enfants, tout en étant féministe". Alors, elle s'active, comme ce samedi matin devant la résidence du chef d'état-major de l'armée israélienne. Mais n'a plus beaucoup d'illusions. "Aujourd'hui, les manifestations ne menacent en rien Benyamin Nétanyahou. On continue quand même pour la moralité, pour l'éthique, pour les valeurs qu'on veut défendre", explique-t-elle. "Pour faire changer Nétanyahou de position, il faut la volonté de Trump, ou peut-être de l'Europe. Mais cette dernière n'arrive pas à avoir un langage suffisamment clair et cohérent." Elisabeth sait que la position de son collectif n'est pas majoritaire dans le pays, "mais je pense qu'on est quand même des milliers", évalue-t-elle.

Depuis le début de la guerre, elle trouve que son fils a changé, gagnant "en maturité, en tristesse aussi". Le jeune homme, qui étudie dans le civil les relations internationales et la philosophie, fait partie du personnel paramédical, et il a vu la mort de près. "On sait déjà à quel point ils vont être traumatisés, car il y a des choses qui ne sont pas sensées dans ce qui se passe à Gaza", estime sa mère.

"Si je pouvais aller en prison à sa place, je le ferais"

Les représailles israéliennes ont coûté la vie à plus de 65 000 Palestiniens, en majorité des civils, selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas à Gaza. Elles continuent aussi à faire des centaines de milliers de déplacés, tandis que le long blocus humanitaire a entraîné une famine. Des voix, notamment une commission indépendante mandatée par l'ONU, accusent Israël de perpétrer un génocide des Gazaouis. Les Mères éveillées dénoncent toute une chaîne de conséquences : "Il y a 48 otages, des soldats qui meurent, une réalité à Gaza qui est intenable, et une société israélienne qui est en train de s'effondrer dans ses valeurs."

Des parents vivent aussi dans l'angoisse de l'attente du retour de leur enfant. "Quand il est là-bas, je ne respire pas, je ne dors pas", souffle Aviva. "Quand il y a des morts parmi les soldats, on a souvent des rumeurs qui circulent avant de savoir. Et ce sont de longues heures d'inquiétude." Certaines mères confient, sous couvert d'anonymat, avoir recours à la drogue pour tenir le coup : "Avec mon mari, on fume un joint tous les soirs." Ou se disent au bord de la rupture : "Si je pouvais aller en prison à sa place, je le ferais. Si je pouvais faire quoi que ce soit pour l'empêcher d'être là-bas. J'ai parfois des idées irrationnelles : est-ce qu'il faut lui casser la jambe pour qu'il ne puisse pas aller à l'armée ?", confie l'une des mères.

La désertion est passible de peines de prison en Israël et plusieurs militants du mouvement des "refuzniks", qui rejettent le service militaire obligatoire, ont été condamnés depuis le 7 octobre. "Je préférerais que mon fils refuse les ordres et qu'il aille en prison, tant qu'il ne continue pas cette guerre, poursuit cette mère de famille. Tant qu'il ne met pas sa vie en danger pour cette folie."

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