Guerre en Ukraine : on vous explique le projet européen de "prêt de réparation" à Kiev, financé par les avoirs russes gelés

L'idée doit être évoquée lors du Conseil européen, jeudi et vendredi à Bruxelles. "Il est crucial que nous progressions sur les modalités juridiques et budgétaires", a déclaré lundi la cheffe de la diplomatie de l'UE.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 17 août 2025 à Bruxelles (Belgique). (SIMON WOHLFAHRT / AFP)
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 17 août 2025 à Bruxelles (Belgique). (SIMON WOHLFAHRT / AFP)

Comment renforcer et pérenniser l'aide européenne à l'Ukraine, face à l'incertitude de la poursuite du soutien américain ? Le sujet se trouve au cœur des discussions, lors du nouveau Conseil européen, jeudi 23 et vendredi 24 octobre à Bruxelles (Belgique). Les dirigeants de l'Union européenne (UE) y évoqueront notamment la proposition d'un "prêt de réparation" en faveur de Kiev.

"Il y avait un large soutien aujourd'hui pour qu'on y parvienne, et il est crucial que nous progressions sur les modalités juridiques et budgétaires", a déclaré lundi la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de la zone. "Le prêt de réparation peut envoyer un message très puissant à Moscou", a-t-elle défendu.

Les dirigeants discutent depuis fin septembre sur cette mesure qui implique la mobilisation des avoirs russes gelés au sein de l'Union européenne. Franceinfo vous en dit plus sur les mécanismes envisagés par les Vingt-Sept.

"Faire payer la Russie", avec un prêt de 140 milliards d'euros

Dès le début de l'invasion russe de l'Ukraine, en février 2022, Bruxelles a décidé d'interdire "toutes les opérations liées à la gestion des réserves et des avoirs de la Banque centrale de Russie", rappelle le Conseil européen. En conséquence, 210 milliards d'euros sont actuellement immobilisés au sein de l'Union européenne. Les "recettes exceptionnelles" issues de ces avoirs peuvent néanmoins, depuis mai 2024, être utilisées pour financer des programmes de soutien à l'Ukraine,"ainsi que sa légitime défense contre l'agression russe", précise le Conseil européen. Un prêt de 45 milliards d'euros a d'ailleurs été octroyé à Kiev sur la base de ces revenus issus des actifs russes, a souligné début mars le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a esquissé l'idée d'un "prêt de réparation" en faveur de l'Ukraine lors de son discours sur l'état de l'Union, le 10 septembre. "Cette guerre est celle de la Russie. C'est donc à la Russie de payer. C'est pourquoi il nous faut travailler d'urgence à une nouvelle solution pour financer l'effort de guerre de l'Ukraine à partir des avoirs russes gelés", a souligné la dirigeante européenne. "On ne touchera pas aux actifs eux-mêmes, a-t-elle poursuivi. L'Ukraine ne remboursera le prêt qu'une fois que la Russie aura payé les dommages de guerre."

Dans un document consulté le 17 octobre par l'AFP, Bruxelles propose un prêt d'une valeur de 140 milliards d'euros. Face aux députés allemands, le 16 octobre, le chancelier Friedrich Merz a évoqué la même somme pour "des prêts sans intérêt", utilisés exclusivement pour financer l'effort de guerre de Kiev face à Moscou. "Versés par tranches, ils garantiraient la capacité de résistance militaire de l'Ukraine pour des années, si nécessaire", a-t-il insisté.

Un montage financier pour éviter "une confiscation" des avoirs russes

D'après un autre document de la Commission européenne consulté par l'AFP, environ 185 milliards d'euros d'avoirs de la Banque centrale russe sont désormais disponibles sous forme liquide au sein de l'Union européenne. Ils sont pour la plupart conservés au sein de l'établissement financier Euroclear, en Belgique.

L'idée est d'en mobiliser une grande partie, mais sans utiliser directement les avoirs gelés. Les Européens craignent en effet de créer un précédent qui menacerait la confiance dans l'euro et mettrait en danger les actifs européens à l'étranger. "La confiscation pure et simple des avoirs de la Banque centrale de Russie est en l'état exclue, tant pour des motifs juridiques que politiques", développe sur le site du think tank Le Club des juristes Régis Bismuth, professeur à l'école de droit de Sciences Po. "Une telle confiscation est estimée contraire au droit international des immunités, qui protège les avoirs souverains à l'étranger", poursuit le spécialiste.

D'après Politico, qui a obtenu un document de travail de la Commission, une piste possible consiste à ce qu'Euroclear investisse des liquidités russes dans des obligations zéro-coupon – dont les intérêts sont versés en une fois, au moment du remboursement – émises par la Banque centrale européenne, et pour lesquelles les Etats membres se portent garants. "Le risque devra être supporté collectivement", avait affirmé Ursula von der Leyen le 10 septembre. L'argent serait ensuite remis à Kiev par tranches, précise Politico.

Des interrogations belges à surmonter

Début octobre, la Belgique a posé ses conditions avant ce possible recours aux avoirs russes gelés conservés par Euroclear. "C'est un peu comme une poule aux œufs d'or", a déclaré début octobre devant la presse le Premier ministre belge, Bart De Wever, et "la question est de savoir si on peut maintenant manger la poule". Son pays redoute d'éventuelles conséquences financières ou des représailles russes, notamment avec des poursuites judiciaires. Le dirigeant a rappelé que la patronne d'Euroclear vivait sous "protection rapprochée", et a évoqué les menaces reçues de Moscou : "Si vous touchez à mon argent, vous en ressentirez les conséquences jusqu'à l'éternité."

La Belgique réclame une solidarité totale de la part des autres Etats membres dans le cadre de ce prêt. Une forme d'assurance que les autres pays de l'UE ou le budget de l'Union se porteront garants d'un éventuel remboursement, si nécessaire. "J'ai expliqué à mes collègues (...) que je veux leur signature", a précisé Bart De Wever. Ce dernier appelle également les autres pays où se trouvent des avoirs russes à jouer leur rôle dans le soutien à l'Ukraine. "Mangeons toutes les poules", a-t-il plaidé. Politico rappelle que la Commission examine aussi la possibilité d'avoir recours à 25 milliards d'euros d'avoirs privés russes présents dans d'autres pays européens.

Un prêt pour acheter en priorité des armes européennes

Dans un document consulté par l'AFP, la Commission rappelle que "plusieurs Etats membres ont suggéré que le produit de ce prêt soit principalement utilisé à l'achat d'armement en Europe". Plusieurs pays, dont la France, sont favorables à ce que l'argent européen octroyé à l'Ukraine aille en priorité à l'industrie de défense européenne.

Selon le texte, un bon compromis est de consacrer la majorité de ces 140 milliards d'euros au soutien militaire à l'Ukraine, avec des règles prévoyant "en principe des contrats limités à l'Ukraine et à l'UE". Le reste du prêt serait affecté au soutien budgétaire à Kiev, d'après ce document qui ouvre aussi la porte à des achats d'armements américains.

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