Une dirigeante d'extrême droite qui "s'est institutionnalisée" : les multiples visages de Giorgia Meloni, au pouvoir depuis trois ans en Italie

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
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La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, a réussi à maintenir sa coalition de droite et d'extrême droite au pouvoir depuis trois ans, une longévité rare dans le pays. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO / AFP)
La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, a réussi à maintenir sa coalition de droite et d'extrême droite au pouvoir depuis trois ans, une longévité rare dans le pays. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO / AFP)

La cheffe du gouvernement italien peut se targuer d'avoir réussi à se maintenir à la tête d'un pays connu pour son instabilité politique, mais aussi d'être devenue une interlocutrice incontournable à l'international.

A ses yeux, elle représente "une source d'inspiration pour tous". Donald Trump ne cesse de tresser des lauriers à la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Mi-octobre, sur son réseau Truth Social, le dirigeant américain a ainsi assuré que "Giorgia fait un travail incroyable pour le merveilleux peuple d'Italie". Les sondages vont quelque peu dans son sens. Le parti de la dirigeante d'extrême droite de 48 ans, qui célèbre ses trois ans au pouvoir mercredi 22 octobre, affiche 30% d'intentions de vote dans les sondages, selon l'agrégateur de Politico, soit une hausse par rapport aux élections législatives de 2022 ou européennes de 2024. Fratelli d'Italia ("Frères d'Italie" en français) devance nettement devant le Parti démocrate, de centre gauche, qui plafonne à 22%.

Dans un pays qui a vu se succéder une soixante de gouvernements depuis l'avènement de la République, en 1948, le gouvernement de Giorgia Meloni fait preuve d'une longévité rare. Depuis la victoire historique de Fratelli d'Italia, parti aux racines post-fascistes, son alliance avec d'autres formations de droite et d'extrême droite n'a connu aucune crise majeure ou remaniement. La dirigeante romaine peut espérer faire aussi bien que Silvio Berlusconi, seul président du Conseil parvenu à rester au pouvoir durant une législature entière de cinq ans (2001-2006).

"Une gestion prudente de l'économie"

Quelle est la recette de cette longévité ? La capacité de Giorgia Meloni à jouer plusieurs partitions à la fois, sur la scène politique intérieure comme à l'international. Il y a d'abord "une gestion prudente de l'économie, sans chocs importants", résume Lorenzo Castellani, politologue à l'université romaine Luiss Guido-Carli. Le déficit public italien est ainsi passé d'environ 8% du PIB en octobre 2022 à 3,5% au premier trimestre 2025, tandis que la dette rapportée au PIB est restée autour de 138% sur la même période, selon les données de la Banque centrale européenne (BCE).

Pour autant, la politique économique de Giorgia Meloni ne fait pas de miracle. "La croissance post-Covid a été très bonne, mais ces deux dernières années, elle a été presque nulle", souligne auprès de franceinfo Marina Cino Pagliarello, spécialiste des questions économiques et politiques européennes à la London School of Economics. La Commission européenne table ainsi sur une croissance de 0,7% en 2025 et de 0,9% en 2026. "L'Italie n'est pas en train de s'écrouler, mais elle frôle la stagnation", résume Marina Cino Pagliorello. Et si "le marché de l'emploi s'est amélioré, la plupart des embauches concernent des jobs peu rémunérés, avec des heures décalées".

"Il y a une frustration profonde chez la population italienne, les gens se sentent pressés financièrement."

Marina Cino Pagliorello, chercheuse associée à la London School of Economics

à franceinfo

Plus généralement, Jean-Pierre Darnis, chercheur responsable du master en relations franco-italiennes à l'Université Côte d'Azur, observe une "absence de réformes fortes". L'action de la présidente du Conseil "ne se caractérise pas par une forte activité législative, ni par une rupture. Nous sommes face à un gouvernement qui gère à l'équilibre, dans la continuité des gouvernements de droite avant lui", analyse-t-il.

Moins d'immigration illégale, mais plus de visas de travail

"Il y a bien une réforme controversée de la justice qui est sur les rails, ainsi que quelques victoires législatives, qui encadrent plus fermement la liberté de manifester et donne plus de pouvoir aux forces de sécurité, ce n'est pas rien", nuance Marina Cino Pagliarello. Autre exemple : une réforme des institutions qui vise à faire élire la personnalité à la tête de la présidence du Conseil directement par les Italiens. Mais ce projet, présenté depuis plusieurs mois, est toujours en discussion au Parlement.

Elue sur la promesse de mettre un frein à l'immigration, la dirigeante a sur ce point multiplié les décrets. Pour quels résultats ? Dans un document publié sur son site le 17 octobre, le ministre de l'Intérieur montre que si le nombre de personnes débarquées illégalement sur les côtes italiennes a drastiquement baissé en deux ans, il stagne, voire augmente, ces derniers mois.

