Carte d'identité biométrique : le spectre du fichage général
Lutter contre l'usurpation d'identité ou ficher les "honnêtes gens", le Sénat et l'Assemblée se livrent à un bras de fer autour de ce futur sésame et du fichier qui l'accompagne.
La carte d'identité biométrique ? C'est le "fichier des gens honnêtes", selon le sobriquet donné par ses détracteurs. Un fichier qui concerne l’ensemble de la population et divise les deux chambres du Parlement. L'Assemblée a adopté mercredi 1er février, en début de soirée, en nouvelle lecture, la proposition de loi autorisant sa création. Mais le texte doit repartir au Sénat et reviendra ensuite à l'Assemblée, où il sera définitivement adopté.
Que dit la proposition de loi ?
A l’origine, un texte déposé par les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel le 27 juillet 2010 : la proposition de loi sur la protection de l’identité. Ces deux parlementaires UMP veulent garantir "une fiabilité maximale aux passeports et aux cartes nationales d’identité, afin de lutter contre les délits liés à l’usurpation d’identité et à la fraude documentaire", lit-on sur le site du Sénat. Il s’agit principalement de développer une carte d’identité sécurisée, sur le modèle du passeport biométrique, et de lutter contre les usurpations d'identité : il y en aurait 210 000 par an en France, même si ce chiffre est contesté.
Pour les empêcher, la carte d’identité doit comporter deux puces électroniques. L’une contenant l’état civil, l’adresse, la taille, la couleur des yeux, les empreintes digitales, une photographie. L’autre, facultative, doit servir de signature électronique sur internet pour des échanges commerciaux et administratifs. Trafiquer l’identité de quelqu’un pour échapper à ses obligations ou monter une escroquerie est en soi un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 20 000 euros d’amende depuis 2011. A en croire un sondage CSA sur l’usurpation d’identité, deux Français sur trois jugent "élevé", le risque de se voir "emprunter son identité", même si 60% ne se sentent pas concernés.
Les usurpations d'identité mettent leurs victimes dans des situations "kafkaïennes". Les témoignages sont nombreux. Ainsi, Dalila Bouhezila, qui s’était découverte mariée à un Egyptien un beau matin dans l’état civil, a même monté en octobre dernier l’association nationale On a volé mon identité.
Une bataille entre l'Assemblée et le Sénat sur la protection des données
Pour remédier au problème, l’Assemblée nationale a adopté en décembre, en deuxième lecture, la proposition de loi. Mais un article est resté en débat : l’architecture du fichier qui doit centraliser les éléments d’état civil.
En effet, le Sénat (à gauche) et l'Assemblée nationale (en majorité à droite) se déchirent sur le "lien" entre les données biométriques inscrites dans la carte d’identité et le fichier administratif où sont inscrits tous les Français.
Le Sénat défend un "lien faible" et l’Assemblée nationale un "lien fort". Ainsi, le Sénat a d'abord souhaité apporter une garantie matérielle rendant impossible l’identification d’une personne à partir de ses seules empreintes biométriques enregistrées dans la base : c'est le "lien faible". Il préconise que les empreintes du titulaire de la carte soient stockées dans un grand dossier informatique et distinguées par un numéro spécifique. Lors d’une vérification d’identité, la base indiquerait seulement si cette identité correspond à une empreinte du dossier, sans la désigner nommément.
Après une navette entre les deux chambres et l'adoption, par une commission mixte paritaire sénateurs-députés, du "lien faible", l’Assemblée nationale est finalement revenue sur la question le 12 janvier. Elle a réintroduit, par amendement, le "lien fort", qui permet de faire correspondre données biométriques et données biographiques.
Une position défendue par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. "Le fichier à lien faible permet de déterminer l’existence d’une fraude, mais pourquoi se priver de la possibilité d’identifier à coup sûr l’usurpateur ?", a-t-il plaidé.
La crainte d'un fichage "policier"
A l’argument de la sécurité, les détracteurs opposent d’abord le risque de manipulation du fichier. Ce texte "va permettre la création d’un fichier central dont on peut craindre qu’il soit utilisé à d’autres fins qu’administratives, explique Marc Dolez, du Front de gauche, qui se désole que l'affaire touche aussi peu l'opinion publique. Jean-Claude Vitran, spécialiste des Libertés publiques à la Ligue des droits de l'homme, évoque quant à lui un "fichier de police".
"Alors que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas renoncent à un fichage généralisé de la population par crainte des dérapages comme des piratages, alors qu’en Israël un employé du gouvernement a pu diffuser sur Internet les données personnelles de 9 millions d’habitants, la France, sûre d’elle, choisit de créer un fichier que même George Orwell [l'écrivain britannique auteur de 1984] n’aurait pu imaginer", pointent Les Verts.
Les détracteurs du texte ont d'autres arguments. Jean-Claude Vitran souligne encore le problème des "faux-vrais" : l’usurpateur peut, dans le cadre du dispositif défendu par l'Assemblée, présenter des papiers (faux) et toujours obtenir une véritable carte d’identité biométrique à un nom qui n’est pourtant pas le sien.
Le militant s'interroge sur la fonction même des puces insérées dans les cartes. Selon lui, ce sont des puces RFID (Radio Frequency Identification), déjà critiquées car elles peuvent permettre de tracer nos habitudes. Il souligne surtout un "mélange des genres" car les deux puces insérées dans la carte d'identité sont de nature différente : "l’une a une fonction administrative et l’autre (permettant de s’identifier sur Internet) va aussi être un document commercial. Comment peut-on avoir quelque chose d’à la fois régalien et commercial ?"
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