Ils voulaient assassiner des imams et empoisonner de la nourriture halal : 16 membres d'un groupuscule d'extrême droite jugés à partir de mardi

Ces treize hommes et trois femmes sont principalement poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste et détention d'armes.

Article rédigé par Juliette Campion, franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un policier au tribunal correctionnel de Paris, le 17 décembre 2024. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)
Un policier au tribunal correctionnel de Paris, le 17 décembre 2024. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

Les prévenus, treize hommes et trois femmes, sont nés entre 1949 et 1986 et leurs profils sont très variés : un antiquaire, un restaurateur, une comptable, un artisan, un chômeur ou un enseignant en lycée... Disséminés sur l'ensemble du territoire français, chacun d'eux s'étaient réunis au sein d'un groupuscule clandestin : l'Action des forces opérationnelles (AFO), dans lequel les prévenus sont soupçonnés d'avoir projeté plusieurs projets terroristes islamophobes de 2017 à 2018.

Ses membres étaient animés par des idées identitaires, avec une obsession : "combattre l'emprise musulmane" en France, selon un document de l'AFO saisi par les enquêteurs. Le procès de ces 16 personnes s'ouvre mardi 10 juin devant le tribunal correctionnel de Paris et doit durer jusqu'au 4 juillet, précise le Parquet national antiterroriste (Pnat) à franceinfo.

Les prévenus, affiliés au groupuscule, sont principalement poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste et détention d'armes, avec des implications diverses. Dans son ordonnance, dont franceinfo a eu connaissance, la juge d'instruction décrit l'AFO comme une "organisation hiérarchisée et structurée" planifiant des "actions violentes concrètes dans des lieux symboliques".

Un groupe organisé pour "passer à l'action" 

L'organisation est en fait une branche dissidente des Volontaires pour la France (VPF), un parti politique d'extrême droite fondé à l'été 2015, en réaction aux attentats islamistes de janvier de la même année. En octobre 2017, deux cadres nationaux du parti, Guy S. et Dominique C., quittent le mouvement et fondent l'Action des forces opérationnelles. Moins d'un an plus tard, le groupuscule compte une cinquantaine de membres. Il est alors subdivisé "en trois sphères opérationnelles", relèvent les enquêteurs : les "Blancs" et les "Gris" doivent apporter un soutien logistique aux "Noirs", soit une dizaine de personnes chargées de "passer à l'action".

Parmi ces derniers, plusieurs ont "un lien passé ou présent avec l'armée", disposent d'armes à feu et s'entraînent régulièrement au tir. Guy S., aujourd'hui âgé de 71 ans et retraité de la police nationale, apparaît comme le chef présumé, interagissant sous le pseudo "Richelieu" avec les différents membres du groupuscule. D'après les enquêteurs, il serait impliqué dans "la fourniture ou l'achat d'armes, le déroulement des formations impliquant des séances de tirs" et la diffusion d'informations visant à confectionner des munitions de manière artisanale. Son avocate, Lucile Collot, précise à franceinfo que Guy S. "conteste fermement avoir nourri un quelconque projet d'action violente, ainsi que plus généralement les faits de terrorisme qui lui sont reprochés".

Daniel R., alias "Tommy", semble avoir eu lui aussi un rôle prépondérant : cet ancien militaire de 39 ans est présenté comme "l'artificier du groupe" par un autre membre. Un révolver et un pistolet ont été retrouvés chez lui ainsi que des composants entrant dans la fabrication d'explosifs fabriqués à base de TATP, une substance relativement facile à fabriquer mais très instable, qui avait notamment été utilisée par les jihadistes lors des attentats de novembre 2015. Contacté par franceinfo, son avocat Gabriel Dumenil souligne que les armes retrouvées chez son client sont "très anciennes". L'une d'elles, datant "du XIXe siècle", a été achetée en Belgique, "où l'achat et la détention d'armes est libre", fait-il valoir. Quant à la grenade retrouvée dans la voiture de son client, "elle était très faiblement chargée et n'aurait fait aucun dégât", affirme l'avocat. 

Des projets révélés à un policier infiltré 

Pour les besoins de l'enquête, un agent infiltré de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a rencontré deux autres membres prépondérants de l'AFO : Bernard S., alors âgé de 68 ans, désigné comme le responsable du secteur lle-de-France, et Philippe C., 53 ans à l'époque, surnommé "Achille". Lors de ce rendez-vous du 8 juin 2018, dans une brasserie en plein centre de Paris, les deux hommes exposent en détail les ambitions du groupuscule : "tuer 200 imams radicalisés" ou encore "tuer des détenus radicalisés". Ils confient également avoir pensé "tuer" l'islamologue suisse Tariq Ramadan "avant ses déboires judiciaires".

Lors d'une autre réunion quelques jours plus tard, à laquelle participe de nouveau l'agent infiltré, Bernard S. fait état d'un projet d'empoisonnement de produits halals dans plusieurs supermarchés. Une opération de reconnaissance est même prévue dans le mois qui suit par Philippe C. Lors de perquisitions à son domicile, plusieurs armes de catégorie B sont retrouvées, ainsi qu'un document intitulé "OP HALAL". "L'idée est de créer localement (ou nationalement) une chute de la consommation de produits halal dans les grandes surfaces (...) tout en déclenchant un effet de panique chez les musulmans", est-il écrit. Dans ce même document figure une partie appelée "OP MOSQUEE" où est détaillé un projet visant à faire "exploser" la porte d'une mosquée de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et de positionner des "tireurs à longue distance".

L'objectif affiché : "s'opposer à l'islamisation"  

En audition, Bernard S. minimise et assure que les projets avancés dans "OP HALAL" et "OP MOSQUEE" sont des "idées saugrenues avancées par certains membres". Interrogé sur la question des armes, dont disposaient bon nombre de membres du groupuscule, y compris lui, il se justifie : "On ne peut pas se défendre avec des lance-pierres." Aux enquêteurs, il explique que l'objectif du groupuscule est de "s'opposer à l'islamisation radicale du pays", "en se protégeant nous-même et en se donnant les moyens de se protéger". Interrogé à son tour, Philippe C. s'inscrit dans ce schéma et parle d'"un mouvement de résistants, de patriotes avec un grand P, qui viendrait en soutien des forces armées en cas de conflit interne ou externe"

Dans son ordonnance de renvoi, la juge reprend l'analyse du Parquet national antiterroriste, qui reproche à l'Action des forces opérationnelles "une idéologie alimentée par l'assimilation du terrorisme jihadiste à l'islam en général, la crainte du 'grand remplacement' [une théorie complotiste selon laquelle la population française serait remplacée peu à peu par une population d'origine maghrébine] et une vision décliniste de la société française à laquelle répondait le survivalisme déviant vers l'accélérationnisme".

Les faits, initialement considérés comme criminels, ont toutefois été correctionnalisés, car "les projets d'action violente ne sont pas pleinement finalisés", a expliqué le Parquet national antiterroriste à l'AFP, affirmant "avoir appliqué sa politique pénale habituelle". Les prévenus les plus impliqués du dossier, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste, encourent jusqu'à dix ans de prison et 150 000 euros d'amende. 

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