Giorgia Meloni a aussi promis d'externaliser l'accueil des migrants en Albanie dès son arrivée au pouvoir. Mais l'ouverture de ces centres, qui a défrayé la chronique dans le reste de l'Europe, s'est soldée par un échec après avoir été bloqué par la justice. La cheffe du gouvernement a même ouvert les vannes de l'immigration régulière, en délivrant 450 000 permis de travail pour travailleurs étrangers entre 2023 et 2025, un chiffre qui grimpera à 500 000 lors des deux prochaines années, du jamais-vu dans l'histoire récente du pays. "Le gouvernement de Meloni est plus immigrationniste que ceux de gauche", a lancé mi-octobre le quotidien de droite Il Foglio. La présidente du Conseil et ses ministres y voient, pour leur part, du pragmatisme.

"Son parti s'est accommodé du cadre démocratique"

Sur les questions sociétales, celle qui défend une vision de l'Italie traditionnelle et se pose en pourfendeuse du "lobby LGBT", anti-avortement et en protectrice de la famille catholique, s'est surtout contentée de discours. Un décret visant à effacer le nom de la mère non biologique des actes de naissance d'enfants de couples lesbiens a certes été publié en 2023. Mais la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction du pays, a conclu à son inconstitutionnalité, deux ans plus tard, au terme d'une longue bataille.

"C'est comme ça que fait Giorgia Meloni, elle agite des drapeaux idéologiques pour polariser le débat", constate Jean-Pierre Darnis. "Elle crée des tensions fortes dans la société, notamment parce que son gouvernement a normalisé une identité italienne plus excluante qu'avant", ajoute Marina Cino Pagliarello. Ses déclarations ont fait craindre des reculs en matière d'Etat de droit, comme le notait un rapport de la Commission européenne en 2024, mais sans pour l'instant aller plus loin. "Son parti s'est accommodé du cadre démocratique et elle s'est institutionnalisée", résume la chercheuse.

L'objectif d'une alliance des droites et de l'extrême droite

Sur la scène internationale aussi, Giorgia Meloni démontre sa plasticité idéologique. Proche du président américain Donald Trump – elle était la seule dirigeante européenne à être invitée à son investiture – la Première ministre italienne est érigée en modèle à suivre par l'extrême droite européenne. "Nous sommes, partout dans le monde, prêts à assumer la responsabilité gouvernementale", lançait-elle dans une vidéo diffusée durant un événement de Marion Maréchal début septembre, rapporte Le Monde, affichant sa volonté de faire l'union des droites et de l'extrême droite.

Avec cet objectif en tête, elle a notamment poussé, après les élections européennes de juin 2024, pour créer le groupe des Conservateurs et réformistes au Parlement européen, où l'on retrouve Fratelli d'Italia, mais pas l'AfD allemande ou le Rassemblement national. Une décision qui permet des alliances ponctuelles avec le Parti populaire européen (PPE), coalition de centre droit, au grand dam de la gauche et du centre, et au risque de faire exploser la majorité qui soutient la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. "C'était une décision intelligente, elle était au bon endroit au bon moment, et a bénéficié de la droitisation du PPE", estime Marina Cino Pagliarello.

Une partenaire qui joue le "jeu communautaire"

Prête à faire tanguer les rapports de force au Parlement européen, Giorgia Meloni s'affiche à l'inverse comme une partenaire fiable parmi ses pairs. L'Italienne s'est gardée de s'inspirer de l'exemple du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, connu pour ses positions anti-UE et sa propension à bloquer des discussions majeures au sein des Vingt-Sept. "Elle n'a jamais dévié de la ligne pro-ukrainienne de l'Italie et a misé sur la continuité de la place qu'occupe son pays au sein des institutions, en jouant le jeu communautaire", relève Jean-Pierre Darnis. Elle entretient ainsi de bonnes relations avec la cheffe de la Commission européenne.

La stratégie de Giorgia Meloni lui permettra-t-elle de changer les priorités de l'Union européenne sur le long terme ? Profondément atlantiste et pro-Otan, elle se montre dubitative devant les objectifs affichés par la France et l'Allemagne quant à une véritable défense européenne. Un combat pour l'instant perdu, alors que la Commission a présenté le 17 octobre ses objectifs pour rendre l'UE indépendante en la matière d'ici à 2030. "Elle a été assez intelligente pour ne s'aliéner personne, mais elle manque tout de même d'influence au sein des instances", juge Lorenzo Castellani.

Pour pouvoir espérer influer sur la politique européenne, il faudra d'abord que la dirigeante demeure au pouvoir jusqu'au terme de son mandat de cinq ans. "C'est pour l'instant le scénario le plus probable, tant que sa coalition reste stable", explique le politologue. D'autant que Giorgia Meloni fait "face à une opposition morcelée et n'a pas de rival politique évident", complète Marina Cino Pagliarello. Mais "l'économie italienne n'est pas en grande forme et la situation politique européenne est dans une phase incertaine", prévient la chercheuse. Tout dépendra, conclut la spécialiste, de la capacité de la cheffe de gouvernement de "continuer à se transformer sans s'aliéner sa base politique".

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