: Reportage "Plus on les coupe tôt de l'objet, mieux c'est" : près de Lyon, des élèves de sixième expérimentent l'interdiction du téléphone portable
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Le principal du collège Marcel-Pagnol, à Oullins-Pierre-Bénite, espère limiter l'exposition aux écrans et lutter contre le cyberharcèlement. Conscient que la mesure ne réglera pas tout, il estime aussi que l'interdiction devra être amenée en douceur.
Ecouteurs vissés aux oreilles, téléphone en main, Marie* attend. Assise en tailleur devant le collège Marcel-Pagnol à Oullins-Pierre-Bénite (Rhône), mercredi 4 septembre, la jeune fille aime bien "commencer sa journée avec Radio classique" pour "se réveiller". L'élève de quatrième pourra garder son smartphone une fois entrée dans l'établissement. Pour ce retour en classes, l'interdiction du portable est réservée aux jeunes de sixième. "On n'est déjà pas censés s'en servir, c'est écrit dans le règlement. Je ne vois pas ce que ça va changer", lâche l'adolescente, qui assure n'être inscrite sur aucun réseau social.
A côté d'elle, Amine* vient d'arriver. "Il y en a quand même certains qui jouent à des jeux à la cantine. C'est mon copain de cinquième qui me l'a dit", glisse l'élève de sixième, qui a son propre téléphone depuis le CM1. Est-il d'accord pour le laisser à l'entrée du collège ? Haussement d'épaules : "Tant que je peux le récupérer pour rentrer manger chez moi le midi..."
Les nouvelles règles appliquées à Marcel-Pagnol découlent d'une expérimentation encouragée par l'Education nationale. Lors de sa conférence de presse de rentrée, la ministre démissionnaire Nicole Belloubet a précisé que près de 200 collèges s'étaient portés volontaires. Dans l'académie de Lyon, une dizaine d'établissements s'y essaient. A Oullins-Pierre-Bénite, le collège est le premier à s'y être mis dès la rentrée.
"Pourquoi ils n'ont fait ça qu'aux élèves de sixième ?"
Il est presque 8 heures, les trottinettes et vélos s'alignent sur le parking dédié. Djamila, en voiture, dépose ses deux filles, scolarisées en 6e et 5e. Elle espère que cette "pause numérique" permettra aux élèves d'être "plus concentrés". Alors que ses enfants se rendront au collège à pied la plupart du temps, Djamila se dit néanmoins "rassurée" qu'elles soient joignables pendant leur trajet.
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A gauche de l'entrée du collège, une file disciplinée se dessine. Un à un, les élèves de sixième présentent leur carnet de liaison et confient leur portable à Samir, assistant d'éducation. Les appareils sont glissés dans des pochettes nominatives, elles-mêmes rangées dans des bacs au numéro de la classe. "Pourquoi ils n'ont fait ça qu'aux élèves de sixième ?", s'étonne une jeune en quatrième qui observe la scène. Dubitative, elle imagine les situations qui pourraient poser problème.
"Si un élève est coincé aux toilettes, il fait comment pour prévenir ?"
Une élève de 4e du collège Marcel-Pagnolà franceinfo
"On a jugé qu'une mesure appliquée seulement aux jeunes de sixième serait plus simple à gérer pour nos débuts", explique le principal, Yann Durozad. Sans compter qu'il s'agit de lutter contre l'addiction aux écrans : "Plus on coupe tôt les élèves de l'objet, mieux c'est", assure-t-il. Le responsable du collège estime aussi qu'il aurait été plus difficile "d'obtenir le consentement" des élèves de troisième, habitués à garder leur téléphone dans le sac depuis trois ans. Ceux de l'année précédente y avaient toutefois brièvement goûté. "Ils n'avaient pas le droit de venir au bal avec, ça les a vachement libérés, rapporte Samir. Ils se sont mélangés, ont dansé et chanté. Sans avoir peur de se faire afficher."
Dans la cour arborée du collège, Myriam* raconte à ses copines qu'elle n'a pas déposé son portable. Son smartphone étant cassé, elle a hérité d'un "vieux Nokia" qu'elle laisse à la maison, et n'a plus accès à TikTok depuis quelques jours. Mercredi matin, ils étaient 32 sur environ 80 élèves des quatre classes de 6e à confier leur téléphone à Samir.
Yann Durozad compte aussi "monter en puissance" au cours de l'année scolaire, avec davantage d'ateliers de sensibilisation. Si l'utilisation du portable était déjà prohibée dans le règlement intérieur, difficile de surveiller 350 élèves, souligne par ailleurs le chef d'établissement.
"Dans l'intimité d'un recoin ou dans les toilettes, on sait qu'ils peuvent le sortir pour regarder leurs notifications Snapchat."
Yann Durozad, principal du collège Marcel-Pagnolà franceinfo
En plus de limiter l'exposition aux écrans, le principal espère protéger ses élèves du cyberharcèlement dans l'enceinte de l'établissement, même si Yann Durozad le concède : cette forme de violence "se passe surtout hors du temps scolaire". Pour Sandra Buteau Besle, vice-présidente et porte-parole de la Fédération des conseils de parents d'élèves du Rhône, "on décale dans le temps, mais on ne règle pas le problème de fond". "Un élève peut poster une photo problématique une fois sorti", illustre cette représentante, dont l'association défend la régulation de l'accès au téléphone, mais s'oppose à l'interdiction pure.
"On aimerait étaler l'interdiction sur quatre ans"
Dans le hall de l'établissement, Samir empile les bacs et se dirige vers le bureau du CPE. "C'est déjà bien rodé, selon l'assistant d'éducation. Mais on compte les responsabiliser un peu plus : à partir de demain, ils repartiront avec la pochette chez eux et devront la rapporter le matin", avec le téléphone directement à l'intérieur. Si un élève ne joue pas le jeu, des sanctions comme la confiscation de l'objet et une heure de retenue seront envisagées.
"Vous avez énormément de pression sur vos épaules", lance Yann Durozad à Samir. "J'ai combien de caution à votre avis ?", rebondit celui-ci. La facture de chaque bac peut en effet vite monter. Pour Hanane, présidente de l'association des parents d'élèves du collège, l'interdiction du smartphone, justement, "évite les vols".
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Quant au coût du matériel nécessaire pour lancer le dispositif, Yann Durozad estime avoir dépensé, avec les fonds du collège, "60-70 euros", car l'établissement disposait déjà d'une armoire suffisamment grande et sécurisée. Pour étendre la mesure aux autres niveaux, Yann Durozad demandera une aide au département. "On se laisse le temps de tester avec ceux en sixième (...) Mais dans un monde idéal, on aimerait étaler l'interdiction sur quatre ans, afin que chaque génération d'élèves commence sa scolarité [au collège] sans smartphone dès le début."
Ce n'est pas tout à fait le scénario envisagé par Nicole Belloubet. "La généralisation de cette 'pause numérique' devrait pouvoir intervenir dès le mois de janvier 2025", a annoncé la ministre démissionnaire en conférence de presse.
*Les prénoms ont été modifiés.
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