"C'est une course à la mort" : à Gaza, des centaines de Palestiniens venus chercher de l'aide humanitaire tués par des tirs israéliens

Les distributions organisées depuis fin mai par la GHF, organisation privée soutenue par Washington et Israël, ont été marquées par des scènes chaotiques et meurtrières.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7min
Un enfant, blessé près d'une distribution d'aide humanitaire, est amené à l'hôpital Nasser de Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 17 juin 2025. (ABED RAHIM KHATIB / ANADOLU / AFP)
Un enfant, blessé près d'une distribution d'aide humanitaire, est amené à l'hôpital Nasser de Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 17 juin 2025. (ABED RAHIM KHATIB / ANADOLU / AFP)

Près de 400 morts en un mois. La Défense civile de Gaza a affirmé, vendredi 20 juin, que 26 personnes avaient été tuées par l'armée israélienne alors qu'elles venaient chercher de l'aide alimentaire près du corridor de Netzarim, dans le centre de l'enclave. Leurs décès s'ajoutent à ceux qui surviennent presque chaque jour en marge de distributions d'aide dans le territoire palestinien, ravagé et affamé par plus de vingt mois de guerre.

Jeudi, la Défense civile avait déjà rapporté dans son bilan quotidien que 76 Palestiniens, dont 21 venus chercher de l'aide humanitaire, avaient été tués à Gaza. Dix ont perdu la vie à Khan Younès, dans le sud de l'enclave, et 15 autres dans le couloir de Netzarim, a affirmé un porte-parole à l'AFP. Selon lui, 51 autres personnes ont été tuées lors de neuf frappes israéliennes dans la ville de Gaza et le nord du territoire assiégé.

Seulement quatre centres pour tout le territoire

Ces morts surviennent dans un contexte humanitaire catastrophique. Début mars, Israël a imposé un blocus humanitaire à l'enclave palestinienne, aggravant encore les dramatiques pénuries de nourriture, de médicaments et d'autres biens de première nécessité. Les agences de l'ONU et les ONG qui assuraient jusqu'ici les distributions alimentaires ont dû restreindre leurs activités, l'Etat hébreu les accusant de laisser le Hamas s'accaparer les vivres.

Depuis la fin mai, la distribution d'aide humanitaire a été confiée à la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une organisation soutenue par Washington et Israël, au financement opaque. Des agences onusiennes fournissent également à la population, à la marge, des biens de première nécessité, notamment de la farine. Mais, près des centres de la GHF, les distributions ne cessent d'être marquées par des scènes de chaos.

"C'est une course à la mort. Les plus rapides, forts, chanceux : ce sont eux qui ont des chances de survivre, d'atteindre la nourriture", témoigne Mohammed al-Shaqra auprès du Los Angeles Times. Le 8 juin, alors qu'il s'avançait vers un centre de distribution de Rafah dans l'espoir d'obtenir un peu d'aide alimentaire – sa troisième tentative en 15 jours –, ce Palestinien de 30 ans a été blessé par un explosif largué par un drone israélien.

"On a l'impression d'être des animaux, qui se précipitent sur un carton d'aide comme si leur vie en dépendait. Et elle en dépend."

Mohammed al-Shaqra, un Gazaoui

au "Los Angeles Times"

Selon le Los Angeles Times, la GHF a recours à des employés armés, et non des travailleurs humanitaires, pour organiser ses distributions à Gaza. Au lieu des 400 centres gérés par l'ONU et des ONG à travers l'enclave, la fondation a concentré son activité dans quatre sites "fortifiés" situés dans le Sud, contraignant la population à traverser des zones de combat en quête de nourriture. Chaque point de distribution est surveillé par des militaires israéliens, installés à quelques dizaines de mètres. 

