Récit "On n'a pas vu ça depuis la bataille d'Angleterre" : il y a deux mois au-dessus du Cachemire, le plus grand affrontement aérien du siècle

Article rédigé par Eric Biegala
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
L'un des avions Rafale indiens lors d'une démonstration aérienne à Bangalore, en février 2017. (MANJUNATH KIRAN / AFP)
L'un des avions Rafale indiens lors d'une démonstration aérienne à Bangalore, en février 2017. (MANJUNATH KIRAN / AFP)

Le 7 mai, l'Inde lançait une opération aérienne majeure sur le Cachemire pakistanais. Pourtant, depuis, le bilan concret des pertes militaires, dont des Rafale indiens, reste inconnu.

L'opération "Sindoor" des forces aériennes indiennes n'aura pas été une surprise pour le Pakistan, loin s'en faut, même si elle a été lancée en pleine nuit, le 7 mai 2025. New Dehli avait plus ou moins prévenu de cette attaque et ses avions étaient attendus par la chasse pakistanaise. À la clef : une bataille aérienne sans précédent au 21e siècle, et la probable perte au combat d'au moins un Rafale indien, une première.

Il s'agissait d'une opération de représailles contre les groupes armés du Cachemire pakistanais qui - pour l'un d'eux au moins - avaient revendiqué l'attentat meurtrier du 22 avril dans le Cachemire indien : un groupe armé avait ouvert le feu sur des touristes, tuant 25 Indiens et un Népalais. L'Inde avait alors rendu immédiatement et publiquement responsable le Pakistan de cette action terroriste. Certains de ces groupes armés sont notoirement aidés par les services secrets (ISI) ou même par l'armée pakistanaise elle-même. Il n'est que de constater le nombre d'officiers pakistanais en uniforme présents aux obsèques du chef d'un de ces groupes armés pour imaginer leurs accointances.

"Les Indiens voulaient éviter ça à tout prix"

Les Pakistanais avaient donc été prévenus de ces représailles aériennes, confirment trois sources militaires occidentale et indienne, et probablement dans un certain ordre de détail. Pourquoi prévenir l'ennemi ? Pour éviter toute escalade entre pays "dotés", c'est-à-dire pourvus de l'arme nucléaire. La dernière bataille Inde-Pakistan, en 2019, et déjà autour du Cachemire, avait été lancée classiquement : par surprise et avait bien failli entraîner cette escalade. "Les Indiens voulaient éviter ça à tout prix", note une source occidentale bien informée.

Et les missions de bombardement des Rafale, Mirage 2000 et autres Mig et Sukhoi indiens étaient ciblées et "mesurées" : neuf objectifs, la plupart dans le Cachemire pakistanais. Caches et QG des groupes armés parfois dissimulés sous une mosquée devaient être visés avec des armes de précision, notamment françaises : missiles Scalp et bombes guidées A2SM en particulier.

"Nos pilotes avaient reçu l'ordre d'éviter tout tir sur des infrastructures militaires ou civiles pakistanaises."

Un haut gradé indien

à franceinfo

Seulement en face, l'armée de l'air pakistanaise ne dormait pas. Plusieurs dizaines d'appareils de chasse, des J-10 (chinois) et JF-17 (sino-pakistanais) étaient en patrouille ou ont décollé en urgence. Résultat : le ciel du Cachemire s'est vite transformé en champs de bataille, encombré d'appareils de guerre de quasi dernière génération faisant feu de toutes parts.

Une centaine d'avions engagés à distance

"Quand vous avez 120 avions qui s'affrontent, 50 d'un côté, 70 de l'autre" : c'est sans précédent. "On n'a pas vu ça depuis la bataille d'Angleterre", note le général Jérôme Bellanger, le chef de l'armée de l'air française, en référence à la campagne d'invasion par les airs de la Luftwaffe hitlérienne contre les îles britanniques à l'été 1940.

Certaines campagnes ont, depuis, mobilisé bien plus d'appareils : dernièrement, Israël a, par exemple, lancé sur l'Iran une première vague plus de 200 aéronefs. Seulement, en face, il n'y avait personne : l'aviation militaire iranienne s'étant étiolée comme peau de chagrin et les défenses sol-air de l'Iran avaient déjà été sérieusement réduites.

Le premier Rafale livré à l’Inde en septembre 2020 avec, sur l’empennage, son numéro de série BS001. (PRAKASH SINGH / AFP)
Le premier Rafale livré à l’Inde en septembre 2020 avec, sur l’empennage, son numéro de série BS001. (PRAKASH SINGH / AFP)

C'était surtout le premier affrontement aérien moderne avec, se faisant face, des appareils de génération "4.5" : Rafale français ou J-10 chinois se sont affrontés pendant une bonne heure au moins. En l'occurrence il ne s'agissait pas de "combat tournoyant" ("dogfight") ou les pilotes se battent au canon. Aucun des appareils n'avait ses adversaires "en visuel". Aucun des avions indien ou pakistanais n'a d'ailleurs passé la frontière. Tout s'est déroulé à distance, chacun tirant ses missiles (air-air et air-sol) ou ses bombes, depuis son propre espace aérien à quelques dizaines ou centaine de kilomètres de leurs cibles.

