Cuba à un virage de son histoire : "Que vont devenir nos valeurs ?"
François Hollande entame ce lundi une visite historique à Cuba alors que ce pays ouvre une nouvelle page de son histoire. Depuis le réchauffement diplomatique avec les Etats-Unis, les Cubains oscillent entre espoir et prudence. Le reportage de Gaele Joly.
Dans le quartier touristique de la vieille Havane, sur la place du Capitole, Ariel guette les touristes au volant de sa vieille américaine : une Chevrolet vert pomme des années cinquante avec laquelle il espère leur faire faire le tour de la ville. Avec son tee-shirt siglé "I Love New York", il rêve d'embarquer quelques Américains. Depuis qu’ils sont arrivés à Cuba, Ariel a arrondi ses fins de mois : "Les Américains, c'est pas seulement qu'ils vous donnent plus d'argent, c'est qu'ils respectent votre travail avec des bons pourboires" , souffle-t-il. Ce raz-de-marée américain, poursuit le vieil homme, "ça va nous donner plus de travail, et ça va améliorer notre quotidien."
Un véritable appel d'air pour ce pays qui n'a plus un centime. L'an dernier, Cuba a accueilli trois millions de touristes. Un record. Et cette année, la barre du million de visiteurs a été franchie en à peine trois mois. Si les Américains n’ont toujours pas le droit de venir à Cuba en tant que touristes - il leur faut encore justifier d’une raison professionnelle ou familiale pour y poser le pied -, Miles Brito, la directrice d’une galerie de peintures et de gravures, a tout de même vu ses affaires décoller : "Par exemple, on a un nouveau projet avec le musée d'Art contemporain latino-américain de la ville de San Francisco. Cinq artistes américains vont venir ici, et cinq Cubains vont aller là-bas. Il y a beaucoup plus d'ouverture maintenant. On peut accueillir des Américains sans aucun problème et les Cubains peuvent plus facilement voyager là-bas ."
Si certains se réjouissent de l’arrivée des Américains, d’autres observent l’avenir avec inquiétude. Dans la cuisine de son petit appartement qu'elle loue parfois à des touristes, Nora, 73 ans, n’a pas oublié à quoi ressemblait la Havane d’avant les frères Castro. Une ville où proliféraient les mafias, les casinos et les prostituées, sous les yeux des Américains venus en profiter : "On ne sait pas ce qu'on va gagner, mais on ne sait pas non plus ce qu'on va perdre. Que vont devenir nos valeurs ?" , s’interroge-t-elle ? "Moi, j'ai un petit fils de 14 ans. On ne sait jamais, si un jour il avait des problèmes d'argent, peut-être qu'il tomberait dans la facilité, et qu'il deviendrait une personne de ce genre-là…"
Internet reste un bien rare à Cuba
La jeune génération voit surtout l'espoir d'une vie meilleure. C’est ce que nous confie Barbaro El Urbano Vargas. A 27 ans, cette figure nationale du hip hop nous reçoit chez lui dans une petite maison vétuste en banlieue de la Havane, dans le quartier populaire de Marianao.
Assis face à son ordinateur, il peaufine son dernier album. Mais la tâche est difficile quand on n'a pas accès à Internet. "Il faut donner à la jeunesse l'espace qu'elle mérite", explique-t-il. "Moi, j'ai besoin d'Internet pour travailler, pour produire mes chansons. Ici, la connexion Internet ne marche quasiment pas, et moi je ne peux pas dépenser cinq ou dix dollars pour me connecter pendant une heure."
Dix dollars de l'heure pour surfer sur la toile, dans un pays où le salaire moyen est de 25 dollars par mois, que vous soyez médecin ou ingénieur, n’est pas chose aisée. A Cuba, seul 1% de la population a accès à Internet chez lui. Pour le rappeur, cela ne peut plus durer : "Un pays sans Internet est un pays aveugle, et un peuple aveugle est un peuple manipulable." Des jeunes rêvent aussi d’un changement politique. Eliecer Avilas vient de fonder le parti Somos +, qui lutte pour plus de démocratie sur l’île. Un combat loin d’être de tout repos. Le jeune homme a déjà passé plusieurs nuits en garde à vue, sans que ça famille ne sache où il se trouvait. Mais il a choisi de rester à Cuba pour se battre.
D’après lui, les Cubains doivent profiter de cette période de transition pour bousculer la vieille génération et mettre un coup de pied dans la fourmilière."Pourquoi n'y aurait-il que la famille Castro capable de diriger Cuba ? Parce qu'ils sont plus intelligents ? Ça, je ne crois pas, non", lance-t-il. " Moi je dis toujours que ce pays va changer, quand un million de cubains décidera de choisir la liberté. Mais je crois que les Cubains ont peur. La liberté c'est choisir, choisir ceux qui nous représentent. Changer la loi électorale, par exemple, voilà un changement concret ! Ma génération elle veut des changements, elle veut du progrès, elle veut la liberté, mais elle n'est pas prête à agir. Elle veut que ce soit quelqu'un d'autre qui le fasse. Non, il faut participer" .
Cette ouverture politique dont rêve Eliecer, peu de Cubains y croient vraiment. Et c’est tout le paradoxe : depuis l'annonce du réchauffement diplomatique avec les Etats-Unis, jamais autant de Cubains n'ont essayé de s'enfuir. Depuis la mi-décembre, les gardes côte américains en ont intercepté plus de 700.
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