"Une version réelle de 'Squid Game'"

Citant des Gazaouis, le quotidien américain rapporte que ces centres "ouvrent rarement à l'heure annoncée", voire restent fermés. Les cartons de vivres ne sont pas remis aux déplacés, mais empilés sur des palettes, sur lesquelles se précipite la foule, affirme le Los Angeles Times. "Les gens se rassemblent en avance sur les routes désignées comme sûres par l'armée israélienne, mais se retrouvent souvent sous les tirs quand on les autorise à approcher", insiste le quotidien, citant un habitant qui compare les distributions à "une version réelle de Squid Game", célèbre série sud-coréenne dans laquelle des personnages désespérés s'affrontent dans des versions mortelles de jeux d'enfants pour essayer de gagner une énorme somme d'argent.

Des centaines de Gazaouis attendent de recevoir de l'aide humanitaire près d'un centre de la GHF, le 8 juin 2025, dans le corridor de Netzarim. (EYAD BABA / AFP)
Des centaines de Gazaouis attendent de recevoir de l'aide humanitaire près d'un centre de la GHF, le 8 juin 2025, dans le corridor de Netzarim. (EYAD BABA / AFP)

Bassam Abu Shaar, un déplacé palestinien, a ainsi déclaré à l'AFP que des milliers de personnes s'étaient rassemblées à Netzarim, dans la nuit de mercredi à jeudi, avant l'ouverture du centre de la GHF. "Vers 1 heure du matin, ils ont commencé à nous tirer dessus. Les tirs provenant de chars, d'avions et les bombes lancées par des drones se sont intensifiés", a-t-il affirmé, disant avoir vu des morts et des blessés gisant au sol. Contactée par l'AFP, l'armée israélienne a répondu que ses soldats avaient tiré des "coups de semonce" sur des "suspects" qui s'approchaient d'eux, mais qu'elle n'avait "pas connaissance de blessés".

Des scènes similaires ont été observées tout au long de la semaine. Lundi, 20 personnes ont été tuées alors qu'elles attendaient de recevoir de l'aide à Rafah, selon la Défense civile de Gaza. Mardi, plus de 50 personnes sont mortes sous les tirs de drones et d'obus à Khan Younès. Mercredi, ce sont 11 personnes qui ont été tuées et plus de 100 blessées quand l'armée israélienne a "ouvert le feu et tiré plusieurs obus, entre 2h30 et 6 heures, sur des milliers de citoyens rassemblés" dans le centre de la bande de Gaza, notamment à Nousseirat, affirme la Défense civile.

"Ces centres de distribution deviennent des centres de massacre"

Pour les Palestiniens, les centres de distribution sont à la fois "l'endroit le plus dangereux et un endroit qu'on ne peut pas éviter", explique à franceinfo le journaliste gazaoui Rami Abou Jamous. "La majorité de la population de Gaza dépend de l'aide humanitaire, et dépend donc de ces centres, parce qu'elle est affamée, insiste-t-il. Malheureusement, ces centres de distribution deviennent des centres de massacre."

Les rares hôpitaux qui fonctionnent encore à Gaza confirment que ces violences sont devenues récurrentes. "Chaque fois qu'il y a une soi-disant distribution de nourriture, on sait qu'il y a destruction", a dénoncé mardi Mark Brunner, médecin américain en mission à l'hôpital Nasser de Khan Younès, cité par La Croix. "Aujourd'hui, on a appris que des tanks avaient été utilisés aux centres de distribution de nourriture, ce qui est logique parce qu'on voit des multitraumas (...) et beaucoup, beaucoup de morts."

"C'est maintenant la routine de tirer et de tuer des gens désespérés et affamés pendant qu'ils essaient de collecter un peu de nourriture dans une structure composée de mercenaires", a déploré mercredi Philippe Lazzarini, le chef de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), sur le réseau social X. Depuis l'arrivée de la GHF, au moins 397 personnes ont été tuées et plus de 3 000 autres blessées en tentant d'atteindre les points de distribution d'aide à Gaza, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du Hamas, dont les chiffres sont jugés fiables par l'ONU. Compte tenu des restrictions imposées par Israël aux médias à Gaza et des difficultés d'accès sur le terrain, ces bilans n'ont pu être vérifiés de manière indépendante.

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