"Nous résistons à cette attaque"

Premier affrontement du genre, il est naturellement scruté à la loupe - dans la mesure du possible - par les armées de l'air de tous les pays ; au premier chef celles des Etats qui ont conçu ces matériels de guerre : Chinois, Français, Russes, (les forces indiennes disposent de nombreux Mig et Sukhoi) ou même Américains (les forces pakistanaises sont également équipées de F16, mais de source confidentielle on indique que le Pakistan avait reçu de Washington l'injonction de ne pas les employer).

Au lever du jour le 7 mai, le Pakistan, par la voix de l'un de ses porte-parole militaires le général Ahmed Sharif Chaudhry, fait une annonce fracassante : "Nous résistons à cette attaque et je puis d'ores et déjà vous dire qu'à l'heure où je vous parle, cinq aéronefs indiens dont trois Rafale, un Sukhoi Su-27 et un Mig-29 ont été abattus, de même qu'un drone Heron" (de fabrication israélienne), annonce le haut gradé sur une chaîne de télévision, sans apporter le moindre élément matériel pour corroborer ses dires. Qui plus est, il semble étrange que l'Etat-major pakistanais ait réussi à faire ce que les militaires appellent un "Battle Damage Assessment" (évaluation des dommages au combat) aussi précis en quelques heures.

Des Rafale abattus ?

Cinq avions ont-ils été effectivement abattus ? A vrai dire, souligne le général Bellanger, la chose n'a rien d'impossible : "Sur le nombre d'avions qui sont allés au tapis, quatre, six ou huit, ce n’est rien ! Quand vous êtes face à une aviation à peu près équivalente, il ne faut pas s'imaginer que tout le monde rentre au bercail." Tout le problème est que, côté indien, c'est "silence radio". Aucune information, confirmation, démenti ou quoi que ce soit n'est émis publiquement quant à l'opération Sindoor, particulièrement quant aux dommages subis.

Près d'un mois après l'opération, l'Inde reste bouche cousue, du moins publiquement : c'est à peine si hors micros, un haut gradé de l'armée de l'air indienne convient qu'il y a bien eu des pertes : "Des avions ont été perdus... des deux côtés ; nous estimons que six appareils pakistanais ont été abattus en vol, mais nous n'en avons pas les preuves". Quant au détail des pertes indiennes, c'est toujours "no comment". 

Pour ce qui est des Rafale, quelques images apparaissent sur les réseaux sociaux, le surlendemain : une queue de dérive dans l'herbe jaunie d'un champ, avec, bien visible, le nom "Rafale" et le numéro de série de l'appareil : BS001. Il correspond au tout premier Dassault Rafale acquis par l'Inde, amplement photographié à l'époque, qui porte effectivement sur son empennage ces mêmes marques distinctives.

Une image diffusée sur les réseaux sociaux semble montrer l'empennage (ou dérive) du premier Rafale indien abattu en vol avec son immatriculation "BS 001". (CAPTURE D'ECRAN / RADIO FRANCE)
Une image diffusée sur les réseaux sociaux semble montrer l'empennage (ou dérive) du premier Rafale indien abattu en vol avec son immatriculation "BS 001". (CAPTURE D'ECRAN / RADIO FRANCE)

D'autres images récoltées dans le même secteur, et à proximité d'une piste d'aviation indienne, montrent ce qui ressemble beaucoup à l'un des deux moteurs M88 du Rafale.

En haut, deux images des débris d'un moteur prises dans le secteur où a été retrouvé l’empennage du Rafale BS001. En bas, le moteur M88 fabriqué par Safran et qui propulse l'avion de chasse (CAPTURE D'ECRAN)
En haut, deux images des débris d'un moteur prises dans le secteur où a été retrouvé l’empennage du Rafale BS001. En bas, le moteur M88 fabriqué par Safran et qui propulse l'avion de chasse (CAPTURE D'ECRAN)

Ce sont les seuls éléments qui permettent d'estimer de façon à peu près certaine qu'un Rafale indien au moins s'est crashé au sol, mais impossible d'en deviner les circonstances. De source militaire française, on se dit "à peu près certain" qu'un Mirage 2000 indien a également été perdu. Car les militaires indiens, pays avec qui la France a signé un partenariat stratégique, ne communiquent toujours pas, ni publiquement, ni même avec leurs homologues français, à la frustration évidente de ces derniers. Pour ce qui est du crash du Rafale, il y a "plusieurs options, relève ainsi le général Bellanger. "On ne sait pas s'il a été tiré par [des batteries] sol-air, s'il a été tiré par [des missiles] air-air, si c'est un tir fratricide... Et on aimerait en savoir davantage".

