Prix Nobel : "Les jurys ne sont pas du tout qualifiés", déplore Christine Kerdellant, autrice de "Prix Nobel : le prestige et l'imposture"
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Invitée du "11/13" ce mercredi 8 octobre, l'autrice Christine Kerdellant présente son livre, "Prix Nobel : le prestige et l'imposture"
Donald Trump est-il vraiment crédible en espérant décrocher le prix Nobel de la paix, qui sera décerné vendredi 10 octobre ? Pour évoquer cette possibilité, alors que le président américain a reçu le soutien du Forum des familles d'otages détenus à Gaza, le "11h/13h" de franceinfo reçoit la journaliste et écrivaine Christine Kerdellant, autrice de "Prix Nobel : le prestige et l'imposture", édité par L'Observatoire. Un livre dans lequel elle dévoile les scandales qui entourent ces récompenses prestigieuses, décernées par des jurys peu qualifiés.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Lucie Chaumette : Vous êtes journaliste, autrice du livre Prix Nobel : le prestige et l'imposture. Dans cet ouvrage, vous vous attaquez quand même à une institution reconnue internationalement, le fameux prix Nobel. Qu'est-ce qui a motivé cette enquête ?
Christine Kerdellant : Cette enquête a été motivée par le fait qu'il y a eu beaucoup de scandales, de tous ordres, pratiquement sur chacun des prix, que ce soit le prix Nobel de la paix, où Barack Obama l'a eu en 2009, il ne savait absolument pas pourquoi ; il a été le premier surpris, il croyait que c'était une blague. Que ce soit le prix Nobel de littérature, où l'on oublie des gens comme Graham Greene, ou comme Salman Rushdie, ou comme Tolstoï, que ce soit le prix de chimie, de physique, ou les médecines qui sont... Parfois, les lauréats sont enchevêtrés avec certains labos, donc il y a des conflits d'intérêts. Et d'autres fois, comme le prix Nobel de physique d'hier, on est très fiers qu'un Français soit parmi les trois nobélisés, mais pour des travaux qui datent de 1985, 40 ans. C'est un des gros défauts des prix scientifiques Nobel. En général, on récompense des gens, en chimie et en physique notamment, qui ont fait leurs travaux il y a 30 ans ou 40 ans. Et depuis, il y a eu d'autres avancées bien plus importantes. Il aurait fallu les récompenser au moment où cela pouvait encourager leur carrière et leur donner des moyens pour continuer.
On va revenir sur quelques exemples que vous prenez dans le livre, justement. On va commencer par le prix Nobel de littérature, celui de 1985, attribué à un Français, Claude Simon, un auteur français inconnu. J'aurais tendance à me dire : c'est un Français, cocorico, célébrons-le. Mais vous, vous dites que ce n'était pas vraiment logique à ce moment-là. Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'on lui attribue à lui et pas, par exemple, à Marguerite Yourcenar ou Léopold Sédar Senghor ?
En fait, il y avait eu une campagne en Suède, puisque c'est l'Académie suédoise qui décerne les prix. Il y avait une véritable campagne du traducteur de Claude Simon, un Suédois qui était à la fois journaliste de presse écrite, journaliste de télévision, interviewer dans le cadre des Nobel, et traducteur des livres de Claude Simon. Il avait, avec un des jurés du Nobel, mis en place une campagne de lobbying depuis des années. Il faisait toujours en sorte qu'un des jurés mette son nom dans la phase finale. On demande à 200, 300 personnes dans le monde de donner des noms. Sauf que les jurés du Nobel peuvent rajouter, s'ils veulent, des noms à la dernière minute. Claude Simon, qui n'était pas nommé par quiconque dans le monde, était rajouté à la dernière minute toujours par un de ces jurés qui était en sa faveur. Et puis en 1983, ce juré n'a pas eu ce qu'il voulait par rapport à un autre candidat qu'il défendait. Donc, tout le monde savait qu'il y aurait un renvoi d'ascenseur et qu'un jour, son candidat à lui, Claude Simon, passerait.
"Normalement, un prix Nobel de la paix est décerné selon ce qu'a demandé précisément Alfred Nobel, un bienfaiteur de l'humanité"
Mais c'est fou de se dire que les prix Nobel ne récompensent pas les grandes avancées de l'humanité, une recherche particulière et ne sont pas toujours justes. C'est ça que vous dénoncez ?
Les jurys qui réfléchissent et qui travaillent ne sont pas du tout qualifiés. C'est-à-dire qu'Alfred Nobel, lorsqu'il a donné l'argent à la Fondation pour créer les prix Nobel, a demandé à l'Académie suédoise, au Parlement norvégien, par exemple, de constituer des jurys. Et au lieu d'aller chercher des personnalités qualifiées internationales, c'est-à-dire des spécialistes pour le prix Nobel de la paix, des conflits dans le monde, de l'histoire, des diplomates, etc. Eh bien, ils sont restés entre eux. Ce sont cinq Suédois de l'Académie suédoise qui décernent le prix Nobel de littérature, et ce sont cinq anciens syndicalistes, anciens politiciens, anciens députés norvégiens qui décernent le prix Nobel de la paix, même s'ils ne connaissent rien à la politique internationale.
Vous appelez à changer ça aujourd'hui, vous dites que ça doit évoluer ?
Bien sûr, le problème existe depuis 125 ans et cela n'a pas évolué. Depuis 125 ans, c'est la même manière de décerner les prix en restant dans l'entre-soi, soit suédois, soit norvégien.
Je parlais au début de cette interview du prix Nobel de la paix qui sera décerné vendredi. Donald Trump espère l'avoir, et on l'a bien compris en l'entendant. Après votre enquête et après avoir vu les conflits d'intérêt qui peuvent parfois exister, par exemple, est-ce que vous pensez qu'il est possible que Donald Trump reçoive ce prix Nobel ? Qu'est-ce que cela voudrait dire ?
Ce serait tellement énorme que ce serait une manière de se déjuger pour les Norvégiens qui vont le décerner. Cela dit, si Trump promettait, par exemple, des tarifs, des droits de douane pour la Norvège équivalents à zéro alors qu'ils sont peut-être à 25 % aujourd'hui, qui sait si le jury ne serait pas capable de lui donner le prix ? Franchement, je n'y crois pas. Ce serait un tel scandale, parce que quand même, Donald Trump, certes, aura peut-être résolu le conflit au Moyen-Orient, mais il a cassé le multilatéralisme, il veut s'emparer du Groenland au nez et à la barbe du Danemark, il veut faire du Canada un 51e État américain. Normalement, un prix Nobel de la paix est décerné selon ce qu'a demandé précisément Alfred Nobel, un bienfaiteur de l'humanité. Est-ce qu'on peut dire que Donald Trump aurait été un bienfaiteur de l'humanité ? Est-ce qu'on peut considérer que Kissinger l'était aussi, président américain en 1973 ?
Vous donnez cet exemple. Exactement.
Que ce soit Kissinger, effectivement, alors qu'il avait fomenté un certain nombre de coups d'État en Amérique du Sud et qu'il avait rasé Hanoï dans le conflit avec le Vietnam, que ce soit Yasser Arafat, qui a aussi eu le prix en 1994 avec Yitzhak Rabin. Il y a eu énormément de scandales, notamment pour le prix Nobel de la paix, parce qu'ils n'ont pas relu les consignes qu'Alfred Nobel avait demandées, et surtout qu'ils ne connaissaient pas bien la situation et qu'ils se sont laissés naïvement impressionner par tel ou tel.
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