Guerre informationnelle 

Cette absence de communication de la part des Indiens va ouvrir la boîte de pandore d'une autre guerre : la guerre informationnelle, où les Chinois seront particulièrement actifs. Sur les réseaux sociaux, particulièrement X et TikTok, le dénigrement du Rafale bat son plein dès le 7 mai. La création, cette même journée, de près de 1 080 comptes s'attaquant à l'avion français "atteste d'une manœuvre inauthentique visant le Rafale", note-t-on du côté de l'Etat-major.

Fausses infos, reprises partielles d'informations véridiques et surtout battage en règle contre la France par les comptes (francophones) connus pour ce faire – algériens ou africains essentiellement – se multiplient. Il s'agit souvent de messages amplifiant ceux d'influenceurs chinois ou liés à la Chine.

En Chine même, on en rajoute sur l'excellence du matériel chinois livré aux Pakistanais : les avions J-10 et les missiles air-air PL15 utilisés par les avions de la Pakistan Air Force et qui auraient abattu des Rafale. Un influenceur militaire chinois ira loin dans les détails techniques (classifiés autant pour ce qui est des armements d'origine française que chinoise) pour expliquer comment et pourquoi le missile chinois PL15 tiré par les avions chinois J-10 surpasse de loin son homologue français armant le Rafale, le missile Meteor.

Un post d’un influenceur militaire chinois ventant les qualités du missile aérien PL15, fabriqué par la Chine et livré aux Pakistanais et supposément capable d’abattre les Rafale indiens. (CAPTURE D'ECRAN / RADIO FRANCE)
Un post d’un influenceur militaire chinois ventant les qualités du missile aérien PL15, fabriqué par la Chine et livré aux Pakistanais et supposément capable d’abattre les Rafale indiens. (CAPTURE D'ECRAN / RADIO FRANCE)

A la clef, évidemment, il n'y a pas qu'une bataille de prestige ou d'egos nationaux sur des matériels : la Chine est commercialement intéressée à vendre ses avions et ses armements, notamment en Asie du Sud-Est. En juin, l'Indonésie qui a déjà commandé 42 Rafale à la France (et pourrait bien en commander 24 supplémentaires à l'occasion du 14 juillet où elle est invitée d'honneur) s'est également dite intéressée par l'acquisition de J-10 chinois de seconde main.

Victoire des uns… et des autres 

La guerre aérienne indo-pakistanaise se poursuivra pendant quelques jours avant un cessez-le-feu dont Donald Trump revendiquera la paternité, le 10 mai. Résultat des courses ? D'un point de vue opérationnel, le raid aérien du 7 mai par l'armée de l'air indienne a rempli ses objectifs : neuf cibles visées, toutes précisément atteintes. Les groupes armés tels qu'identifiés par les Indiens ont subi des pertes, dont au moins deux de leurs commandants. La mission, dont on avait envisagé qu'elle puisse se dérouler en trois et jusqu'à cinq vagues d'assaut n'en a eu besoin que d'une pour arriver à ses fins... Même si, côté pakistanais, on continue de jurer que les cibles et les bâtiments visés par les armes indiennes n'abritaient que des civils.

Les 8 et 9 mai, alors que le Pakistan tente de s'attaquer aux bases aériennes indiennes, l'Inde – peut-être en rétorsion après la perte de quelques-uns de ses appareils – hausse le ton : plus question d’épargner des cibles militaires pakistanaises. Elle s'emploie méthodiquement à viser les bases aériennes, radars de surveillance et jusqu'à certains postes de commandement pakistanais partout dans le pays. Des drones d'attaques et des missiles à longue portée sont utilisés pour ce faire. Et avec un certain succès si l'on en juge par les images satellite commerciales, montrant quelques cratères importants sur au moins trois pistes d'envol de l'armée de l'air pakistanaise. Aucun dégât sérieux n'est en revanche décelable sur les installations indiennes. Sur le plan tactique et opérationnel, il semble que l'Inde ait de fait emporté la partie.

Mais le Pakistan revendique aussi une sorte de victoire : "En fin de compte, c'est surtout une défaite pour la paix en Asie du Sud", résume l'ambassadrice du Pakistan en France, Mumtaz Zarha Baloch, pour qui l'Inde est bien l'agresseur. "Ce n'est plus l'Inde de Ghandi", résume-t-elle, mais un pays qui "avec des postures agressives tente d'intimider tous ses voisins : le Sri Lanka, le Népal et bien sûr le Pakistan".

Mais le Pakistan a résisté, assure-t-elle : "Nous sommes confiants pour ce qui est d'avoir abattu six aéronefs indiens : cinq avions et un drone. Et nous croyons que la communauté internationale sera capable de constater les succès de nos pilotes en la matière." Et ce n'est pas là le seul résultat de cet affrontement : "Le Pakistan a aussi réussi à envoyer ce message à l'Inde : nous ne nous coucherons pas. A chaque agression contre le Pakistan, il sera répondu... Nous avons démontré que nous disposons de la volonté et des moyens de nous défendre." En résumé : sur le plan opérationnel, l'Inde a rempli ses objectifs militaires, mais le Pakistan lui a tout de même tenu la dragée haute, au moins sur le plan de l'information.

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